TR 2004/05 : La raison et l'esprit

TR 2004/05 : La raison et l'esprit

Qu’est-ce qu’un philosophe ?


A l’heure où la non-philosophie, telle une juridiction inopinée de la pensée, a prononcé la mise en examen de la philosophie et partant de ses artisans, voilà une question aussi banale qu’essentielle que tout philosophe qui se respecte ne peut éviter de se remettre en mémoire, pas plus qu’il ne peut à bon droit se dispenser d’y répondre. En effet, quand bien nous serions innocent et que nous n’en doutions pas, encore convient-il d’en faire démonstration, de plaider notre innocence ― quoi qu’il advienne.
Alors soit, qu’est-ce qu’un philosophe ? Oh ! inutile de compliquer les choses, disons qu’à l’image d’une pièce de monnaie, côté face, c’est tout simplement quelqu’un d’inconsolable qui désespère d’être venu au monde. Tel un ange déchu, il a la nostalgie de ce paradis Blanc1 alors invisible à ses yeux qui l’abrita fût un temps, quand sa vie se jouait sans qu’il eût à se soucier de rien. Temps béni où il baignait dans le ventre chaud de sa mère, instant d’éternité proprement « métaphysique » puisqu’un simple cordon ombilical suffisait à faire de lui un enfant roi, un petit dieu tout puissant en comblant instantanément le moindre de ses besoins. Lieu divin où il n’avait pas le temps de désirer sa vie. Sauf que cela n’aura duré, hélas, qu’une poussière de temps. Vint l’heure fatidique qui le mit au supplice, celle où il fut arraché des entrailles sans autre explication et le cordon rompu. Allait-il lui falloir désormais apprendre à vivre en exil, à l’étranger sur terre, éloigné à jamais de cet éden insoupçonné dont il gardait la plus agréable mémoire. Quelle malédiction par conséquent pour qui ne parvient pas à oublier et se souvient hélas d’un tel bonheur passé, heures sereines d’insouciance d’une vie intérieure toute pétrie d’émotions positives, de plaisir absolu : une vie fabuleuse car elle est sans problème.
Un philosophe est donc quelque part une victime en souffrance, un être tourmenté, trahi par une mémoire d’éléphant ― son patrimoine affectif héréditaire ― et partant un incurable romantique qui ne peut s’empêcher de croire encore au père Noël ! Oui, il nous faut l’avouer, un philosophe est bel et bien, d’une certaine manière, un rêveur déraisonnable, un « prince des nuées », un Poète qui ne désire follement qu’une chose au monde : rentrer sans tarder « au pays », retrouver au plus tôt son beau paradis Blanc.
Quelle candeur d’esprit !
Mais alors, quel fol entêté qu’un philosophe ! Quel penseur passionné « encore sauvage et mal civilisé » ! Les non-philosophes n’ont donc pas tort de pointer du doigt ses origines « spontanées » et de l’interpeller sans concession. Faut-il néanmoins céder à la caricature et avouer publiquement qu’il n’est bien que ce qu’ils en soupçonnent et ce que nous en avons dit à l’instant ?
Non, rien n’est moins sûr ou ce serait, pour reprendre l’image de notre pièce de monnaie, le confondre un peu trop vite avec son effigie, s’en faire par conséquent une conception simpliste. Et ce serait tout bonnement mentir par omission, taire volontairement sinon par ignorance son côté pile, sa valeur faciale dont nous nous proposons justement d’apporter maintenant une preuve essentielle.






1- Emploi stylistique de « Blanc » à la place de « blanc », comme personnalisation poétique.

Yves Blanc, 20/01/2005

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