La raison contre l'intuition ? - Forum ONPhI

La raison contre l'intuition ?

22/03/2006 à 13:17
Par: Jean-Michel Lacrosse
La non-philosophie donne-sans-donation le Réel et dans le même geste la Philosophie. Une forme de donation de ce genre instantanée, complète et exacte est couramment considérée comme de l’intuition. Ce qui classerait de facto la non-philosophie dans l’intuitionnisme. D’autant plus facilement qu’elle nie la capacité de la philosophie d’atteindre au Réel, et qu’elle ne lui accorde que la capacité à appréhender une hallucination logosgique, mathématique (et machinique).

Pourtant, simultanément à ce donné, la non-philosophie revendique une rigueur radicale.

<strong>I.1 LE STATUT DU DONNE-SANS-DONATION ET DE L’INTUITION</strong>

Le donné-sans-donation ne peut, cependant, être considéré comme une faculté pré-rationnelle participant de l’intuition sensible puisqu’il ne tire pas du Monde sa pratique.
Il n’en est pas plus une aptitude supra-rationnelle :
• Ce n’est pas une intuition pure, car quelle serait la forme a priori d’une sensibilité à un Monde non encore donné ? Même l’espace et le temps ne sont pas « nécessaires » à la pratique non-philosophique. D’une manière générale, la « chose en soi » est pour la non-philosophie de l’ordre de la philosophie et non du Réel (qui ne peut être désigné).
• ni une intuition d’essence, aucune appréhension immédiate par les sens n’étant déterminée par le donné-sans-donation, qui au contraire permet la pratique en Réel – immanence radicale – insaisissable, indésignable, in-causé. Si le Réel est Vécu, ce n’est pas ce Vécu qui donne-sans-donation. Où plutôt, depuis la posture de la pratique du donné, aucune cause, Vécue ou autre, ne peut être déterminée.
• Ni une intuition mystique, même si la non-philosophie à la forme de la religion. Car elle n’affirme atteindre la connaissance ni de la totalité, ni de l’absolu, ni de l’Etre, ni de Dieu(x), ni même du Réel. Monobstant son assertion d’être « En Réel ».
Le donné-sans-donation n’est pas plus une intuition intellectuelle, le donné-sans-donation permettant la pratique du Réel et du Monde.
Il ne s’oppose pas non plus au mode de prise scientifique fondé sur l’induction et la déduction.
<strong>I.1.1 Donné-sans-donation n’est pas en Vérité</strong>
Cependant, le donné-sans-donation n’obéît pas non plus aux prémisses d’Aristote. Il ne nécessite ni la donation préalable d’une Vérité, ni celle du tiers exclus. Une telle attitude pourrait laisser penser que si le donné-sans-donation n’est pas consistant et ne dispose pas à priori de la négation son contenu est trivial (et donc sans intérêt), mais la non-philosophie montre que la rigueur ne vient pas des principes posés a priori mais de l’identification de la pratique de transformation transcendantale. C’est parce que les pratiques praticables en pratique (sic) ne permettent pas toutes les pratiques mais seulement celles de la-philosophie donnée et que ces pratiques sont en identité identifiées.
<strong>I.1.2 L’intuition non-philosophique est liberté</strong>
Aucune limite autre que formelle n’est demandée au donné-sans-donation, et ces limites formelles ne sont que les conditions de la rigueur :
• donné-sans-donation (du) Réel – immanence radicale – et dans le même geste de la-philosophie – pratiques et décisions – .
• la-philosophie est donnée en identité, de manière explicite et formelle (la décision).
• Aucun retour, pli, cause, dépassement, suppression ou ajout du donné-sans-donation ne peut être pratiquée en « cette-fois-ci ».
• La non-philosophie est « en pratique ».
Si ces conditions sont suffisantes à la non-philosophie, ils ne lui communiquent pas leur suffisance. Si l’intuition non-philosophique est définie comme le donné-sans-donation (de) l’Homme en pratique du Monde, celle-ci défini bien une liberté qui n’a rien de suffisant.

<strong>I.2 DOGMATISME</strong>

Il est clair que cette liberté sans suffisance est l’antithèse du dogmatisme. Cependant il est tout aussi clair que la non-philosophie a une apparence dogmatique.
<strong>I.2.1 le donné-sans-donation est « acte de foi »</strong>
Cette apparence est due à la pratique non-philosophique que est « une-fois-chaque-fois », or pendant une pratique de « cette-fois-ci », rien ne peut agir, causer, modifier ce qui est « donné-sans-donation ».
La pratique en « cette-fois-ci » est dogme et acte de foi. Elle forme un chemin dont l’identité est appelée Destin. Mais ce même chemin est cause de la rigueur, parce que la cause est pratique en philosophie – en Monde – et que la conséquence est identifiée.
<strong>I.2.2 Fondamentalisme ?</strong>
Mais là où l’on s’attendrait a du fondamentalisme, l’on ne trouve plus de fond, car si – du point de vue de la philosophie – le Réel est cause en dernière identité, du point de vue de la non-philosophie ce Réel n’est plus un terme. S’il peut être vu comme symbole depuis la pratique philosophique, marque de connaissance et de reconnaissance, manifestant et figurant un caché – dé-couvert ; depuis la pratique en Réel, il n’est plus « que » pratique en pratique.
Depuis la posture non-philosophique, ce n’est plus le Réel qui est symbole, mais la-philosophie qui est simbole.

<strong>I.3 FUSION DE L’INTUITION ET DE LA RAISON</strong>

La non-philosophie représente donc la fusion en toute rigueur et… pour constituer cette rigueur même, de l’intuition et de la raison. Une intuition raisonnée qui en pratique devient une intuition raisonnable.
<strong>I.3.1 L’immanence radicale une altérité raisonnée</strong>
La non-philosophie démontre que pour une pratique en rigueur, qui obéit à la causalité et à la logique, il est nécessaire de pratiquer un donné, un donné formel et explicite.
Il est aussi nécessaire de disposer d’une origine ou d’un fondement.
Mais elle démontre également que quelque soit cette origine ou ce fondement, un autre peut être mis en pratique. Si le fondement est fait par le Tout alors nous perdons la rigueur, et le Rien ne fonde pas.
Le Réel, le Réel radical, celui qui détermine en dernière identité la philosophie – le Monde -, ne peut ainsi être qu’autre. Altérité radicale. Pas l’Autre, qui est mon Autre ou mon Autrui, mais cette identité qui ne peut être rien d’autre… sans être rien.
Cependant une altérité radicalement absolue ne pourrait rien déterminer du Monde – même sur un mode hallucinatoire – il faut donc que l’altérité radicale pratique le Monde.
Le Réel est donc immanence, immanence radicale, et le Monde : « pratique en Réel ».
<strong>I.3.2 Une raison sans intuition n’est pas raisonnable</strong>
La raison est identification de la chaîne causale, mais ne permet la détermination de la dernière identité. La raison nécessite un départ qu’elle ne peut se fournir à elle-même.
L’intuition non-philosophique, bien qu’elle ne soit ni infaillible puisque ne reposant pas sur la complétude, ni démontrable puisque incausée, ne reposant pas sur la vérité et la certitude mais sur la capacité a douter, permet l’inférence et la compréhension comme la science.
L’intuition, comme forme de liberté qui donne identité (à l’)autre est ainsi la source de la Raison.
Réponses (3)
Yves Blanc 22/03/2006 à 20:33
Merci pour ce propos des plus "confus" qui éclaire prodigieusement, subitement le sens de la non-philosophie. A moins que je l'interprète à tort, ce qui est toujours possible !
Vous définissez donc la non-philosophie comme une intuition libre, autrement dit une confusion de l'intuition et de la raison.
Mais il n'est que le statut même du langage dans son élaboration pour supporter une telle définition confuse : il se crée, s'exprime immédiatement (1) dans sa pratique même (2)?
Alors, faut-il considérer le Réel non-philosophique comme l'avènement du langage ?
Et au risque de me répéter, c'est bien en ce sens que je vois du génie dans la non-philosophie : elle est théorie tout autant que pratique "en toute rigueur" du langage puisqu'elle en fournit la définition la plus générale.
(1) d'où l'idée d'intuition pour le définir.
(2) d'où l'idée de parfaite liberté, d'immanence radicale, puisqu'il n'évoque rien que lui-même, puisqu'il se crée ainsi comme son propre objet... de réflexion.
pascal morvan 31/03/2006 à 00:26
le genie non philosophique,doit se perdre ,pour devoir en arriver alors a la philosophie:et ce sera bien l un des a etre devenu un vrai philosophe
Yves Blanc 11/04/2006 à 01:57
J'aurai parlé de "confusion" par humour, rien donc de péjoratif dans cet emploi. Il indique plutôt le fait d'une essence originairement complexe de la posture, de l'esprit non-philosophique, qui lie de manière indivisible intuition et raison.
Mais alors, que peut donc bien être ce métissage de deux modes de pensée réputés contraires ?
La lettre de François Laruelle du 24 mars dernier en fournit la réponse : cette fusion de l'intuition et de la raison se traduit au plan de l'esprit par une originaire dissidence, ou " résistance première ". Rien d'une ré-action à un monde donné, mais une in-action ou in-satisfaction immanente, bref un certain "désir" spirituel, un certain désir propre à la pensée, un désir ou moteur de la pensée : la " force (de) pensée "* proprement humaine. Cette réalité première du désir, telle est, pour le dire autrement, le Réel non-philosophique.
Il faut voir dans cette définition rigoureuse de la non-philosophie, une traduction originale, une actualisation (au sens où elle utilise un lexique inédit qui surprend, et c'est là le prestige de la parole non-hilosophique) d'une réflexion philosophique qui l'est - du reste - peut-être moins.
Cela dit, une telle identification du désir au mouvement propre (à l'énergie) de la pensée, qui en consacre le statut " in- " (autrement dit " non- ") plutôt que " méta- " physique, saurait-elle à elle seule justifier du progrès théorique accompli par l'esprit non-philosophique ?