Un-Soin : sans Monde, ni Dieu, ni Maître

07/08/2010, Annie-Françoise Noël



Un-Soin : sans Monde, ni Dieu, ni Maître

Présentation à la soutenance (remaniée).

I - POURQUOI LE SOIN ?

I-1 - L’idée de « théorie du soin » ne vient pas de moi, mais plutôt de chercheurs officiels en soin infirmier, lesquels travaillent à l’élaboration d’une « science » qui pourrait faire « reconnaître » ce soin et l’autonomie de la profession infirmière. 

En dépit de la production de textes parfois très pertinents, mais soigneusement marginalisés, l’échec de la « recherche infirmière » est d’autant plus fracassant, que la victoire institutionnelle remportée par un « paradigme de soin unique », pétri d’empirisme, de scientisme et de puritanisme anglo-saxons, fait croire à une réussite totale. 

Cette « réussite » se concrétise par la constitution d’une « communauté scientifique infirmière internationale » qui a débusqué chez T. Kuhn les ingrédients de sa propre recette de fabrication, laquelle rendrait aussi « scientifique » que « révolutionnaire », et « donc » indiscutable, le « paradigme de soin » de cette communauté. Il s’ensuit que toute conception du soin qui n’entrerait pas exactement dans le moule à gaufres des mères fondatrices d’outre-Atlantique, ainsi que dans la moulin à paroles de leurs épigones de tous horizons, serait « incompatible » avec ce « paradigme unique », et donc ravageuse pour la « science infirmière » et « la reconnaissance de la profession ». 

Le « projet théorique » de cette « science » contemptrice de tout énoncé qui ne serait pas fouetté à la langue de bois de la raison, consisterait à en finir avec la « conception bio-médicale du soin », avec « le manque de visibilité des infirmières dans la société et avec les représentations sociales de leur profession », mais aussi avec « le manque de cohérence dans les soins », lequel résulterait de « conceptions individuelles » du soin beaucoup trop « différentes » les unes des autres pour qu’il n’en résulte pas un préjudice pour la « prise en charge globale » du patient. Bien entendu, ce « paradigme » — ou plutôt, ce « méta-paradigme » — est celui d’une « science nouvelle », « émancipatrice de la tutelle médicale », et même une science toute fière « de contribuer à façonner l’idéologie professionnelle des infirmières ». Depuis peu, cette « contribution » se voit d’autant mieux assurée en France, qu’elle est étayée par la création d’un Ordre National des Infirmières, lequel officialise cette idéologie du soin-unique, en plaçant chacun(e) dans l’obligation légale de conformer sa pratique aux prescriptions de celle-ci. Cet ordre dictatorial les y contraint avec d’autant plus de chances de succès, que l’inscription de toutes les infirmières y est payante et obligatoire, sous peine d’interdiction d’exercice, de 30 000 euros d’amende et de deux ans de prison. Dans cette Loubyanka repassée à la chaux vive du communautarisme infirmier, chacun(e) est donc encore libre d’aller faire purger au sous-sol sa « résistance à la science ».

 

I-2- On a donc une « science » qui a surtout contribué à rendre délinquantes les infirmières résistantes à son « méta-paradigme » on ne peut plus irréfutable, ainsi qu’à les enfermer dans un camp de redressement où toute pensée et pratique personnelles ou originales du soin sont désormais proscrites. Contrairement aux allégations des « penseures » en infirmerie, chacune s’y trouve plus que jamais placée sous la tutelle médicale, mais dûment « décontaminée », toutefois, de ce que la médecine peut avoir d’esprit scientifique. On peut dire également que l’Ordre Nouveau des « consœurs » infirmières, les pousse à réintégrer un couvent beaucoup plus performant que ceux des curés et autres bons pasteurs, car voici les brebis égarées rassemblées de force et en totalité, sous la houlette globalitaire d’une communauté religieuse unique, toutes ensevelies sous la même (dé)froque idéologique. Bien sûr, brillante comme le jour et épinglée sur l’uniforme de la règle nouvelle, se trouve reconduite la croix d’horreur de l’inénarrable « don de soi », car voici le chaînon de servitude qui ne pouvait manquer au rattachement de la « science nouvelle » à la grande tradition sacrificielle de la profession. Tout comme autrefois, la vocation des (con)sœurs à l’abnégation, se mesure à leur aptitude à sourire aux anges, à faire l’âne et à obéir sans broncher à des « cadres (mères) supérieur(es) » aujourd’hui devenues imbattables en larmes de crocodile, en « protection de soi », en communication, en management, en « supervision » et en « traçabilité », sachant qu’à l’égard du patient, ce n’est plus la charité chrétienne qui fait ouvertement modèle, mais plutôt « la distance », laquelle, du fond d’un lit où « la théorie » le pré-découpe globalement en rondelles bio-psycho-sociales, promet à ce dernier un « don » qu’il doit payer très cher, tout au moins s’il veut se donner une chance d’en voir tomber la sueur ou le mirage, dans l’escarcelle trouée de « son désir ».

On en conclut donc qu’en matière de soins infirmiers, le degré de « scientificité » se juge à la faculté d’interpréter sauvagement toutes sortes de textes dits « savants » et se mesure à la capacité à faire illusion, à constituer des lobbies politiquement influents, ainsi qu’à faire valoir la « supériorité intellectuelle » de quelques cadres hiérarchiques et enseignantes « chercheuses », sur une multitude de praticiennes dites « de base » (car situées au dernier échelon des hiérarchies). Bien entendu, ces dernières  sont exclues de la « recherche » et privées de toute autonomie, sommées d’appliquer, au pas de gymnastique et sans discussion, une « théorie » réduite à un « guide prescriptif » de leur activité. 

 

I-3 J’ai donc entamé mon étude du soin dans l’espoir d’apporter à cette profession ce qui certes ne peut la « sauver » immédiatement du ridicule et d’un insupportable calvaire, mais peut au moins en protéger l’honneur et la dignité. Il m’importait en effet de montrer de quelle honte et ignominie la « science infirmière » officielle recouvre les savoirs, la bonté et la pensée très subtile de nombreuses collègues, lesquelles ont toujours fait bon ménage avec l’esprit scientifique de certains médecins, et très bien su comment « humaniser » la médecine institutionnelle, sans la démolir auprès de patients dont aucune « théorie de soin » ne cherchait à les « distancier ». 

 

  I-4 - La « théorie » triomphante est bien sûr très forte en organisation rationnelle ou dite « scientifique » du travail (Taylor, Stakhanov et Toyota réunis). Ce qui permet de limiter drastiquement les temps de soin et de réduire le « petit personnel », ainsi que de décourager la « demande » des patients. En dépit de cette orientation qui vise à rationner les soins, cette « théorie » n’hésite pas à se réclamer de « l’éthique du care ». Or, si cette « théorie » est effectivement pleine de « care »  à son propre égard, sa sollicitude s’arrête là, car elle se montre surtout très forte en l’art d’épuiser les corps, de conformer les esprits, de surveiller et de punir, non seulement les soignants dits « de base » mais aussi les patients, plus que jamais muselés et écrasés sous les hiérarchies qu’elle renforce. 

Soi-disant placée au service d’une « démocratisation » des soins qui garantirait mieux les « droits » d’un patient devenu « client », la « science » infirmière officielle promet à ce dernier le « zéro défaut » d’une « qualité de soins » irréprochable, tandis que les soignants « de base », exclus de l’organisation des soins, débordés de travail et dominés par la crainte de l’erreur, sont de moins en moins placés en mesure de répondre aux besoins d’attention les plus élémentaires de ces « clients ». Ces derniers, « en théorie » (ou en « vision globale ») considérés comme « sujets désirants respectables en tant que personnes », mais « en pratique » traités comme l’importun (voire l’ennemi) à frustrer de toute urgence, en éprouvent un sentiment d’abandon considérable. Or, comme ils n’ont d’autre interlocuteur que le soignant de base en permanence placé à leur chevet, il s’ensuit des conflits d’une violence jusqu’alors inconnue, où chacun rend l’autre « responsable » des manques d’égards et d’humanité dont il est la victime. Mais rassurons-nous, ces « inévitables » conflits sont prévus par « la théorie », et « gérés » de sorte à ce que la plupart des plaintes de patients ne soient pas recevables. Grâce aux excellents conseils de la psychologie cognitivo-comportementale, en effet, de nombreux soignants apprennent très vite à retourner la charge de la « maltraitance » contre  « le client », lequel la leur infligerait, au contraire, de façon aussi « injuste », qu’« inacceptable », en les assommant avec des « exigences infantiles » et en les « harcelant » de « demandes abusives ». Cette « gestion » paranoïaque des « conflits », a donc bien du mal à cacher que la nouvelle « science infirmière » est saturée de ressentiment, lequel ne connaît rien de meilleur, en matière de soin et d’éthique, que la politique du bouc émissaire.

 

 

II – PARCE « CE DONT ON NE POURRAIT PARLER », IL FAUDRAIT L’AVILIR ET LE CONDUIRE AU SUPPLICE.

 

II-1 Dans mon étude du soin, j’ai donc cherché à  comprendre pourquoi la recherche infirmière moins déshonorante, et dite plutôt « continentale », ne parvient pas à faire valoir son point de vue, tandis qu’elle sert éventuellement de terrain de chasse et de caution intellectuelle à une théorie triomphante extrêmement faible de pensée et fort prompte à la caricaturer.

À l’occasion de ce bilan effrayant, j’ai constaté que, dès qu’il est question de soin, traditionnellement la philosophie se tourne aussitôt vers la médecine ou la psychanalyse et oublie régulièrement le soin dit « infirmier ». Il s’ensuit que les infirmières se sentent en quelque sorte « exclues » de la philosophie, où (leur) soin, enfermé dans une aporie (à tous les sens de aporia), fait au mieux figure d’« indicible », au pire de quantité négligeable, voire méprisable. À l’examen, on ne tarde donc pas à voir que cet « exclu » pose à la philosophie un très gros problème, de ceux « dont on ne peut parler » et qu’il « faut » donc mieux « taire » et évacuer d’emblée, sans mouliner davantage dans le vide qu’il ferait au-dessus de « être », ou pomper en pure perte dans le «  néant » qu’il creuserait sous les bas-fonds paralogiques de l’empire du Logos. Par ailleurs, en philosophie, on ne trouve rien d’écrit à propos du soin en général, qui n’ait été plus ou moins réinvesti dans les productions de la recherche infirmière, laquelle demeure néanmoins rebutée par cette discipline aride et obscure qui fait régulièrement impasse sur la spécificité du soin dit « infirmier ». 

 

II-2 Bien sûr, il y a les philosophies anglo-saxonnes du « care », lesquelles ne voient pas le problème majeur que présente ce soin, car elles le trouvent éclairci, voire résolu d’emblée, au coin central commun du bon sens et de la tautologie, placé dans la lumineuse évidence qui le « prodigue » à gogo, tout au moins a priori. Il s’ensuit que ces philosophies semblent moins arides ou plus « accessibles », tandis qu’elles paraissent ne faire aucune impasse sur ce soin qu’elles sortiraient de l’ombre en le plaçant dans leur ligne de mire. C’est ce qui n’a pas échappé aux mères fondatrices de la « science infirmière », plus soucieuses de la « reconnaissance » de leur pouvoir personnel, que de l’autonomie du soin dit « infirmier ». 

Si ces philosophies du care sont parfois loin d’être triviales dans leurs énoncés, il reste qu’elles ont bien de la peine à cacher la couche de pommade politiquement rusée (ou « correcte »), dont elles comblent et astiquent l’impasse qu’elles font deux fois sur un soin qu’elles submergent sous un raz de marée de paroles lénifiantes. Dans la conjoncture ultra-(in)dividualiste-libérale actuelle, du point de vue de la plupart des « intellectuels » (plutôt « de gauche ») qui, dégoûtés du marxisme, s’accrochent à la bouée de sauvetage du « soin », il paraît autrement moins « urgent », en effet, de se mettre au pain sec et à l’eau d’une longue recherche qui peut conduire à penser la lutte tout autrement, que de rafistoler en vitesse le capitalisme pourrissant et de canaliser la colère grandissante des peuples qu’il réduit au désespoir. En bref, il s’agit de donner à une société occidentale de plus en plus « anomique » (Durkheim, R. Castel) et cruelle, un visage moins monstrueux, plus défendable contre ses détracteurs, et donc, sous l’apparence du contraire, plus apte à résigner les peuples à leur abrutissement et à leur exploitation. De là (entre autres), la « nécessité » de « valoriser » et de sortir de la « marginalité » les vocations (de « perdants ») à un soin de base qui serait inévitablement « ingrat et répétitif », alors que seule le défigure de la sorte, l’application des « théories » qui le mécanisent et en détruisent le sens (d’)Identité, en requérant à ses dépends, la pensée qu’elles lui dénient. Le « risque » est en effet de ne plus trouver de candidats au supplice que promet cette sordide réquisition, tout au moins à force de perdre de vue « l’évidence » selon laquelle le soin corporel qu’elle apporte au sujet, « représente un rouage essentiel de la société de marché ». Autrement dit le mot d’ordre est : « ne scions pas la branche sur laquelle « le sujet de la science » est assis ! ». On ne peut donc mieux dire que sans ce soin dénié et réduit à un automate, rien ne pourrait plus « tourner rond », ni le marché, ni les usines à gaz de la pensée spéculative. Ce qui serait catastrophique pour la souveraineté de la culture occidentale, et donc pour la reproduction de ses « élites ». 

Aussi, grâce à une vulgarisation qui fait chausser à « maître Renard » de gros sabots « théoriques », de la fabrication desquels il est fort habile à s’excepter, la recherche  « infirmière » se trouve-t-elle mise en demeure de ne rien découvrir et de faire fructifier la tautologie du maître (dominus et magister), en actionnant les rouages du care-business et fusillant pour l’exemple, tous les petits soldats qui ne se laisseraient pas berner, flatter et regonfler le moral par la « reconnaissance » paternaliste des immenses « bienfaits » que « leur soin » ferait à la-société. Ces insoumis savent très bien que ce n’est pas ce soin (ou si peu !) que celle-ci leur demande, mais bel et bien la « visibilité » de leur servitude, de leur soumission et de leur abrutissement, car l’évidence de cette déchéance rend plus manifeste, par contraste, la victoire des « maîtres » sur les « esclaves ». 

Il s’ensuit que, si les philosophies du care veulent échapper à un soupçon d’imposture et sauver leur prétention au soin, alors elles ont intérêt à ne rien voir en lui qui puisse être qualifié d’« ingrat » et de « répétitif », comme s’il présentait ces caractéristiques irrémédiablement ou par essence, car toutes les infirmières, auxiliaires de vie  et aides-soignantes honorables, sont là pour dire que c’est en résistance opiniâtre à cette représentation dégradante de leur activité, qu’elles peuvent continuer d’exercer de leur profession et apporter aux patients une consolation réelle. Elles savent, en effet, que de la « répétition », il résulte l’apport d’un soulagement superficiel et éphémère, tandis que de « l’ingratitude » qui lui fait cortège, il suit une accumulation en chaîne de souffrances supplémentaires. Et ce qu’elles savent, également, c’est que si elles pouvaient accomplir leur activité sans entraves et en toute autonomie, selon ce que certaines infirmières appellent « le cœur du soin », alors la consolation apportée serait autrement plus grande, et surtout plus durable.  

En entamant ma recherche je me suis alors demandée :  que faudrait-il donc taire, réduire au silence, refuser d’entendre, décourager, flétrir, dénigrer et décrire d’emblée en la monstruosité où l’on veut le voir « dévaler », afin de légitimer son asservissement et sa condamnation à mort ? Autrement dit : « Pourquoi tant de haine ? » (E. Roudinesco)

 

II-3 La recherche « continentale », plutôt nourrie de textes religieux et parfois d’un peu de phénoménologie, ne fait donc pas le poids face à l’assaut de cruauté et de grossièreté de pensée qui résulte de la vulgarisation des philosophies anglo-saxonnes du care, ceci d’autant plus que cette recherche se pratique presque exclusivement en « sciences » dites  « humaines ». Il s’ensuit que cette dernière s’y affecte inconsciemment de la pire « philosophie », puisque la plupart des théories de « sciences humaines » et des textes religieux, sont déjà des sous-produits idéologiques de la philosophie et de la théologie, des sous-produits simplificateurs que les « chercheurs » en soins infirmiers croient devoir simplifier encore plus, afin de se rendre « accessibles » et de s’assurer de la réception de leurs « théories » auprès de soignants « de base » tous supposés (du fait de la fonction subalterne qu’il ont « choisi » de conserver) peu favorables (sinon inaptes) aux activités intellectuelles, et quasiment incapables de comprendre « le langage savant » d’un chercheur qui se voudrait volontiers le leader charismatique (dominus et magister et dux) de « l’opposition de gauche » à l’invasion anglo-saxonne.

Aussi, pour reprendre la boutade de Georges Canguilhem,  les « sciences humaines » prétendument « affranchies » de la philosophie et trop bien disposées à étancher la soif-de-savoir des infirmières, ne peuvent-elles que leur interdire « la montée au Panthéon », car sans passer par la Sorbonne, elles les condamnent d’emblée à faire le grand écart entre la Préfecture de police et l’Hôtel Dieu. Des deux côtés de l’Atlantique, la recherche infirmière a donc commencé en l’évidence où il « fallait qu’elle échoue », pour que soient encore mieux envoyés par le fond, la théorie et la science (du) soin dit « infirmier ». 

 

III — TOUTE THÉORIE DU SOIN FAIT ET REFAIT LE MONDE ET LA SCIENCE, EN EXPLOITANT À OUTRANCE LA PRATIQUE THÉORIQUE ET SENSIBLE (DE) L’UN.

 

III - 1 Lorsque j’ai commencé mes études de philosophie, je n’ai donc pas tardé à voir de quel côté non-philosophique les infirmières silencieuses, ou « contestataires », avaient de grandes chances de découvrir pourquoi elles étaient « rétives à la théorie », ou bien intellectuellement très gênantes, même si, autant que l’ontologie et la psychanalyse, j’ai très sérieusement mis la non-philosophie à l’épreuve de l’expérience de la pratique (de leur) soin. 

Aussi, après avoir momentanément suspendu un mouvement trop rapide vers la non-philosophie, lequel m’exposait à en faire un usage ad hoc, car teinté d’un enthousiasme suspect de spontanéité philosophique, j’ai fait (de) celle-ci une expérience moins abstraite, largement vécue en l’élément de la sensibilité, mais ultimement transcendantale, là où le corps et le sujet s’éprouvent très proches l’un de l’autre, en Dernière-Identité, et donc sans la (con)fusion identificatoire prescrite à même la dyade patho-tauto-logique et hautement problématique, de l’infirme et de l’infirmière. Cette proximité qui les tient, si l’on veut, « séparés », mais strictement sans distance, les montre unis selon la structure de la dualité-unilatérale, ou encore selon l’ordre axiomatique et transcendantal (d’)un Soin qui, pour être éprouvé de façon sensible, n’a strictement rien d’empirique. C’est ainsi qu’à la façon dont un phénomène atteste de la validité de la théorie qui en établit la connaissance, je n’ai pu faire autrement que d’opter entièrement pour la non-philosophie, en  montrant que les théories de soin rationnelles mettent au supplice les pratiquants du soin authentique, car en confondant grossièrement ce dernier avec le soin proprement « infirmier », lequel en fournit au mieux un simulacre crédible ou, au pire, une caricature monstrueuse, elles placent régulièrement les soignants dans des situations de double contrainte. Ces situations ne résultent pas, fondamentalement, d’un conflit entre deux injonctions (apparemment) contradictoires, mais de l’effet d’antinomie radicale créé par l’opposition (unilatérale) du « réel » hallucinatoire du sujet rationnel, à l’ordre nécessaire (du) Réel-Un, un ordre dont le Soin est une fonction transcendantale et que ce sujet aliéné désire, viole, exploite et combat sans merci, à travers l’épreuve que la sensibilité lui en montre, lorsque le corps humain lui indique sa résistance à ce traitement et le rappelle symptomatiquement à l’ordre non-rationnel (du) soin. 

 

III – 2 Cette expérience conduit alors à décrire une sorte de « scène primitive », laquelle montre comment tout sujet humain s’aliène spontanément en le Réel-Un auquel il s’identifie (dès la naissance), se coupant aussitôt, mais fantasmatiquement, de l’ordre sensible qui paraît l’agresser (traumatisme de la naissance). Ce faisant, il brise (toujours en fantasmes – angoisse de castration ou de séparation) le Soin ou la fonction (de) l’Un qui l’unissait a priori à (son) corps. De là, le sujet aliéné « isolé et abandonné », cherche à « rétablir » ou à « établir » un rapport avec l’ordre sensible (réparation et union fusionnelle), en exploitant cette fonction (de) l’Un (nécessairement indemne de toute rupture) à laquelle il s’identifie en se confondant partiellement avec le symptôme (de) l’Un qu’elle lui adresse (constitution d’une identité tautologique). De là, une division du sujet aliéné, corrélative (de) celle (de) l’Un et (du) Soin. Tandis qu’une « moitié » du sujet — sujet supposé « authentique » et dit « de la science », cf. subjectum — reste « Réelle », « transcendentalement pure » et entièrement placée « à l’abri de l’ordre sensible », l’autre « moitié » — le sujet « du soin », le « praticien » vs « le théoricien », « l’acteur » vs « l’auteur » — devient « empirique », c'est à dire un « sujet corps/psychique » « déchu », assujetti au premier, instrument et objet de ce dernier (cf. subjectus et le (sans) rapport entre les « théoriciens du soin » et ceux qu’ils condamnent à des tâches « ingrates et répétitives »). 

Dans cette configuration fantasmatique, c’est donc le sujet (de) la Force (de) Pensée en personne, ultimement indemne d’aliénation et demeuré a priori uni à (son) corps, selon la structure de la dualité-unilatérale, qui passe régulièrement pour « empirique », voire pour « l’imbécile » de service (non-philosophie sauvage), car le « sujet déchu » qui l’occulte, se trouve en quelque sorte « plaqué dessus ». De surcroît, comme le sujet (de) la Force (de) Pensée produit des symptômes qui paraissent venir de « la matière » et/ou de « profondeurs subjectives » ou « viscérales » propres à ce sujet empirique très superficiellement conscient et confondu avec son corps vulnérable ou périssable, c’est ce corps et/ou le sujet authentique (de) la science (et (du) Soin) qui passent volontiers pour constituer une « force occulte », la « part d’ombre » de chacun (cf. l’Alien de R. Scott), ou bien l’instance « irrationnelle » de l’inconscient (cf. Lacan, « le sujet de l’inconscient »), alors que le sujet empirique, ombre terne et besogneuse ou brillant reflet du sujet supposé « réel », projetés sur l’ordre sensible et sur le sujet (de) la Force (de) Pensée, ne tient toute sa (faible) force de connaître et sa conscience réduite, que de la persistance nécessaire (de) ce sujet authentique. 

Il apparaît donc que l’instance de « l’inconscient » (psychanalyse), n’est autre que le « Réel-Un » fantasmatique où le sujet aliéné (« supposé savoir » Lacan) se tient « à l’abri » de l’ordre sensible, réfugié dans un « monde » ou une « citadelle » « intérieurs » d’où il combat le sujet authentique et résiste à tout ce qui lui vient (de) celui-ci, mais d’où il rejette également, tout ce qui lui arrive d’un monde « extérieur » qu’il crée, engendre ou fabrique « en théorie », y envoyant « au charbon vulgarisateur et applicatif » sa partie « empirique », une partie activiste, compromise avec la matière », engagée dans de « viles préoccupations médiatiques ou quotidiennes », et à l’égard de laquelle  la partie « noble » entend bien conserver la plus grande distance (cf. le (sans) rapport entre les philosophies du care et la théorie de soin infirmier triomphante). Cette moitié « noble » de sujet, qui se fantasme « absolument libre et indépendante », forclose au Réel (deuxième forclusion) et entièrement coupée de toute réalité sensible et transcendantale, reçoit généralement le nom d’une entité ultra-transcendante quelconque : « Dieu », « Être/Un », le « Soin » ou « Moi » (Ego « transcendantal »), une entité à laquelle s’identifient spontanément les « penseurs », les chefs charismatiques ou « les élites », lesquels se font ainsi « premier moteur immobile » (Aristote) du moulinet rationnel que la partie « déchue » (ou « pécheresse ») est chargée de faire fonctionner au service de la protection et de la résistance de son « maître »  contre tout « affect sensible ». C’est ainsi que Sisyphe, le sujet « déchu » ou la personne humaine proprement dite (et donc pas seulement les infirmières), se trouve investi de la mission d’entretenir les illusions de science et de puissance de ce « sujet-maître » (Lacan) très vulnérable, car massivement auto-affecté de sensibilité et de « réel » fantasmagorique. Ce condamné à un travail « ingrat et répétitif » a donc pour vocation de veiller à l’entretien de « l’idiot transcendantal », en faisant et refaisant continuellement le monde à la brillante « image » et selon les « modèles théoriques » de ce dernier, tandis qu’il lui fait régulièrement offrande du nectar ou de la transcendantalité par défaut, dont il nourrit ces « modèles », en lui déposant, sur la table  sacrificielle de la platitude du sens commun, les symptômes (de) l’Un qu’il décortique et consomme avec gloutonnerie. 

 

III – 3 Toute la « science » de ce sujet « réel/transcendantal » sans vie, sans pensée, sans visage et sans qualités, ne lui vient donc que de la capture et de la rationalisation des symptômes (de) la non-philosophie, qu’à travers le prisme déformant de sa moitié empirique qui le reproduit en miroir (positivement ou en négatif), lui adressent les fonctions sensibles et transcendantales (du) Réel-Un. Cette « science » est en effet régulièrement élaborée au moyen de la prédation et l’interprétation perverse de « l’objet », voire du « matériau » (référence à des interprétations hâtives de la non-philosophie) que lui apportent les symptômes (de) la non-philosophie, en particulier les émotions, lesquelles passent toutes pour « affectives », « passionnelles » ou « pathologiques ». En réalité, c’est plutôt le sujet empirique, en tant qu’il se fait le fidèle larbin du sujet « réel » (plutôt qu’il ne se laisse « inspirer » parfois par le sujet (de) la Force (de) Pensée), qui les affecte et souffre de ces « pathologies ». Aussi, afin de donner le change et de faire refluer toute la charge pathologique sur le sujet (de) la Force (de) Pensée, le sujet empirique, auto-affecté du « réel » de son maître, se présente-t-il le plus souvent sous le masque « serein » ou « indifférent » de l’objectivité « tranquille et assurée » de ce dernier. À, l’inverse, lorsqu’il s’agit de « dénoncer » la « sécheresse et la froideur intolérables »  (du) sujet (de) la Force (de) Pensée, ainsi que de « démontrer », par contraste, « la bienveillance et la sollicitude » du « sujet réel », le larbin empirique s’affecte d’une sensibilité factice et perverse, toute faite d’une sensiblerie d’autant plus trompeuse, quelle se montre assez « touchante », crédible et naïvement inconsciente, pour se masquer, d’abord à d’elle-même, les calculs d’intérêt, ainsi que la malignité sous-jacentes à sa « bonté » et à ses « bonnes intentions ».  La confusion entre la sensibilité authentique et cette caricature empirique, permet donc de condamner (entre autres) toute rébellion et colère saines et authentiques, mais aussi de rejeter « à bon droit démocratique », « l’élitisme », l’abstraction « excessive » ou le « théoricisme exagéré » (d’)un sujet (de) la Force (de) Pensée qui serait « déconnecté de la pratique ». Plus généralement, cette confusion permet de fustiger en bloc toutes les expressions dites « agressives » de la sensibilité humaine et de « flairer le mensonge » sous toutes les marques d’attention, de tendresse ou de cordialité. Encore plus généralement, cette confusion permet de dénigrer les « apparences sensibles », et de justifier leur « manque de pertinence à la science » en les décrétant « trompeuses ». Or, en détournant le symptôme (du) Réel-Un qu’elles produisent, le sujet aliéné (le maître et son larbin réunis) les exploite au profit de l’entretien de ses illusions/hallucinations transcendantales. C’est donc lui qui se trompe en cherchant à tromper les fonctions matérielles et sensibles (du) Réel-Un, par une « restitution » de théories qui en fourniraient la science ou leur apporteraient le soin, sachant qu’il ne trompe jamais celles-ci, en Dernière-Identité, sur son manque de science et de soin. 

Cette résistance radicale au sujet aliéné, place donc ultimement la personne humaine et l’ordre sensible, à l’abri des tables sacrificielles, voracités consommatrices, connaissances objectives, soins et conceptions désastreux de ce dernier. C’est également cette résistance (ou force (de) résilience – B. Cyrulnik) qui met régulièrement « en crise » et en « révolution » les modèles scientifiques (culturels, politiques ou de société) du monde, en « faisant échec » à la réalisation des rêves de « réparation », mais surtout de toute puissance, de santé parfaite, de maîtrise et de contrôle absolus, de ce sujet impuissant, hypochondriaque et sans consistance, lequel ne tient son « pouvoir » ou son déni de faiblesse, que de la croyance en la pertinence de sa raison à la science (des) humains.  

C’est à cette résistance nécessaire que résiste à son tour ce sujet schizo-paranoïaque, lequel ne pardonne jamais à un ordre sensible, entièrement sain et strictement sans raison, de lui infliger régulièrement cette ultime « défaite » (voilà pourquoi tant de haine !).  Aussi, comme le sujet aliéné ne peut strictement rien faire contre le sujet authentique demeuré uni à l’ordre sensible, il profite de la vulnérabilité du corps (de) ce dernier pour « l’atteindre » à travers la frustration de ses besoins vitaux, et donc à travers la maltraitance de son âme, de sa chair et de ses os, notamment en obligeant les soignants « de base »  à accomplir pour lui des tâches abrutissantes, car le travail intensif, ingrat et répétitif auquel il les condamne en leur faisant un chantage à la vie, leur retire le temps, ainsi que les forces physiques et psychiques nécessaires à l’épanouissement d’activités de pensée qui risqueraient de lui « faire concurrence ».

 

III – 4 On découvre alors que l’expression « prendre soin », censée montrer toute la sollicitude (ou le « care ») du sujet aliéné, ne manque ni de cynisme, ni d’ironie, car il décrit exactement le geste prédateur des symptômes (du) Réel-Un par lequel ce simulacre fait main basse sur un soin et une transcendantalité illusoires, factices ou placebos qui lui feraient le « don » du « soi » authentique, tandis que selon la « force de pensée » qu’il en tirerait, il affuble la sensibilité humaine — sans laquelle il demeurerait stupide et sans objet — d’un diagnostic méprisant et de traitements nuisibles, censés lui apporter le soin ou le sujet qu’elle désirerait, car elle en aurait toujours « manqué ». (C’est ainsi que le sujet aliéné interprète les symptômes (du) soin authentique qui l’invitent à penser et à agir selon l’ordre (du) Réel-Un). 

On découvre également que le « concept » du soin dit « infirmier » est implicitement un concept prescripteur de ce « prendre soin », mais aussi celui de cet apport du symptôme (du) soin et (du) soi authentiques. Il s’agit donc d’un concept ambivalent qui cache très mal un « don/refus de soi » et « du soin », à la suite duquel le couple infernal de l’infirme et de l’infirmière qu’il « occupe » et qui « s’en occupe » (prédation des symptômes et invasion réciproque d’amour et de haine) est régulièrement renvoyé à sa sensibilité « maladive », à sa structure « pathologique » et à son « manque de pensée », mais aussi à la naïveté de sa soi-disant croyance en une « réparation » possible de la division/déchéance du sujet. De là, « l’impuissance », le « manque d’efficacité thérapeutique », voire « l’inexistence » légendaires d’un soin ultimement « incapable » de réaliser les rêves du sujet aliéné, car à la différence de la médecine (par exemple) plus forte en rationalité, il ne peut entretenir durablement les illusions et hallucinations transcendantales de ce dernier. Il s’ensuit que le sujet de la raison fait payer très cher à  ceux qu’elle dit « infirme » et/ou « infirmière », cet « échec » programmé  à même le nom d’« infirmier » qu’il donne au soin authentique, un nom symptomatique /de/ deux choses inséparables l’une de l’autre et donc rendues très difficiles à ne pas confondre, car ce nom est immédiatement symptomatique de la faiblesse du sujet aliéné et, en dernière-instance, symptomatique (du) manque complet de suffisance (du) soin et (du) sujet authentiques. 

Aussi, qu’avec ce symptôme strictement non-amphibologique, en Dernière-Identité, le soignant dit « infirmier » ait découvert « en pratique » la façon d’apporter au patient une consolation réelle, ou bien qu’il se soit arrangé pour le duper en échouant, ultimement, à le tromper : dans les deux cas, du point de vue rationnel, il est réputé « fautif et incompétent ». Le sujet aliéné reproche donc toujours au soin « infirmier » proprement dit d’être assez  « stupide » pour ne pas savoir faire ce qu’il n’a jamais réussi à faire lui-même, à savoir le rendre maître et seigneur absolu de l’univers en donnant la « bonne réponse » aux « questions » pièges de « être », une réponse qui pourrait enfin résoudre tous les problèmes de la vie « ou » de l’existence humaines. De l’autre côté, ce sujet couvre de haine envieuse le soin authentique qui a réussi à consoler réellement certains patients, car cette réussite indique que cet indomptable n’est pas son esclave et se trouve en jouissance d’un sujet beaucoup plus fort que lui en soin, en humanité, en science et en pensée. Ce qui est le comble de l’humiliation, car ce soignant « heureux », qui n’est même pas un « savant » psychanalyste « pénétré des cigares criminels et incestueux de son maître », mais réputé tout juste bon à faire des piqûres, à passer des bassins et à changer des couches, lui montre « en pratique » que les problèmes métaphysiques sont de vrais/faux problèmes créés de toutes pièces, par la mécanique rationnelle purement infantile d’un sujet radotant, resté coincé à « l’âge ingrat ». 

« En théorie », ce soignant ne sait pas le dire, toutefois. Ouf ! Et heureusement que toutes les meilleures raisons du monde y ont pourvu ! Ces raisons se sauvent elles-mêmes, en effet, de leur mauvaise foi et de leur dureté, ainsi que de leur manque de consistance et de réalité, en interdisant à ce soignant (personne-corps) l’accès aux études supérieures (réservé  à une minorité sélectionnée de personnes-sujet), en lui donnant à picorer des prêts à penser honteux et effrayants de grossièreté, en réduisant au silence ceux qui rejettent la pâtée, et donc en faisant du soin dit « infirmier » et de ses pratiquant(e)s les boucs émissaires de tous les manques de science et de pensée du monde et de la-société. Il apparaît alors que cette « société », ou ce beau nid de vipères où nul ne peut être « intégré », en Dernière-Identité, est construit sur le modèle « simplifié » de la forme de pensée logico-réelle du sujet aliéné, et dominé par un sujet factice des institutions (sujet réel commun hallucinatoire) entièrement coupé de toute conscience et existence, mais dont le « pouvoir symbolique » est extrêmement efficace dans l’imaginaire maladif du sujet spontanément aliéné.

 

III – 5 Avec la résistance radicale à ce « pouvoir », on découvre donc, comme la psychanalyse, une ultime impossibilité du soin rationnel, là où le sujet aliéné reste irrémédiablement terré « chez lui » dans son trou/monde intérieur supposé « réel », entièrement placé à « l’abri » de tout « affect sensible ». Par contre, on voit que l’éthique empiriste du « care » s’affecte de cette impossibilité ultime et la dénie, pour affirmer aussitôt l’absolue possibilité de ce soin, ceci dans un fantasme délirant que toutes les professions de soin sont censées « réaliser », les « infirmières » au premier chef et sans interruption, en silence et jusqu’à la dernière extrémité, jusqu’à la dernière goutte de sueur, jusqu’à la dernière offense, jusqu’à la dernière humiliation. Or, si le soin est possible, c’est en Dernière-Identité, seulement, là où l’impossibilité psychanalytique demeure strictement sans effet, là où l’éthique (du) soin s’avère radicalement immanente au soin authentique, là où il suffit de nier l’impossibilité de ce soin, pour que cette « éthique » devienne très belle, très bonne, très véridique et très généreuse « en théorie », tandis qu’« en pratique », et en dépit d’apparences contraires qui hésitent de moins en moins à se moquer d’elles-mêmes, elle s’avère indifférente à autrui, très maligne, très mensongère ou très cynique. C’est ce qui permet d’affirmer que le soin dit « infirmier », parce qu’à la différence de l’éthique rationnelle, il ne lui vient même pas à l’esprit l’idée perverse et saugrenue de nier « avec force » le fantasme de l’impossibilité du soin, a de toujours sauvé de leur manque d’éthique et de science les soins très forts en négation, et donc réputés plus savants que lui, et même jugés assez savants pour savoir, que de ce refus de dire le « non » négationniste qui introduit la mort et l’infirmité dans la pensée, il résulterait le béni-oui-oui spontané d’un soin infirmier institutionnellement préposé à la satisfaction de tous les désirs et disposé à prendre en charge toute la bêtise et la méchanceté du monde. 

Or, en répondant plutôt aux besoins réels des âmes, des corps et du sujet, ce soin, toujours suspect d’hérésie, d’impiété ou de sorcellerie, sait très bien qu’il est tout à fait possible d’apporter à chacun l’attention dont il a besoin, sans pour autant céder au désir et encore moins prendre occasion de ce dernier, pour tout confondre et frustrer la réponse à ces besoins. Ce savoir-là, savoir gnostique immanent à la détermination au soin elle-même, est précisément ce qui ouvre à une science authentique des humains, science régulièrement déniée par un sujet auto-affecté d’un « réel » halluciné, dont le seul « souci » est d’empêcher l’épanouissement (de) cette science par tous les moyens, car le sujet (de) celle-ci, considéré comme « empirique », serait soi-disant trop « compromis » avec la matière et la sensibilité pour ne pas menacer très gravement la prétendue « pureté transcendantale » de son maître « réel ». 

En la raison de ce sujet « réel », rien n’est donc jamais « vérifié » qui ne se vérifie ultimement soi-même, comme menteur et inconscient, en la Dernière-Identité qu’il falsifie en fantasmes, à savoir aux dépends d’un soin authentique et vérace qui travaille sans spontanéité, ni bonté naturelles, car l’expérience d’un engagement professionnel au soin, un tant soit peu sérieux, montre que ce dernier demande un effort de pensée assez considérable, auquel la raison et son éthique victimaire n’encouragent pas du tout. 

Il faut ici choisir, en effet, entre la « liberté » du sujet aliéné, laquelle donne en raison le droit de renoncer au soin, voire de le refuser, et la nécessité radicale qui détermine à ce soin de façon autonome, mais en toute connaissance de cause, car ce qui est ici en jeu c’est (par exemple) la vie et l’apaisement des souffrances d’un vieillard dément, couvert d’excréments et qui vous crache à la figure. De là, on voit que s’il y a de l’éthique, celle-ci est seulement du côté (d’)Un-Soin authentique qui ne s’affecte pas de « l’humiliation » que représenterait le fait d’entrer en contact physique avec un corps souillé, ni de « l’injure » que lui ferait l’attitude d’une personne visiblement en grande détresse, presque entièrement détruite  par le « soin-monde » qui l’a broyée entre les rouages de la raison. Cette éthique est radicalement immanente à la pratique scientifique (du) Soin, sachant que cette pratique commence par celle (de) la Vision-en-Un, autrement dit par la pratique (de) la Théorie, en tant que telle, laquelle manque entièrement de la sollicitude qui prend lourdement en charge le souci, car elle met plutôt un suspens radical  aux craintes fantasmatiques du sujet, dès qu’il se voit uni à un corps dont la matérialité et la sensibilité le feraient « déchoir de l’ordre transcendantal » et « perdre son statut ».

Cette mise en suspens ne nie pas ce souci normal ou spontané, mais témoigne plutôt du « non »  de ce que j’ai appelé le Soin Radical (l’être-forclos (du) Réel ou l’en-Dernière-Identité, la « limite » d’irréversibilité ou de non-réciprocité (du) Réel et de la réalité qu’il (dé)termine), un « non » qui lève l’effectivité destructrice de la négation rationnelle dont le sujet aliéné, identifié au Soin Radical, affecte la vie humaine, ainsi que les personnes qui veillent à sa protection quotidienne. La pratique théorique (de) ce « non », qui est aussi celui de la non-philosophie, demande donc l’effort de pensée qui consiste à ne pas objectiver le patient et à voir avec lui une personne humaine qu’aucun fantasme, « déchéance » ou « animalité », jamais, ne pourra ultimement dégrader, ni dans sa pensée, ni dans son âme, ni dans sa chair, cette personne fût-elle affectée d’un sujet très aliéné, corporellement déformée par la vieillesse, la maladie ou le handicap, et se crût-elle diminuée ou déchue de toute dignité. Ce qui est encore une façon de dire que ce soin ne relève ni de l’onto-théo-logie, ni d’aucune évidence empirique ou même transcendantale, car l’évidence est précisément ce qui réaffirme fantasmatiquement la Vision-en-Un en voyant l’Un divisé-en-Être dans une tautologie (toute théorie de soin rationnelle se réduit à ce seul énoncé : « A = A »). On voit donc ici, sans évidence empirique, selon quelle vision transcendantale de la personne humaine, on peut avoir de celle-ci une vision sensible strictement non-empirique, vision selon laquelle on peut montrer avec quelle détermination on affirme sans ambiguïté une nécessité vitale et radicale du soin, une nécessité universelle que la raison affaiblit régulièrement en affectant les humains de la suffisance d’une généralité qui fait de chacun une quantité négligeable, et rend plus opportun de protéger ou d’honorer certaines personnes, jugées plus « importantes » ou « intéressantes » que d’autres. 

 

III - 6  De là, on s’abstient rigoureusement de faire la théorie de la pratique de la Vision-en-Un, et donc toute « théorie du soin », car si l’on fait cette théorie, tandis qu’on sépare la théorie et la pratique, jusqu’à les rendre contradictoires, on prend le soin et la théorie authentiques comme objets d’étude, opération qui objective la non-philosophie et ses symptômes, et détermine aussitôt un phénomène d’asservissement du sujet au Réel et à ses fonctions. Il s’agit d’un phénomène de « servitude volontaire » (La Boëtie) qui débouche sur un manque majeur de science, d’humanité et de soin, mais également sur l’institutionnalisation d’une division des humains entre eux, notamment entre maîtres (personnes–sujet, les élites, les mâles, les forts, les patrons, les dominants, etc) et esclaves (personnes–corps, le vulgaire, les femmes, les faibles, les prolétaires, les dominés etc). 

Chez ce sujet désormais aliéné, il s’ensuit l’apparition d’une perte de conscience, d’un désir de science, de soi et de soin auquel satisfait de façon éphémère, une recherche qui les vise intentionnellement (phénoménologie) ou comme fin en soi, à travers une représentation idéale ou une idée préconçue de ceux-ci, constituée à la suite d’une interprétation erronée du symptôme transcendantal (du) Soin et du sujet authentiques présenté par la sensibilité. Ce qui donne lieu à une construction rationnelle qui réalise cette idée dans une matrice conceptuelle (ne cherchez plus la femme et sa jouissance !), c'est à dire dans le symptôme recueilli comme « ordre transcendantal » supposé donné tel quel, alors qu’il ne l’est que par défaut. Le sujet « réel » s’en empare et y voit alors « l’ob-jet » que sont devenues les choses sensibles, après que son retrait « à l’abri du réel » les ait « jetées » très loin « devant » lui. À cet objet, il greffe le sujet empirique qu’il y pro-jette tel que reflet de soi, un reflet talonné par une ombre lancée à ses propres trousses, ou encore un sujet-projet et être-jeté (Heidegger) dans le « cambouis », chargé de faire travailler les pensées, les corps et les âmes aux fins soignantes, « impénétrables » et « supérieures » de son éminent « modèle » (Platon, R. Girard). Ce « concept de soin » fournirait ainsi « la connaissance de soi », mais aussi la connaissance a priori de « l’objet/sujet » que le soin authentique n’a strictement pas. Cette « connaissance » décrète que cet « objet/sujet » (i.e la personne humaine ou le sujet (de) la Force (de) Pensée uni, en Dernière-Identité, à (son) support corporel !) est en désir de science et de soin, alors qu’à l’inverse, c’est le sujet onirico-transcendantal, identifié au Réel, qui manque entièrement de la science et du « soin » qu’il « prend » fantasmatiquement  de/à cet « objet ». 

 

IV – INÉVITABLE, MAIS NON SANS REMÈDE

 

IV – 1 Une étude approfondie de ces phénomènes montre qu’il n’est pas du tout indiqué d’étayer le point de vue non-philosophique sur le commentaire, le remaniement ou la critique des innombrables théories de soin élaborées en raison, car un tel geste, qui prend inconsciemment appui sur le divisé (de) l’Un, disloque ou dissémine (Derrida) instantanément la structure (du) soin authentique. Certes il le fait en fantasmes transcendantaux, mais l’effectivité nuisible de ces derniers est à la mesure de la croyance en le fait d’être demeuré dans le point de vue non-philosophique. C’est ainsi qu’en ne prenant appui sur aucune division, on peut alors évoquer toutes les « théories » ou conceptions individuelles ou collectives du soin, dans une description du concept rationnel unitaire qui leur est commun, lequel montre leurs affinités structurelles profondes et leurs oppositions de surface, tandis que l’on peut en même temps les unifier selon la structure de la dualité-unilatérale, c'est à dire en indiquer à chaque fois le degré de pertinence au soin authentique. Ce qui accomplit, si l’on veut, une critique, mais au sens (du) Soin Radical, avec le « non » du suspens qui stoppe la course folle du soin-monde, mais sans y toucher, et le montre entièrement dépendant (de) la Dernière-Identité (ou du Soin dit « de base »), une Dernière-Identité sans laquelle l’idée même de soin serait inconcevable, et depuis laquelle celui-ci peut en quelque sorte « repartir », mais tout autrement, depuis une « base » strictement non-historique et non-révolutionnaire, « nouvelle » au sens où ne pèsent plus sur elle (ses) anciens simulacres et caricatures. 

On n’a donc pas affaire à la critique du « non » rationnel, lequel sépare les activités de soin, les enferme dans des limites artificielles, les hiérarchise, les met en conflit, en rapport d’indifférence ou de complémentarité inégalitaire, ou bien les place en concurrence ou en collaboration plus ou moins déloyales, tandis qu’il efface ou dégrade également les vernis superficiels (ou superstructurels) du soin-monde, en réaffirmant et reconduisant, dans les « nouveautés » révolutionnaires qui en résultent, la structure archaïque et sauvage de ce dernier. Cette « révolution » recycle les décombres de « l’ancien » soin-monde pour produire d’autres effets, certes nouveaux en apparence, mais tous marqués par la constante de leur point d’engendrement commun (le sujet supposé « réel »), lequel fait paradoxalement infra/super-superstructure. De là, il apparaît que toute tentative (spontanée) de « libérer » ou de « guérir » le soin-monde et son sujet aliéné de leur dépendance au Réel, met en œuvre cette négation et pratique un geste de rébellion t(h)é(rr)oriste relevant d’un dualisme primaire sauvagement interprétatif de la non-philosophie. Cette initiative supposée « salutaire », qui montre une confusion de l’opération de « dualyse » avec une action soignante (du) Soin Radical (strictement passif), affecte le soin-monde, entièrement rejeté et objectivé, d’une contradiction massive (absolutisation du « positivisme » sauvage de la technologie scientiste), laquelle conduit au suicide ou au crime contre l’humanité. 

Il est donc préférable d’admettre que cette dépendance est inévitable, mais non sans remède, car la Force (de) Soin, qui atteste du manque de pertinence de la raison à la science, au soin et à l’éthique radicalement immanente au penser et à l’agir selon l’Un, ne lui retire pas toute validité (très régionale) et peut prévenir et définitivement arrêter les dérives les plus perverses et catastrophiques du soin-monde dont elle fait un paradoxe qui se/la « dépasse » elle-même. Cette Force (de) Soin ne combat pas l’aliénation (le soin-monde ou « la-philosophie » au sens le plus commun), mais ouvre à la conscience et à l’assurance (de) ce que la raison n’est pas l’organon de la science, que celle-ci ne peut produire que de l’opinion, du sophisme, de l’idéologie et de la croyance superstitieuse, et bien sûr légitimer un manque majeur de démocratie, d’amitié, d’attention et de solidarité entre les humains.

 

IV – 2  Dans ma thèse, j’ai tenté de décrire le soin-monde le plus exactement et précisément possible, de façon à fournir des repères dans l’inextricable maquis que constituent ses labyrinthes tapissés de miroirs et hérissés de murs enchantés, repères qui permettent de déceler les pièges de la raison, en particulier le vocabulaire ad hoc et le type d’énoncés amphibologiques qui portent la signature perverse, négligente, naïve, paresseuse, hypocrite ou cynique du sujet aliéné. Ce faisant, j’ai montré que la non-philosophie n’est pas seulement l’organon de la Force (de) Pensée, mais aussi celui de la Force (de) Soin, une force (de) dire, également, selon laquelle, dans les énoncés, on appelle uni-voquement « un chat », un chat, selon le sens (d’)uni-versalité (de) l’Un. 

Le donné paradigmatique (de) l’immanence radicale (de) la Dernière-Identité (ou Dernière-Instance) que cette Force montre-sans-démonstration, détermine une multitude de pratiques (du) soin très diverses, mais toutes ordonnées à la Vision-en-Un. Ici, le sujet (soigneux et soignant) (de) la Force (de) Soin ne se présente pas comme modèle de vertu ou de perfection, car il ne s’excepte pas de son inévitable spontanéité. Tout simplement, il n’en est plus la dupe, et il apprend à la détecter au plus vite. Selon l’Un, il conseille et soutient les activités de chacun, sans jamais abandonner (son) prochain, et encore moins attaquer les conceptions et prises de position spontanées de ce dernier, même si certaines personnes peuvent éprouver la description sans concession (du) sujet aliéné et de ses « théories » comme une « attaque ». Or,  le sujet (de) la Force (de) Soin fait certes à chacun un « tort minimal », mais sans « attaque », exactement à la façon dont « fait mal » une « infirmière » qui administre par piqûre un médicament qui va  sauver la vie du patient. Le sujet (de) la Force (de) Soin ne donne pas, non plus, de leçon, ne prescrit aucune conduite et ne fournit aucune recette de vie, de santé, de bonheur ou de société parfaite, mais indique avec et selon quel soin on peut vivre ensemble sans exploiter, écraser ou tuer le voisin, agir, parler, soigner et penser de multiples façons, sans ambiguïté, sans ironie, sans exercer de pouvoir, sans (trop) se mentir à soi-même ou à autrui, ni (trop) nuire à quiconque.  

Le sujet (de) la Force (de) Soin, libéré du déshonneur intellectuel que font peser sur lui ses grotesques déguisements empiriques, peut également contribuer de façon pertinente à la fondation d’une science de la nature humaine qui pourrait être une non-métaphysique. Cette non-métaphysique peut débarrasser les sciences déjà existantes de leurs présupposés ontologiques plus ou moins inconscients, mais aussi contribuer à l’apport d’un remède préventif (voire curatif) des maladies les plus graves. L’extrême gravité de ces maladies (psychoses, cancers – entre autres –) est causée par les « remèdes » nocifs et les conceptions morbides du soin, concoctés par un sujet reclus dans la négation rationnelle qui lui sert de « soin radical », une négation qui fait de lui un charlatan, et avec laquelle il ne sait qu’enfermer et mettre à mort « l’incurable », après l’avoir violé et tourmenté toute sa vie, pour prix de sa résistance ultime à ses recettes de réussite, de santé et de bonheur.

De ce point de vue, si mon étude du soin entend éviter quelque chose, c’est bien à éviter, plus qu’un tort, des tortures devenues habituelles et affreusement banales, car j’ai cherché à en finir à jamais avec la soi-disant dureté de la vie et avec le présupposé réel fantasmatique de la mort dont le sujet aliéné affecte les vivants dès la naissance. Ce réel-Etre, négationniste de la vie et de l’existant, n’engendre que le néant hallucinatoire dont ce sujet s’affecte lui-même en suppliciant les corps, en mettant l’âme au garde à vous et la pensée au chômage. 

De là, on ne lutte pas contre la mort (médecine officielle), mais on fait et pense strictement sans elle, tandis qu’en accord avec la meilleure médecine, on en finit avec des traitements qu’elle appelle « symptomatiques », lesquels prétendent guérir les maladies en refoulant, en négligeant ou en faisant disparaître les signes qui orientent vers la cause de celles-ci. 

Aussi, avec pour seul guide l’apport axiomatique de l’expérience transcendantale de Dernière-Identité que les fonctions sensibles font (du) Réel, dans ma thèse je pense avoir fixé des repères théoriques et pratiques qui contribuent à la non-confusion entre soin et sujet authentiques et soin et sujet rationnels. Seulement, comme la clarté n’est pas la qualité première du véritable nœud gordien que constitue un soin-monde fait pour la pèche en eaux troubles, truffé de paradoxes enchevêtrés et donc réputé impossible à décrire et à expliquer en entier, j’ai fait le pari que rien n’est impossible à qui s’éprouve réellement déterminé à en finir avec le mensonge et avec les limites rationnelles à la connaissance, mais aussi avec la maltraitance, avec l’égocentrisme (in)divi-dualiste et avec l’exploitation sans limite du travail et de la sensibilité des vivants, quitte à en passer, lors des premiers pas, par des problèmes d’écriture et des expériences de pensée très spécifiques à l’étude du soin, qui ne sont pas classiquement ceux de la non-philosophie. En découvrant que le soin (de) Dernière-Identité ne peut être séparé du simulacre qui le nie et le réaffirme fantasmatiquement en s’asseyant dessus, j’ai vu, en effet, qu’il ne fallait surtout pas soulever ce… fondement de plomb, vaporeux comme un gaz, car ce fantasme ne « cache » rien que le néant du sujet identifié au Réel. Il ne fallait donc pas, encore une fois, « découvrir », de façon très ambivalente, que l’Un n’est pas ou n’existe pas, mais en montrer la fonction existante sans-être, en-soin-authentique, et tel que le concept a priori de soin-monde (l’identité tautologique) en est inséparable, du fait de l’inévitable aliénation spontanée du sujet. Ce qui présente une difficulté dont je craignais qu’elle fasse obstacle à la réception de mon travail, lequel risquait d’être jugé aussi obscur et compliqué que ce qu’il décrit. Cette crainte était on ne peut mieux fondée, car mes énoncés, dont l’impardonnable « défaut » était de ne guère se soutenir des évidences empiristes, rédemptrices, rassurantes et bien pensantes du care anglo-saxon, se sont montrés parfois même « illisibles ». 

 

IV – 3 Par ailleurs, à l’occasion du soin et du choix de la non-philosophie, le chercheur de bonne foi ne peut reculer devant l’apparition manifeste d’une résistance à celle-ci assez considérable et tout à fait insoupçonnée au début. Il lui faut affronter, en effet, une épreuve intellectuellement très angoissante en laquelle il se découvre tel que sujet idiot, stupide, impuissant et soi-disant « non-philosophe ». Cela ne se voit pas aussitôt, cependant, mais au fur et à mesure d’un travail de pensée et d’écriture assez long, imprésentable, sans concession à l’égard du narcissisme et donc souvent très triste et désespéré. Mais à force de détermination et de persévérance, ce travail finit par produire des effets de plus en plus encourageants et fructueux. 

Il s’ensuit que dans ma thèse, certains passages sont sans doute obscurs, car ils restent parfois marqués par cette lutte acharnée du sujet chercheur avec son inévitable simulacre aliéné. Cette lutte dans la pensée pour la levée de confusions très déroutantes et de paradoxes très intimidants, m’a conduite à traiter de problèmes de limite très délicats et permis de repérer des résistances très subtiles à la non-philosophie, lesquelles passent généralement inaperçues, car l’anxiété aidant, elles sont très promptes à s’évacuer sur le dos d’un « sujet empirique » que j’ai appris à regarder à deux fois, avant de prétendre à je ne sais quelle « pureté » non-philosophique. Cette étude qui découvre, auprès du sujet (de) la Force (de) Pensée, celui de la Force (de) Soin, découvre donc avec ce sujet (du) soin, celui d’une philosophie authentique, dont la non-philosophie est l’organon, en Dernière-Identité (ultime secours, en quelque sorte). Cette philosophie amie de la science, se montre bien sûr inséparable (du) simulacre érotico-haineux/amoureux qui la masque et l’idéalise/flétrit entièrement. Ce simulacre, ou « la philosophie » ronronnante standard (celle qui « dessèche l’esprit » Lévi-Strauss), est donc une formation perverse (et cocasse, cf. l’androgyne d’Aristophane) contre laquelle nul ne peut penser ou s’insurger, sans du même geste « jeter le bébé avec l’eau du bain », c'est à dire nier l’humanité des humains et passer à l’anti-philosophie scientiste, en saccageant et trahissant, du même coup de baguette infra-logique, la non-philosophie et la philosophie authentique, une philosophie que cachent mal, au demeurant, les meilleurs philosophes « historiques », ceux qui nous ont appris le courage, montré le chemin de l’effort, de la recherche sérieuse et de la lente méditation. Au moyen du « non » rationnel du sujet aliéné, le geste négateur d’une philosophie entièrement confondue avec le monde, refoule violemment (et inconsciemment) la philosophie authentique, en même temps qu’il piétine la chair, les os, la parole et l’esprit (de) l’Étranger que « nous sommes tous » (F. Laruelle), ce qui revient à mettre à mort la personne humaine en relançant l’érosophie aux dépends du sujet (de) la Force (de) Pensée, lequel est en dernière-instance, identique au sujet (de) la Force (de) Soin auquel il est uni de façon strictement non-érotique.

 

IV – 4 Mon travail dégage donc les premiers résultats d’une recherche fort loin d’être achevée. Celle-ci n’a pas cherché à plaire, et encore moins à se plaire, mais à penser, à savoir et à trouver, car ce qui sonne à la porte de la conjoncture actuelle du soin, c’est un renforcement de la dictature des marchés financiers, l’invasion barbare d’une idéo-techno-logie scientiste et anti-démocratique, négatrice de tout « sujet » et affirmatrice de l’animalité des humains, profondément hostile à toute forme de vie authentique, qu’elle soit humaine, animale ou végétale. De ce point de vue, on peut sans doute soutenir le projet des « nouvelles pensées du care », mais sans valider leur tentative politico-philosophique de sauver le système économique et social extrêmement cruel du soin-monde. Ce système, sans doute inévitable, peut être rendu autrement moins sauvage et barbare, mais à condition, toutefois, de suspendre radicalement la croyance en sa nécessité absolue. Ce suspens peut aider à travailler à un nouveau modèle de civilisation beaucoup plus pauvre en monde, et donc en guerres, en misères, en maladies, en exploitation et en élitisme, et ouvrir à la découverte de nouvelles formes d’existence et d’organisation collectives beaucoup plus justes, saines et épanouissantes pour chacun.

Cette étude qui n’a pas ménagé ses efforts en faveur de la constitution de ce modèle nouveau, que l’on peut dire non-anarchiste ou non-libertaire, constitue une étape exploratoire dont la présentation pourra être améliorée, sachant qu’elle ne demande qu’une chose : ne pas rester celle d’un chercheur isolé. 

Un travail à venir sera plus spécifiquement adressé aux « infirmières » et aux médecins, mais aussi aux patients dont le sort n’a jamais pu être séparé de celui des soignants dits « de base », ainsi qu’à tous ceux qu’il a toujours été trop facile d’injurier dans leur personne et de décourager dans leurs efforts de pensée, en leur reprochant leur « confusion » lorsqu’ils cherchent à dire selon l’Un, plutôt que de s’empâter la langue dans des métaphores douteuses ou dans de subtils  « calembours » et autres « artifices de vocabulaire » (re-Lévi-Strauss), ou bien en leur attribuant un « manque d’intelligence », lorsqu’ils préfèrent se taire, plutôt que de se la voir coincer/couper entre les bornes étriquées et acérées de la raison castratrice des forts en « gymnastique verbale » (Ibid.). Précisément parce que mon travail s’en tient à l’exercice concret, rigoureux et fécond de la théorie, sans avoir recours à des faits empiriques parfois très intimidants, il n’oppose à personne les « faits » et arguments sophistiques qui, « à l’évidence », démentiraient leurs propos. Il montre à chacun le soin et la parole qui font son honneur et sa dignité, tandis qu’il fournit un modèle (de) référence universel pour l’organisation de toutes les activités humaines, notamment politiques, économiques et sociales.

 

Enfin, je pense qu’avec la Force (de) Soin que j’affirme sans la réaffirmation qui l’affaiblit en « pouvoir » ou en « volonté de puissance », chacun peut découvrir que rien n’a jamais pu invalider l’indéniable fonds d’authenticité, de clarté et de véracité de sa personne, car celle-ci ne s’est jamais trompée, ultimement, à propos de l’existence (d’)un soin qui ne l’a jamais abandonnée  et qu’elle n’a jamais entièrement oublié. 

Avec cette Force (de) Soin, unie à la Force (de) Pensée, chacun peut donc montrer avec quelle force d’agir, de connaître, de vivre et d’exister, on peut lutter pour la science, la paix, la justice, la solidarité et la coopération, avec et pour une vie que nul ne peut plus vouer, ouvertement ou pas, à la misère, au sacrifice, au travail forcé et au néant, sans avouer son imposture et son manque majeur de légitimité. Cette Force (de) Soin peut en effet promettre un « avenir », dont ultimement aucune « illusion » n’a jamais pu nous couper, notamment en nous faisant soi-disant « rêver » à un « salut » ou à un soin dont l’existence serait finalement aussi indémontrable que celle de Dieu ou de l’Inconscient, un Dieu vengeur confit en la négation qui lui sert de bréviaire, et qui ne tient sa « providence » que de la violation du cœur le plus tendre et le plus humain de chacun d’entre nous.

 

 

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