François Laruelle : Quelle science est la non-philosophie ?
Description
Tout philosophe rencontre un jour ou l'autre son « Sokal ». Que des scientifiques qui ne comprennent rien à l'acte philosophique et à sa nature transcendantale et à sa torsion des concepts accusent les philosophes de détournement de la science, rien que de tristement normal. Mais lorsque des philosophes connus pour s'être frottés parfois sérieusement aux sciences endossent à leur tour le diagnostic d'imposture contre d'autres, acquièrent-ils plus de poids pour cela ? ou bien au contraire leur vision philosophique de la rigueur scientifique ne devient-il pas une arme pour faire passer plus sûrement ce qui n'est qu'une philosophie parmi d'autres ? Il y a longtemps déjà que la prétention de la non-philosophie scandalise à vouloir se présenter comme une science de la philosophie. D'une part c'est un crime de lèse-souveraineté, argument secret, peu avoué, vraie raison du fait que les philosophes se disent « déroutés » par ses affirmations. D'autre part elle ne répondrait pas à ce qu'est une science, à ses exigences minimales, c'est l'argument publique ou de surface. Une philosophie étrange ou paradoxale, c'est simplement amusant. Mais une fausse science, c'est grave. L'objection vient à l'origine de Deleuze revêtant les habits d'un Sokal philosophe (pourquoi pas une non-science autant qu'une non-philosophie?) puis de Badiou et de son entourage (impossible de réunir les conditions d'une science à partir de l'Un, les axiomes de la non-philosophie sont de faux axiomes). Deleuze par sa pénétration des sciences, Badiou par une connaissance très approfondie ont su habiller une résistance qui vient de plus loin, même si en particulier dans le dernier cas, ils ont rendu assez vraisemblable l'argument. Sa forme extrême est que la non-philosophie simule la science—reprenons le terme de Marx, elle « flirte » ou « fait la coquette » avec elle, comme d'aileurs les scientifiques flirtent sans être accusés de mauvaises moeurs avec la philosophie, il est même de bon ton d'être vu en compagnie d'une philosophie. Mais dans l'histoire de la philosophie, il y a beaucoup de flirts avec les sciences et de moins en moins de mariages consommés. Dans la non-philosophie, axiomes, théorèmes, déduction, expérience, modélisation seraient de pures apparences.