Enfin le fondement générique d'une science de la philosophie

Nous allons essayer d'élever le générique à l'état de constante de type scientifique pour la philosophie et les sciences humaines. Nous nous orientons vers l'Idée d'une discipline « générale » ou justement générique des productions humaines en tant qu'elles expriment adéquatement l'homme ou assurent sa défense contre le harcèlement qu'elles mènent autour de lui. Le couple générique/harcèlement définira automatiquement un nouvel espace scientifique et politique.

La notion de générique, à côté de ses origines biologiques et classificatoires dont il ne sera pas question ici, a reçu dans la modernité trois types d'impulsions.

1. Une philosophique, de Feuerbach, comme renversement de l'Idée hégélienne au nom du « genre » dont les humains sont titulaires en tant qu'ils ont pour objet conscient leur propre essence. Le générique trouve ici son issue sous la forme des individus naturels et sensibles. Elle a été critiquée par Marx dans ses Thèses, et ses contradictions ou ses apories de sous-hégélianisme complètement déconstruites par Michel Henry (Marx, tome I). Nous n'en gardons que la référence au « réel » déterminant la pensée plutôt que l'inverse, à l'homme comme déterminant l'Idée, à une certaine matérialité mais sans le matérialisme, à l'intérêt « chrétien » de cette pensée mais sans l'obédience religieuse.

2. Une seconde source est mathématico-philosophique, celle de Badiou, le générique étant l'objet quelconque, sans qualités, et se réduisant juste à l'être. Nous conservons ce trait de provenance mathématique mais nous refusons de limiter le générique aux procédures productrices de vérités et cherchons plutôt à le mettre en priorité du seul côté de l'homme comme « ordinaire ». Le générique est quelconque mais pas anonyme. Il doit être défini par le plan humain plutôt que par la mathématique. Mais par les humains en tant que capables de ces savoirs qui vont des sciences à la politique et à la théologie et dépassent donc les quatre procédures de vérité. Le générique pour nous est le trait productif mais humain qui, sans être à l'origine des savoirs, les transforme en disciplines capables effectivement de vérité.

3. Enfin il importe de noter une source sociétale contemporaine toute différente du générique et qui est sans rapport du moins immédiat avec la philosophie (cf.p ;33-34-35-36). Généralisation des médicaments, aliments, produits fabriqués, services divers dits « génériques », non originaux, de grande consommation, à prix moyen ou ordinaire. Mais aussi montée en puissance des sciences dites « génériques » qui sont des disciplines d'appoint, transversales, non fondamentales, susceptibles d'intervenir dans d'autres disciplines déjà constituées. On y reviendra.

Un premier travail consisterait à faire une rapide phénoménologie des traits distinctifs eux-mêmes « ordinaires » du générique, à la fois la généralité de sa pertinence et son caractère sélectif voire rebelle par lequel il s'oppose au Tout philosophique et à ses modes comme l'Idée. 1. Les objets ou les disciplines qui peuvent plus facilement que d'autres recevoir un sens ou un usage générique. 2. Le type de généralité ou d'universalité qui les caractérise comme niveau intermédiaire entre le Tout et la Singularité (la moyenne, le milieu, l'ordinaire, le quelconque ?). 3. La vocation de l'être-générique à remplir une fonction d'a priori pour…mais non inscrite dans un Tout et par conséquent probablement indépendant du transcendantal. 3. Il offre résistance et autonomie à son absolution philosophique, c'est un moyen de défense des sujets comme « hommes ordinaires ». 4. Il produit de la validité plutôt que de l'autorité, de la vérité plutôt que du savoir, mais il a besoin des savoirs pour y intervenir et les transformer. 5. Au niveau des « sciences génériques » repérées par l'épistémologie, c'est un « savoir » supplémentaire qui s'ajoute aux savoirs existants, un appui ou une intervention latérale « dans » les autres savoirs mais qui ne les détruit, qui s'y ajoute plutôt.

Finalement deux problèmes ou deux risques de cette notion, il y a un problème d'excès propre au générique qui ne doit pourtant pas être un sous-produit de l'Idée et de la philosophie. Un problème également de situation moyenne, ni singularité ni totalité, qui risque de le faire confondre avec un juste milieu ou une généralité commune. Phénoménologiquement sur la base de ces traits invariants, nous nous orientons vers cette idée que le générique est un facteur=X qui s'ajoute à un savoir ou un produit déjà existant dans lequel il intervient, sans le nier ou le détruire, pour le libérer d'une limitation, changer de destination sa puissance et l'orienter en fonction de son adéquation à l'homme ou au « sujet ». Une telle transformation qui ne détruit pas un savoir mais en ré-oriente la destination en fonction du sujet, certains l'appellent une « vérité ». Pour notre part nous dirons un « mal minimal » qui puisse être immédiatement un bien positif, le seul bien qui ne soit donc pas vicieux et ne se retourne pas en un mal. Lorsqu'il s'agit comme ici du pouvoir philosophique, il est de lever la suffisance ou l'abus d'origine transcendantal sur le réel. Le générique ne s'oppose pas au philosophique, il s'en émancipe ou s'en libère par un mal minimal. Il s'ajoute ou s'additionne aux savoirs comme un facteur qui lève tout abus anti-humain. Retenons pour l'instant cette indication.


Notre thèse la plus générale dans l'ordre des moyens est qu'une théorie de l'immanence est la plus habilitée à résoudre notre problème. Une certaine immanence est le terrain ou l'élément du générique. Mais comme elle est régulièrement confondue avec le Tout ou l'une de ses modalités, les philosophes l'identifient facilement avec des contenus pris du monde comme l'ego, le plan d'immanence, la substance divine, le désir, nous devons l'isoler comme « pure » ou à la rigueur comme « radicale » et essayer de la penser le plus minimalement possible, comme une opération non pas vide en général mais vide de contenu pris du monde ou de déterminations extérieures sans être le vide rempli d'atomes. Mais capable aussi d'une teneur, sinon d'un contenu qui ne l'épuise pas réciproquement. Comment l'immanence, cessant d'être un prédicat d'un sujet, peut-elle avoir la consistance d'un réel, une teneur qui ne soit pas une essence, comment peut-elle être vide de toute transcendance et capable d'un contenu intrinsèque? Cela n'est possible qu'à la condition de concevoir l'immanence et la transcendance autrement que comme des contenus pris du monde, comme des opérations ou plutôt comme des « opérateurs » qui vont fonder sans doute un formalisme capable de dire le générique. Or le minimum opératoire exercé sur des termes est l'opération d'addition idempotente.

Repartons de notre projet. Si l'on n'oublie pas que, sous sa forme la plus vaste, c'est celui d'une science rigoureuse de la philosophie, nous pouvons et devons tirer d'une science, en l'occurrence nous choisissons la physique quantique, non pas des connaissances achevées et susceptibles de tomber sous une épistémologie, mais certaines manières de raisonner. Il s'agira de la notion de constante, nous l'indiquons de manière succincte. Une philosophie commence avec la découverte d'un nouveau principe (s'il y en a de nouveaux), une science avec celle d'une constante qui conditionne tous les savoirs d'un certain domaine d'objets. Une science de la philosophie doit conjuguer ou allier, sans doute inégalement, constante et principe. De quoi le quantique est-il ici le modèle ? Une telle constante, réelle mais non spécialement physique et quantifiable, est par un côté immanence mais comprise comme addition idempotente (c'est la constante d'esprit quantique, opposée au Tout transcendant ou omnipotent). Par son autre côté, elle est transcendance de type philosophique, mais dont les deux côtés (toute transcendance étant au moins bilatérale) sont réduits à un seul comme interférence. L'idempotence crée ou a pour corrélat lui-même immanent une interférence que l'on appellera une unilatéralité ou une unifacialité. On appellera alors constante générique ou réelle, l'opération d'idempotence en tant qu'elle détermine la transcendance comme une interférence ou unifacialité. Le côté de transcendance unilatérale est lui aussi idempotent et ne détruit pas l'immanence qui, elle, transforme la transcendance. L'addition idempotente 1+1=1, le propre de l'immanence qui ne change pas, modifie ou « transforme » la transcendance qu'elle reçoit et dont elle a besoin pour passer d'idempotente à générique et devenir 1+1=11/2. Cette propriété de l'addition générique qui ne change rien aux sciences et aux philosophies sauf leur destination ou leur « transformation », est l'excès que nous cherchions. L'immanence générique est élevé à l'état de constante pour les sciences humaines et sert à définir tout savoir en tant qu'adéquat aux humains et capable de transformer ces savoirs en les mettant à leur service. L'excès est immanent sans être intérieur, transcendant sans être extérieur, c'est le transcendant « en-» immanence, son bord qui fait frontière extérieure et qui protège l'immanence comme une forclusion, immanence dans laquelle plonge la transcendance par son supposé autre bord. Il se manifeste comme Autre, un Autre immanent ou simplement, comme nous disons, unilatéral, ou encore comme Etranger (il faudrait discuter de cette non-structure avec Parménide, Spinoza, Deleuze, Levinas, etc.).

Dans la physique quantique cette opération possède une détermination physique, l'entité de l'onde ou plus empiriquement de la vague. Mais ici l'immanence est plus radicalement autonome, indépendante de toute donnée extérieure. Elle doit être conçue sur le modèle d'une opération vide d'entité physique ou autre, mais avoir pour teneur immanente sa propre opération. C'est pourquoi nous parlons d'addition ou de superposition idempotente, de fusion non cumulative et non réflexive avec soi-même, n'intégrant pas une division, une re-lance ou une reprise de soi. Elle reste inchangée en s'additionnant à elle-même et n'a besoin de nul contenu supplémentaire, même pas de la division mortifère de l'entendement fondatrice de la Conscience. C'est son aspect de constante mais l'idempotence n'est pas encore le générique effectif quoiqu'il soit apparemment l'addition de deux termes qui n'en fait pas un troisième. C'est une opération procédant par deux termes tels qu'il n'y a pas de variation quantitative ni qualitative, c'est une sorte d'élément neutre et opératoire mais anti-dialectique, une forme qui est sa propre réalité et qui n'est pas l'identité de la différence et de l'identité, comme si la dualité des opérations était neutralisée ou effacée. L'idempotence réelle n'est pas auto-réflexive, elle se comprend plutôt comme le glissement de la temporalité sur soi ou en-soi de Husserl (le présent est retenu comme passé immédiat et protenu comme avenir) mais à condition d'effacer la structure de l'instant, de désamarrer cette glisse ou ce lapsus du point-source de l'instant présent et donc de la transcendance philosophique. Ou encore comme certaines intuitions de Blanchot (l'incessance). Ce glissement sur soi qui reste le même est l'essence non-fondatrice du vécu au sens neutre, du Vécu-sans-vie (Erlebnis dit Husserl hésitant encore entre le réel psychique et le transcendantal). Plus concrètement on dira que l'immanence idempotente n'est pas une opération mais, puisqu'elle opère avec du vécu et dans le vécu, qu'elle est un opérateur alors que l'algorithme reste formel et vaut de l'opération. L'addition idempotente a pour substance réelle sa propre opération qui depuis Husserl s'appelle vécu (Erlebnis), depuis la psychanalyse pulsion immanente ou encore comme ici opérateur.

Comment maintenant d'idempotente devient-elle effectivement générique ou capable d'inclure de manière additive un apport venu de l'extérieur, de valoir donc pour soi et pour lui identiquement ? Comme opérateur elle possède sans l'être, elle l'a sans l'avoir reçue, une teneur opératoire qui n'est pas logiquement formelle. Mais cette teneur invisible ou inexistante ne se manifeste dans une effectivité générique que si elle assume un donné qu'elle reçoit mais dont elle annule la réception immédiatement pour en faire nécessairement un donné-sans-donation, et un bord unilatéral comme interférence. Ce contenu ne peut être que la transcendance comme le veulent les philosophes mais elle est transformée ici du fait de son assujettissement à l'immanence, elle perd sa totalité comptée et numérique, elle cesse de constituer une marge bilatérale et devient elle aussi immanente. Ainsi le générique n'est pas le Un qui devient Deux, cela se passerait encore dans la transcendance des termes et inclurait de la division, ici par définition exclue. Il est le Un-en-Deux opérations, qui « sous-vient » (la glisse, le lapsus infini) additivement comme Deux-en-Un. Que devient la transcendance lorsqu'elle est pensée en cette radicale immanence qui n'est pas un ego finalement réversible ? Elle est en excès sur l'immanence tout en étant intégralement immanente, elle sous-vient ou se manifeste comme phénomène d'interférence, bord unique de l'immanence. Elle agit la transcendance en l'unilatéralisant. Cette instance d'unilatéralité est une demi-frontière, pas une marge bilatérale mais, c'est tout différent, une dualité unilatérale, immanente de part en part tout en faisant saillance. Le générique n'est donc pas un prédicat déguisé se disant de l'homme comme sujet (Feuerbach) ou des vérités d'abord (Badiou). C'est la structure minimale et simple, qui vaut pour la transcendance et ses deux disciplines, science et philosophie, leur alliance générique.


Nous pouvons définir maintenant l'immanence générique du point de vue de son intervention dans les autres savoirs. Comme constante c'est un quantum d'agir destiné à « fonder » rigoureusement la science de la philosophie et des sous-systèmes de celle-ci. Etant donné la complexité ultra-physique de cette constante, il y a plusieurs manières apparemment c'est-à-dire philosophiquement, contradictoires de la formuler, elles demandent chaque fois une interprétation. Comme opérateur vécu, l'immanence n'est pas rien, même pas un néantir ou un pour soi comme modes de la transcendance, mais un quantum inagissant d'agir, ou un quantum agissant de non-agir ou encore un quantum d'agir-sans(ré)agir. Ces trois formules sont équivalentes sous réserve d'interprétation de l'addition idempotente qui n'agit pas, mais qui agit la transcendance comme interférence, et qui de là réagit contre la transcendance sous sa forme philosophique ou s'y forclôt. Une telle constante appartient à tous les savoirs élaborés par des sujets humains, donc dotés de vérité ou encore, c'est ici la même chose, déterminés en-dernière-instance par l'Homme générique. Les savoirs existants répondent à des procédures rigoureuses spécifiques mais qui sont dépourvues de vérité ou d'implication des sujets , pas n'importe lesquels, des sujets génériques (nous les appelons les « sujets-Etrangers »).

L'immanence comprise comme constante n'est plus l'immanence-fondement ou le Grand Cercle qui délimite le champ philosophique. C'est une simple propriété non pas de la pensée mais des humains, pas un fondement premier ou une cause première, les humains ne sont rien de tel. Comme il y a des « propriétés » scientifiques de la nature qui ne s'expliquent pas mais qui font qu'il y a de la vérité et pas seulement du savoir, il y a une propriété qui définit les humains, donc un opérateur d'humanité générique qui , loin d'être « premier » (Descartes, Husserl entre autres) est « avant-premier » ou « en-avant-première » par rapport à la philosophie première. L'immanence générique, non transcendantale, est le quantum d'action fondé en un non-agir intrinsèque, mais qui agit science et philosophie en ré-agissant contre leur transcendance ou leur appartenance au monde. C'est la racine « commune » de la science et de la philosophie qui doit être attribuée aux humains qui ne sont d'abord ni sujet ni individu mais Deux génériquement. C'est la grande Idée de Marx, aperçue sous le concept de « Dernière Instance », l'unité des disciplines par l'immanence qui n'est pas un Tout replié sur soi mais une interférence des Forces productives et des rapports de production. Mais ce n'est pas la grande idée de Michel Serre qui projette de nouveau une épistémologie sur l'interférence scientifique au lieu d'user de celle-ci pour bouter l'épistémologie hors de la science, il renouvelle la philosophie faute de renouveler c'est-à-dire de créer une science de la philosophie. « Théorie unifiée » de la science et de la philosophie est une formulation possible mais l'unification générique par immanence n'est pas une synthèse supposant une opération transcendantale et un empiètement d'une discipline sur l'autre comme une sorte d'entr'empêchement ou d'abus réciproque, de concurrence et de limitation par une guerre commune. Il faut une constante de communauté ou de corps générique pour concilier les forces sinon hétérogènes de la pensée. Nous parlons plutôt d'une alliance générique de la science et de la philosophie.

D'un opposé à l'autre il n'y a pas de pli, sans doute une zone neutre et indiscernable qui est d'interférence non-dialectique des contraires mais avec cette différence qu'aucun Corps sans Organes (Deleuze), substitut de la totalité, ne l'attend au tournant de la philosophie pour lui imposer son plan d'immanence. Le problème de l'intersubjectivité est réglé dans le principe par le générique qui ne se recompose pas, ne se synthétise pas à partir de deux sujets ou de deux « humains » numériquement comptés. Bonne nouvelle non-politique, l'humanité ne se compte pas, ni comme « une », cela s'appelle la Souveraineté, ni comme « multiple », cela s'appelle le peuple ou les « populations » (Foucault), tout ce que la philosophie aurait voulu gouverner. On aurait aimé dire la « multitudo transcendentalis » comme Saint Thomas mais justement la multitude générique par définition n'est pas transcendantale.

Cette constante générique a un certain effet qui vaut la peine d'être à nouveau rappelé pas nécessairement sous le nom de « vérité ». Comme elle n'est qu'une opération idempotente du vécu vide de transcendance, s'additionnant à lui-même sans rien produire par cette opération, un pur agir-sans-réagir c'est-à-dire un non-agir qui agit la transcendance, elle se contente de lever ou d'ôter la suffisance des disciplines et de les mettre à niveau humain. Elle n'ampute ni la science dans ses procédures formelles rigoureuses dont elle se borne juste à ôter l'aspect de positivité par où elles pourraient donner prise à une épistémologie. Ni la philosophie comme discipline qui prend pour thème le réel et non simplement l'objet mais elle ordonne le réel philosophique, par exemple l'Etre, à la constante générique. Ni elle n'affaiblit herméneutiquement l'esprit de la science, ni ne rigidifie ou ne positive, ne naturalise la philosophie puisqu'elle n'implique aucune confusion des humains et des sujets avec des étants quelconques ou des entités anonymes. Reprenant une distinction classique, on dira qu'elle conserve l'Idéal de la science sans les sciences idéales (la quantique est juste un modèle ou une modélisation), et l'Idéal de la philosophie sans les systèmes philosophiques idéaux. C'est là chaque fois un choix qui est moins partiel qu'unilatéral ou unifacial, le choix de l'interférence (par idempotence) comme procédé de constitution de l'Etranger. La science conservée mais comme étrangère aux sciences idéalisées et hégémoniques, la philosophie conservée mais comme étrangère aux systèmes particuliers, ce n'est pas une Aufhebung ne conservant que leur fantôme ou leur spectre au profit d'un savoir absolu, mais une unilatéralité qui les fait apparaître dans leur identité.
Cette constante se résume dans la formule Homo sive scientia, dont nous usons depuis longtemps, elle devrait valoir de tous les phénomènes en tant que pour une partie d'eux-mêmes ils sont sous la condition de dernière instance de l'homme. Il s'agirait de renouveler l'intersection science/philosophie non pas justement en inversant les rapports de domination de l'une sur l'autre ou en procédant à un commerce doctrinal, mais en établissant un roc qui n'est ni scientifique-positif ni philosophico-transcendantal mais capable de servir de fondement véritablement constant et non vicieux. Est-ce retrouver le classique fondement absolu sous le terme de constante ? Justement pas, le terme de « constante » est un piège. Les philosophes les plus radicaux commettent une amphibologie entre la constante de type scientifique et la constance du fondement, ils cherchent la fonction remplie par la première et se retrouvent avec celle de la seconde ou du « fondement absolu » (Descartes, Husserl, et les modes dérivés de cette amphibologie). Le fundamentum inconcussum est un cercle vicieux qui s'auto-effondre ou s'auto-détruit, et cache une duplicité, c'est en réalité un doublet réel-transcendantal où le sol du savoir empirique est redoublé/élevé en fondement. La constante générique par contre est intégralement scientifique, c'est une constante du vécu immanent quelque soit sa mobilité qui n'est pas une instabilité. Et c'est un principe philosophique mais réduit par interférence à l'unilatéralité et qui ne fait à la philosophie que le tort minimal qu'elle est obligée de supporter. Justement en fixant cette constante, on espère dépasser le conflit des sciences humaines et de la philosophie, établir entre autres choses une discipline humaine du pouvoir réduit à celui de la philosophie et des sciences politiques qui en dépendent. (On se propose en particulier d'esquisser une politique théorique et pratique sur cette base d'une constante semi-principielle, qui n'est pas un fondement refondant la politique mais transformant la pratique politique en l'occurrence, et bien d'autres).

Enfin le mode d'intervention du générique dans les savoirs peut être précisé. Il n'est pas méta-physique ni épékeina-physique, ni horizontal ni vertical en mode extatique, et pas davantage à la manière post-moderne transversal ou diagonal dans l'espace philosophique. L'intervention généralement n'est plus angulaire, et même ce savoir générique ne connaît pas pour lui-même l'espace philosophique où il est illocalisable. Il faut tirer les conséquences de la non-philosophabilité à quoi le générique aspirait comme on l'a vu. S'il y a une essence ou un réel autre que l'être à la base du générique, il faut en décider et ceci exige des décisions axiomatiques, pas des décisions philosophiques .


Si l'intervention générique dans les disciplines existantes ne peut se faire par des énoncés philosophiques qui rétabliraient la représentation traditionnelle et la logique de la présence, elle s'exprime uniquement par des formules elles aussi immanentes par leur cause mais qui apportent, font apport d'un contenu générique transformé de la philosophie. L'apport générique qui a une source ou une cause immanente, non pas « première » mais « en-avant-première, est un axiome. Il n'est évidemment pas logique ou mathématique, pas davantage un faux axiome intuitif, un postulat, de l'ontologie philosophique. L'axiome excède l'énoncé philosophique replié sur soi sans à proprement parler le déplier, et il excède l'axiome logique en l'inscrivant non pas dans le vide d'une forme ou d'un ensemble vide, mais dans le « vide » de opérateur ou du vécu idempotent. Il échappe à la tautologie philosophique qui reste fondamentalement intuitive sur le mode intellectuel (Spinoza) et prétend remplir l'immanence avec des objets de l'entendement c'est-à-dire du monde. Il échappe à l'axiome qui se fonderait dans le vide d'objet rempli par la forme logique. Que fait-il alors ? Il apporte du matériel pris de la philosophie mais il l'apporte sous forme de termes qui sont, eux, premiers ou de termes-Etrangers, en quelque sorte des termes-sujets dits encore « unilatéraux » ou « unifaciaux » et justement par là même étrangers par leur immanence au discours philosophique. Le quantum d'agir générique implante dans la discursivité conceptuelle une langue d'axiomes qui sont autant d'opérateurs langagiers vécus. L'axiome est un apport-sans-rapport, un apport premier ou pour la première fois d'une matière extraite de la philosophie. L'immanence idempotente n'a qu'une expression, l'axiome, le terme premier ou Etranger plutôt que le concept mais il est « unilationnel » plutôt que relationnel. S'il y a une politique générique, elle ne peut donc être que celle des sujets comme Etrangers.

Dernier point, quelle espèce de phénoménologie ou de manifestation tolère l'immanence générique et son expression axiomatique puisque ce ne peut être une phénoménologie philosophique, les vécus étant réels sans être du tout transcendantaux et de conscience ? L'idempotence ou l'opérateur vécu est invisible et inexiste, avons-nous dit, il est radicalement inextatique. Mais il se met à sous-exister sans exister franchement lorsqu'il inclut de l'unilatéralité ou de l'interférence et « devient » ainsi générique. Excluant le phénomène extatique, n'étant jamais un objet, le terme unilatéral n'est pas non plus inexistant comme l'idempotence, il sous-vient dans le demi-jour de la clandestinité qui convient à l'Etranger. Le discours d'axiomes qui exprime l'Homme générique à travers les actes du sujet-Etranger détermine une politique clandestine. On approfondira ces divers aspects et leurs effets dans la politique immanente de la philosophie et, de là, dans quelques systèmes de philosophie politique. Mais la perspective générale est celle d'une science de la philosophie.