Le sujet non-philosophique : L'Univers en tant que théorie et pratique pour le Monde.
02/11/2004, Erik Del Bufalo
Il y a un sujet non-philosophique, nommé par Laruelle « Sujet-existant-étranger » ou «l'Étranger », qui ne se distingue pas de tout autre sujet sauf qu'il n'existe rigoureusement pas.
Il y a dans l'histoire de la philosophie maints genres de sujet, surtout après le cogito cartésien, tel que le sujet transcendantal de Kant, le Moi de Husserl, le Dasein de Heidegger, la conscience de Dennett, la machine abstraite de Deleuze, et ainsi de suite. Tous sont censés co-déterminer le Réel, dans une variété de manières selon la sorte de philosophie dont ils sont débiteurs. Or, dû à cette responsabilité qu'ils n'ont pas demandée nécessairement, ils sont supposés être tous des sujets vrais, voire réels, ne fût-il que le sujet clivée de la vérité, le sujet psychanalytique, qui est supposée être une réponse réelle autant que vrai au Symbolique par le Réel lui-même. Il y a certes beaucoup de genres de sujets dans des nombreux livres de philosophie et aussi dans d'autres livres. Nous pouvons commencer, pourtant, en posant les questions suivantes : comment est-ce que nous reconnaissons sérieusement un livre de philosophie ? Comment est-ce que nous reconnaissons la Philosophie elle-même ?
Il existe, certes, une réponse philosophique – au moins une – pour ces questions: seulement la philosophie peut reconnaître la philosophie, et par ce fait simple, nous sommes déjà dans la Philosophie ; nous sommes virtuellement philosophes. Autrement dit, nous avons spontanément l'"auto-position" de la réponse par l'"auto-donation" de la question. Donc, il n'y a aucune question à propos de la philosophie hors de la Philosophie elle-même. Quelle que soit la réponse sur la connaissance, voire la reconnaissance, de la philosophie, la place sur laquelle la réponse est donnée suppose, à son tour, une autre place, celle d'un emplacement extrinsèque mais intime qui rend possible le positionnement réciproque de la question et de la réponse. Le déplacement de la question par sa réponse est aussi un remplacement de la réponse par une autre question. Le Monde, défini comme le contenu de la pensée philosophique, est un éternel replacement transcendant de l'immanence du clivage (ou du négatif dans la terminologie de Hegel) entre la position d'une thèse – dans un sens élargie – et son positionnement – le caractère thétique de toute thèse – par rapport à ce qui est hors de celle-ci. Bref, le Monde est ce qui re-place la Philosophie.
Ce processus de remplacement dans lequel le Réel est restauré au Monde par la philosophie est l'essence de la Décision philosophique.
La non-philosophie est une discipline qui empêche ce remplacement perpétuel du Réel ; mais, nécessairement, non d'une manière réelle, car cela serait encore une position négative, quoique supposée encore réelle, de la philosophie sur le Réel. La non-philosophie assume le Réel tel qu'il (est) déjà forclos avant toute forclusion. Cette supposition n'est pas un principe doctrinaire, bien que ce soit une règle axiomatique. Néanmoins, la nature de l'axiome n'est ni géométrique ni même épistémique. Ce n'est qu'un axiome transcendantal. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que c'est une hypothèse pure qui n'enveloppe point sa thèse de façon circulaire en divisant l'hypothèse dans une thèse (ou tout contenu mondain) et dans une supposition (ou n'importe quel a priori déterminé), et qui seraient, en effet, déjà impliquées, l'une dans l'autre, dans une supposition dyadique, empirique et transcendantale à la foi, en tant que différence synthétique. La « Décision philosophique » suppose toujours que le Réel est impliqué dans les termes de son opération. Ainsi par exemple : on peut se déplacer interminablement de la position heideggérienne qui suppose que « l'existence est l'essence de l'homme » à la position sartrienne « l'existence est avant l'essence ». Ce qui est en jeu ici, à l'occasion, n'est pas seulement les deux termes de la dyade (existence/essence) mais aussi l'opération de division et de synthèse des termes qui constituent la triade de la structure décisionnelle de la philosophie : le partage (la participation) du Réel dans des formes dyadiques, puis inévitablement triadiques, du réel par la pensée (le monde, la réalité...). En effet, cette structure concerne, la plupart du temps, non purement des propositions antithétiques, mais implique des systèmes compliqués et antagonistes de la pensée ; par exemple : logos/doxa ; idéalisme/matérialisme, pragmatisme/structuralisme, métaphysique/positivisme logique; et même des formes vulgaires de philosopher telles que capitalisme/communisme, mondialisation/anti-mondialisation, occidentalisme/orientalisme, sexisme/féminisme ou encore des formes du type : philosophie/anti-philosophie. Néanmoins, cette guerre philosophique n'est guère uniquement une guerre « intellectuelle », car le conflit implique une décision portant sur le Réel lui-même. De ce fait, vous pouvez voir cette guerre non exclusivement dans les colloques de philosophie, mais aussi prendre place dans votre écran télévisé sans que vous vous avisiez nécessairement, horrifié peut-être ou non, du peu de réalité du Réel en question.
Dès que le matériau de la Non-philosophie est la structure de la Décision philosophique, laquelle est une décision particulière qui impose une position du Réel par la pensée, le Monde (c'est-à-dire, tout contenu donné supposé être réel d'après, à la limite, un a priori philosophique) est toujours un produit transcendant qui est immanent à la philosophie, et dont l'exploit est en rapport au paradoxe moderne d'un Univers affranchi et d'un sujet ptolémaïque, d'un Univers opaque et d'un sujet responsable auprès de cette opacité. C'est pourquoi le sujet de la non-philosophie est un axiome vivant. Autrement dit, il n'est que la non-division entre la forme et la matière ou entre toute autre structure double. C'est une forme non-aliénée, donc, une supposition du performatif qui présente unilatéralement l'existence de quelque chose d'autre que le Réel : il est l'in-différence non-thétique (ni différence ni identité, mais en-identité) des thèses de la Pensée-Monde. Le sujet non-philosophique est ce qui universalise le miroitement réciproque du monde et de la pensée, de la présence et de la représentation, de la place logique et son remplacement empirique. Le sujet, en tant qu'étranger au Monde, n'est pas celui qui place la complexité de la Pensée –Monde comme « illusion » – dans le sens de Kant –, car une telle « illusion » est encore censée être un replacement du Réel. Ainsi, l'illusion kantienne est un paradoxe dès que l'illusion transcendantale – le fait que le Réel soit toujours moyenné par notre subjectivité – est supposée une illusion réelle. La vraie illusion n'est pas la collection des antinomies de la raison, mais l'existence même de l'Autre-que-Réel, lequel a toujours la prétention de remplacer le Réel par la réflexion de l'autoposition et de l'auto-donation philosophiques. Le Monde n'est pas seulement une illusion ; il est une hallucination lorsqu'il n'est pas supposé être l'autre du Réel mais le Réel lui-même. Le Monde est une hallucination transcendantale, non à cause du sujet, mais à cause précisément de la résistance à l'identité radicale du sujet, produite par l'action de la dualité intrinsèque à la Décision philosophique. Celle-là réclame toujours et l'auto-donation du Monde et l'auto-position de la Pensée. Le sujet non-philosophique – cet Étranger radical à la Philosophie autant qu'au Monde – est un sujet prolétarien authentique, parce qu'il n'est ni donné ni positionné dans aucune classe, ou catégorie, mais c'est l'identité de dernière instance de tous les sujets de toutes classes. Celui-ci n'est pas autre que le sujet radicalement aliéné qui travaille foncièrement pour le Monde. Il est un prolétaire-sans-proletariat, un prolétaire en-dernière-instance seulement.
Identique au Réel avant toute identification, le sujet non-philosophique n'est point un sujet réel ni ne jouit, donc, d'une subjectivité réelle. Il est un « clone » du Réel. Cette définition axiomatique du sujet, comme identité clonée du Réel pour l'Autre-que-Réel, n'est que la récupération impossible du sujet par la philosophie, voire le monde ; il est identique au Réel mais seulement en-dernière-instance. C'est-à-dire, il est identique au Réel avant tout type d'identification. Il est « adéquation sans correspondance » projetée pour l'inadéquation absolue entre le Réel, unilatéralité ou universalité (bref, identité), et la dualité Pensée-Monde. Dans un sens, il est plus divisé que la division lacanienne du sujet. Cependant, sa division est une identité radicale ou une division-en-Un, c'est-à-dire, à la lettre, une division universelle, donc, indifférence pour le monde (pour la pensée). Cela veut dire qu'il est le rapport uni-versel de la di-vision-en-Un entre la dernière instance du Réel et l'instance relative du Monde. Le clone, dont la force de travail est le sujet-existant-étranger, vit, en tant que division sans dualité, dans et pour la complexité de la Pensée-Monde. Néanmoins, l'on a présenté seulement le sujet de la supposition sur la subjectivité foncière de la Décision philosophique comme altérité radicale et non point comme la différence de la supposition elle-même. L'on n'est pas, par conséquent, dans la logique de Hegel, car la reproduction en-identité par clonage de l'identité-de-dernière-instance entre le sujet et le Réel ne peut pas être une relation négative. En outre, la place d'où l'on s'autorise à formuler cette proposition sur la Philosophie est radicalement aliénée, bien que celle-ci ne soit pas différente de la Philosophie. On n'est pas, donc, dans la place négative et, par conséquent, spontanément critique, de la philosophie qui est effectivement l'essence de la Philosophie.
En tant que discipline, la non-philosophie opère sur la distinction philosophique impraticable entre philosophie et non-philosophie. Cependant, elle rend possible la distinction rigoureuse entre le Réel, le Sujet et la Philosophie. L'instance, ainsi, dont la non-philosophie s'autorise pour postuler un sujet non-philosophique est radicalement non-problématique. Cela entraîne sa difficulté ; car la distinction entre le Réel, le Sujet et la Philosophie (Monde) n'est pas l'objet d'une réflexion mais l'acte d'une théorie. Par un acte de Théorie, la non-philosophie conçoit un acte unilatéral. L'acte d'une formule originale ou d'une perspective sans miroir1 : la théorie est l'acte d'un vrai spectateur, d'une vision unilatérale. La théorie est une vision au sens unique, et par conséquent, renonce à toute image, voire reflet, du Réel. Certainement, et non seulement par son étymologie, théorie et théâtre sont confondus dans la philosophie, véritable « teatrum philosophicum » où le Réel est censé partager la scène avec la représentation philosophique. Par contre, la Théorie est la vision réelle de la représentation et non point la représentation qui partage le Réel entre présence, déjà nécessairement performée, et représentation, déjà étymologiquement dyadique. En conséquence, cette perspective sans miroitement, irréversible, interdit toute réflexion entre le principe et le déroulement, entre celui qui voit et son image dérobée.
Dès son origine – ne fût-ce qu'un jamais inaugural – le sujet philosophique a été toujours un sujet spéculaire, reflété dans des dyades de la philosophie, comme le sujet aristotélique animal/rationnel et ses dérivations historiques : un dispositif cosmo-onto-logique qui tamponne les possibilités de toute théorie utile de la pensée et d'une pratique efficace du monde ; celles-ci sont seulement envisageables depuis un véritable sujet, un sujet rien que sujet. Inversement, la théorie philosophique – toute autre chose que la théorie de la philosophie – est cette dualité de la vision qui se manifeste déjà dans la Theoria platonicienne : l'intuition des formes intelligibles suppose le sujet empirique de l'intuition, alors que ce dernier est déjà impliqué paradoxalement comme phantasia de la forme donnée et discriminée par l'intuition elle-même.
Plus récemment, dans son « inversion du platonisme », Deleuze a signalé l'impossibilité d'une vraie distinction entre théorie et pratique ; seulement c'est vrai le « relais », le plateau, l'espace intense ou d'immanence, entre la théorie quand elle devient action et l'action quand elle franchit le pas de la théorie. Pour Deleuze la théorie est une « boîte à outils » de principes locaux ainsi que variables confrontée à des vrais obstacles et orientée à une multiplicité d'actions. La distinction entre théorie et pratique aurait toujours impliqué le problème plus général de la médiation, du pont, du passage, du devenir entre les deux. Dans la pensée de Deleuze, ce problème traditionnel atteint son paroxysme et devient une question ontologique. Ainsi, cette distinction est analogue à celle qui loge entre l'Être et la Pensée formulée dans les termes les plus parménidiens : les termes, (de) la différence, sont différenciés a priori, mais ils forment, d'une façon synthétique, quoique transcendantale pour la métaphysique, la dyade du Même : l'identité d'une différence.
Ce qui vient à la place du Réel dans l'ontologie de Deleuze n'est pas l'existence de l'opposition dialectique des termes donnés, mais le mi-lieu de l'opposition elle-même. Ce qui est réel n'est pas l'existence mais, seulement, l'insistance, l'immanence, des relations. Si, par des procédés distincts, Hegel et Marx résolvent la contradiction par un de ses termes, Deleuze élimine la contradiction en installant le Réel dans le milieu de l'opposition qui, bien sûr, n'est jamais un terme, mais un devenir logique illimité. Toutefois, même comme le « relais »2 in-fini et in-terminable des termes finis, le rapport amphibologique entre théorie et pratique partage encore le Réel. Le sujet-rhizome qui dérive de cette position habite toujours dans le mi-chemin entre l'objet et le sujet, considérés, tous deux, comme termes ou signifiants transcendants. Le problème se déplace perpétuellement de l'opposition du théorique et du pratique à la dualité du Réel, c'est-à-dire, à la dualité théorie/pratique en tant que celle-ci est censée être une dualité réelle.
Le sujet non-philosophique, en tant qu'altérité sans différence, rend unilatérale la dyade intrinsèque de tout sujet philosophique, tantôt platonique tantôt post-structuraliste. Dans les deux cas, Platon ou Deleuze, il s'agit seulement des causes occasionnelles ou des symptômes déclanchant la performance du sujet universel. Il universalise la Décision philosophique qui est une décision dont le Réel est censé être impliqué dans la dualité de la réflexion, voire de la réversion, de la pensée et du monde. Or, en révélant unilatéralement la dyade empirico-transcendantale, le sujet non-philosophique ne peut pas être différencié ni comme terme, qui peut être remplacé ou réapproprié par la dyade, ni comme rupture de la dyade elle-même, ni par transcendance ni par immanence, pour revenir ainsi à une dyade nouvelle. En conséquence, c'est la dyade entière ce qui est différencié unilatéralement comme un seul objet double. La supposition performative d'un sujet non-philosophique n'est que la supposition de l'instance universelle du Réel. Supposer l'Univers veut dire qu'il y a seulement une version du Réel, et que le Réel est vision-en-Un et, par conséquent, l'Autre-que-Réel n'est ni une autre version du Réel ni un version réelle de l'Autre. Bref, s'il y est l'Univers, le Réel et l'Autre-que-Réel, sans devenir le même, sont toujours à la même place. Le Monde ne gît pas hors de l'Univers.
Alain Badiou, dans sa Théorie du sujet3 , offre un exemple de l'universalité de l'acte dans sa performativité symbolique. L'invention, par des mathématiciens italiens du 16e siècle, du nombre imaginaire i qui est la solution de √-1, a contribué à la résolution des équations du deuxième degré. À cause de cette invention imaginative, beaucoup de choses non-imaginaires sont devenues envisageables. Cela est un acte, et l'acte n'est que l'opération du renoncement de la détermination symbolique du Réel pour la détermination du Symbolique par le Réel. Dans cet abandon de la connaissance comme réflexion, correspondance ou vérité du Réel, la modification de la structure symbolique d'après le Réel est possible. Cette réponse unilatérale du Réel – non par le Réel qui est indifférence radicale à l'acte – où il n'y a point de corrélation ni positive ni négative entre le Réel et sa symbolisation est le sujet universel.
Or, l'insuffisance de l'acte, dans l'analyse de Badiou, est remplacée trop vite, infiniment vite, structurellement vite, par la suffisance de la philosophie qui rapporte le possible et l'impossible à la réflexivité cosmologique ; même si ce nombre – le nombre imaginaire i – est la possibilité d'un vrai nombre impossible. En ceci on peut trouver le coeur de la Décision philosophique – dans un mode occasionnel seulement – exprimé dans le matériau philosophique chez Badiou. On peut voir comme le Réel est partagé entre la vraie possibilité de la symbolisation et une conception du Réel comme dernier exemple impossible de cette symbolisation, de la sorte ne se produit, littéralement, que la détermination imaginaire du Réel par l'action de la pensée. L'origine de l'amphibologie du nombre imaginaire chez Badiou n'est qu'une variante de l'appropriation philosophique du noeud Borroméen dans lequel Lacan articule les trois topoï de l'inconscient: le Réel, l'Imaginaire, le Symbolique.
Alenka Zupančič4 , a souligné la pertinence, dans un livre homonyme, d'une « éthique du réel », dont les conséquences tournent de la conception psychanalytique du Réel, comme l'impossible, autour du « royaume du possible », encadrés par le Symbolique – c.-à-d., l'instance du langage où il n'y a pas de métalangage, voire le langage tout court –, et l'Imaginaire – c.-à-d., l'instance de liens sociaux qui forment la culture. La « rencontre » d'un Réel impossible – et qui n'est pas pourtant inaccessible ! – place celui-ci comme une chose qui change le sujet, comme un « événement » dans les termes de Badiou. Plus précisément, comme un événement qui ne peut pas être appréhendé par le sujet du Symbolique sans la destitution de ce sujet, et par conséquent, cette rencontre constitue un changement radical dans sa relation avec le langage qui donne la Loi, et dans sa relation avec l'Imaginaire qui donne le rapport avec les autres. Zupančič contraste cette éthique du Réel avec l'éthique du Symbolique, incarnée par « l'impératif catégorique » kantien, lequel est censé arrêter, de manière régulièrement antithétique, toute rencontre avec le Réel. Cependant, nous pouvons généraliser les éthiques du Symbolique à toute la Décision philosophique elle-même, dès qu'elles assument toujours une position quasiment topologique de réversion entre le Symbolique et le Réel. Bien sûr, les enjeux impliqués par cette généralisation sont très complexes. Il y a un complexe philosophico-psychanalytique qui peut être amplement trouvé chez les philosophes contemporains, dans une variété de formes comme chez Deleuze, chez Badiou, chez Žižek et chez Zupančič parmi beaucoup d'autres. Laruelle a recherché pour une grande part la structure décisionnelle générale des amphibologies qui existent entre la psychanalyse et la philosophie dans, tout spécialement, sa Théorie des Étrangers5 ; on remarquera seulement que le rapport dyadique entre le Réel – comme dernière instance impossible de toute symbolisation – et la symbolisation possible du Réel (supposé être un impossible logique) produit une réflexion circulaire ou dialectique qui assume dans la Pensée-Monde le re-placement imaginairement infini du Réel.
L'Univers, c'est-à-dire, le sujet uni-versel, est le vrai acte radical pour l'éthique et pour la politique. Car, le sujet en tant qu'agir unilatéral permet, contrairement à l'idée ou au concept – lesquels peuvent uniquement la présumer – l'insuffisance de l'Imaginaire comme rapport réversible du Symbolique et du Réel. En conséquence, le sujet universel de la non-philosophie agit du Réel pour ses représentations philosophiques tantôt négatives tantôt positives. Autrement dit, il unilatéralise la Décision philosophique comme objet d'une dualité qui n'a aucune image dans le Réel en même temps que cet objet est rendu universellement double. Le sujet non-philosophique n'est un sujet ni éthique ni politique, mais il est non-philosophiquement construit, comme clone de l'identité forclose du Réel, pour l'éthique et la politique qui sont des instances foncières à la Décision philosophique. Le sujet non-philosophique appauvrit les dyades totalitaires, puisque auto-suffisantes, de l'éthique et du politique, du type individu/collectif, théorie/pratique, peuple/démocratie, souverain/représentant, moyens/fins, utopie/sciences humaines. En rendant celles-ci des objets duaux en même temps que des objets sans division par l'acte d'un sujet universel.
En restaurant les dyades auto-déconstructrices comme des objets spécifiques de la suffisance et de l'autoritarisme philosophico-politique, le sujet unilatéral de la non-philosophie introduit l'insuffisance dans la dyade elle-même – qu'il ne sépare point pour produire des nouvelles dyades – par rapport au Réel, alors qu'il halte l'insuffisance de la détermination du Réel de devenir insuffisance du Réel lui-même. C'est l'œuvre éthique et politique du sujet universel. Plus précisément, son exploit non-éthique et non-politique dès que les éthiques et les politiques sont immanentes à la structure philosophique. La non-philosophie n'est pas une éthique du Réel, plutôt est une éthique qui va du Réel au Symbolique et à l'Imaginaire, tous les deux réduits à un objet double ; elle est plutôt une éthique selon le Réel pour le Symbolique et pour l'Imaginaire, bref, pour l'Autre-que-Réel. En conséquence, les liens sociaux, la relation subjective à la Loi, et le quotient politique de ceux-ci sont seulement vrais en-dernière-instance ; autrement dit, ils n'ont aucune image ou représentation ni dans le Réel ni pour le Réel. Les représentations – représentations sans présentation réelle – sont seulement vraies en-dernière-instance, et par conséquent il n'y a aucune vraie représentation, cognitive, esthétique ou politique du Réel, ce qui a été toujours la prétention essentielle de la philosophie.
La philosophie est, certes, un objet fuyant, presque insaisissable. La non-philosophie travaille seulement avec cette matière philosophique rendue matériau pour le monde, le monde qui est déjà une dyade : la Pensée-Monde. C'est le coeur de la question de tout ce qui a de l'intérêt pour le sujet universel. Pour la non-philosophie, la philosophie est une structure, et pas seulement un simple corpus des auteurs, des ouvrages, des livres et des articles. La non-philosophie est a priori, de droit, le chemin vers une vraie efficacité de la philosophie comme d'une vraie pertinence du Monde, en ceci réside son importance mais non pas sa nécessité, elle est un acte, donc un artifice, une formule humaine, pour le monde et la philosophie. Alors que partie philosophie et partie monde, l'éthique comme la politique, y compris leur distinction ou leur identification, sont réduites à des dualités unilatérales dans lesquelles le Réel est exclu comme objet mais non pas comme cause universelle, voire universalisante. La question de Lénine : « quoi faire? » devient seulement une question pour le Monde ou pour la Philosophie mais non point pour le sujet de l'acte qui n'est rien d'autre que l'identité-de-dernière-instance de la théorie et de la praxis. Qui plus est, la Pensée-Monde ne cesse de produire spontanément des nouveaux problèmes amphibologiques à l'occasion de la présentation du sujet universel. Néanmoins, le Monde, sans aucune réflexion possible sur le Réel, est abandonné à lui-même. Un sujet qui est identique au Réel, sans devenir pourtant un sujet réel, ne peut qu'être inintelligible pour la philosophie – c.-à-d., pour l'hallucination transcendantale qui rend l'existence du Monde possible. Le sujet universel de la non-philosophie, un non-sujet-pour-tous-les-sujets philosophico-mondains, résout l'invraisemblable antinomie de l'existence d'un Monde dans un Univers, d'une manière seulement universelle, et pour le Monde. Toutefois, la condition pour atteindre ce dessein est de renoncer à toute autorité philosophique du Sujet par rapport au Réel et du Réel par rapport au sujet. Dans ce sens, le Réel n'est pas une chose positive (comme l'événement chez Badiou) ni négative (comme la chose en-soi kantienne) mais seulement une catégorie du sujet uni-latéral et uni-versal, lequel n'habite que comme un étranger radical, un étranger de part en part, pour le Monde, mais qui est, pour la même raison, radicalement responsable, dans le sens qu'il est le seul capable de répondre, dès la racine, dès la forme du Réel, à l'aliénation relative du Monde par rapport a la forclusion du Réel.