Des identités, des « couches » et des « séries »
Une fois des séries distinctes développées, on peut les mettre en relation. Celles-ci seront beaucoup plus riches que celles générées implicitement par les habitudes institutionnelles, elles pourront être conçues comme combinatoires, mais dans chacune de ces combinaisons, on pourra générer des axiomatiques différentes, et non pas l’une qui fonde les autres, comme dans le cas classique. On trouvera des postures où l’histoire des sciences enrichit beaucoup la philosophie des sciences, des cas où l’épistémologie permette des constructions interdisciplinaires inattendues, etc.
Pourquoi développer les formules ? tout simplement pour ne pas d’un point de vue exclure des sciences des pratqiues qui pourtant, dans les laboratoires, sont bien des pratiques scientifiques, que nos préjugés peuvent exclure. L’histoire des modèles en France en est la preuve, il y a encore des livres où l’on déclare qu’il faut distinguer les disciplines où la construction de modèles est une bonne chose, celles où elle de mauvais aloi, ou bien n’ayant qu’une valeur « pragmatique » (voir l’ouvrage de Pascal Nouvel ed. 2002, Enquête sur le concept de modèle, P.U.F., l’introduction de Nouvel et la préface de Dominique Lecourt). Ce livre est la réunion d’articles disciplinaires intéressants, comme on pourrait la faire dans une revue comme La Recherche, avec une introduction qui projette les significations des modèles selon les disciplines. Un tel livre est le résultat d’une point de vue normatif sur les sciences, cette norme étant la science classique et les Lumière. Pour éviter ce genre de travaux qui conduisent à des exclusions, suivons le plus simplement possible chacune des voies ou des couches que l’on peut exprimer de façon minimale.
Une telle démarche fait une hypothèse très forte, c’est que chacun des problèmes que nous examinons en fonction des « séries » ou des « couches » a une identité. Il n’est pas seulement la particularisation d’un problème théorique général. Il est tel qu’il est dans ses contraintes finies, dans son identité. Cette identité n’est pas une projection de la série, mais quelque chose que l’on postule préexistant à la série, qui en est relativement autonome, et rapporte l’identité à un Réel qui précède toute série, même les séries « philosophiques » qui supposent qu’elle le co-constituent (c’est cela leur « suffisance »).
Nous admettons un réel, que l’on ne peut qu’indirectement approcher par des identités, déterminables par les contraintes finies et les développements de chaque série ou de chaque couche. Ce sont elles qui nous permettrons de faire des hypothèses pour caractériser indirectement la science, et non l’étude d’un état historique qui suffira à le faire. Il faut développer tous les calculs que l’on peut, et les hypothèses n’en seront que plus riches. C’est ce développement, cette généralisation, que l’on peut appeler « non-épistémologie », ou épistémologie quantique.
On peut alors construire une sorte d’interdisciplinarité combinatoire où chaque série répète et continue les autres selon une autre dimension. Cette combinatoire permettra de développer de nouveaux langages pour caractériser, représenter, conceptualiser, simuler, etc… les sciences. Un problème est offert, « jeté » devant nous, et nous suivons des séries, construisons des couches, de telle façon que l’organisation en fonction d’une identité permette de faire coir de nouveaux développements. Il importe donc au début de ne pas préjuger de cette identité d’une façon ou d’une autre, mais de tenter des approches que l’on reprend bien des fois, en enrichissant à chaque coup les développements de chaque série. On peut aussi supposer que chaque série soit un paramètre d’une modélisation plus générale, et aborder ainsi les articulations des séries selon une « posture modélisatrice » selon un terme inventé par Léo Coutellec. Mais nous ajoutons qu’une telle posture a du sens lorsqu’un réel est postulé, et donc que l’on assume les risques et les engagements de cette posture. Les hypothèses de caractérisation des sciences pourront être comprise comme des invariants dans les transpositions entre séries, résultant ni d’un calcul particlulier, ni d’une axiomatique parmi d’autres, mais d’un style de pensée capable de l’un et de l’autre.
La question de telles couches a été posées parfois plus ou moins explicitement. On sait par exemple l’importance des métaphores géologiques chez Foucault pour décrire les ordres de savoirs et les articulations dans l’articulation des « mots » et des « choses ». Mais on trouve cette articulation par couches dans des domaines plus limités, aussi, je pense au livre de d’Espagnat, Conceptual Foundations of Quantum mechanics, 1971 et 1976, traite de telles couches, micro-, macro-, formalismes, interprétations, etc., en particulier dans les préfaces. Et il met aussi en relation cette pratique par couches et le concept de “reality” p. Xxxix).. Chacune des couches reste une métaphore tant qu’on ne la travaille pas pour elle-même, l’interdisciplinarité reste une dérive de l’activité disciplinaire tant qu’elle n’est pas rapportée à l’identité d’un problème et au réel dont cette dernière est une approche indirecte.
Nous verrons dans la prochaine chronique l’importance de cette approche pour comprendre les aspects éthiques des développements des sciences….