L'impossible fondation d'une écologie de l'océan
Et les non-philosophes, de quel type relèvent-ils ? De tous et d\'aucun en particulier (en tous cas ils n\'en font pas commerce), une telle formule trop facile n\'explique pas cette affinité contrastée. Pour tout dire ils pratiquent une opération qui nous nommons après Marx celle de la Dernière Instance ou de la Condition déterminante. Comme condition elle a un effet d\'apparence soustractive ou de retrait par rapport à la représentation. Comme déterminante elle émet un flux d\'énergie ou d\'agir positif sur la représentation. Les deux aspects combinés et effectués sous certaines conditions, par telle immanence plutôt que par telle autre, le retrait de la « dernière instance se ramène alors à un décalage ou un recul qui affecte la représentation. La soustraction est plutôt une apparence. Ce type de cause, distinct d\'une cause première métaphysique, est apparentée (dans quel voisinage ?) à un nombre complexe et de très loin à une racine carrée négative de la philosophie. Comme rien n\'est moins simple, on va dire, pour attirer mais pas trop l\'attention des mathématiciens, que la Dernière Instance est une fonction « complexe » engageant science et philosophie. Justement ce que nous allons appeler l\'océan-de-dernière-instance, dont nous allons faire un usage autre que celui de la métaphore précédente, est là pour essayer de la faire comprendre intuitivement. Ce sera aussi l\'occasion de constater qu\'une fondation de l\'écologie de la mer est théoriquement possible dans les limites de la philosophie.
Les non-philosophes ne sont pas devenus des marins, de toute façon ils ne gagnent pas leur subsistance ni ne prouvent leur existence sur le dos de la mer, ou de la philosophie. Des marins ou des touristes qui la contemplent de loin, s\'échouant vainement à leurs pieds désoeuvrés. Mesurés aux grecs, ils pensent que la conciliation est élémentale plutôt qu\'historiale, que c\'est celle des éléments, de la terre et du feu nécessaires aux premiers humains avec l\'eau qui n\'a pas encore ses penseurs propres. C\'est pourquoi ils traitent la terre, obssession des philosophes, depuis le large. A chacune de leur « navigation » comme dirait Platon, ils transportent le tout de la philosophie comme s\'ils transportaient la terre sur laquelle ils croyaient marcher mais à laquelle ils ont cessé de s\'accrocher. Ils ont fait un nouveau type de pêche, jeté leurs filets aux mailles faites pour toute occasion, enfermé la philosophie dans un container et misent à l\'eau.
Ils ont cessé de craindre la mer ou de la poématiser comme faisaient les grecs. C\'était des réactions de physiciens spontanément atomistes, effrayés par cette massivité et ce vide menaçant. Même la physis-comme-eau plutôt que terre et feu ne résout pas le problème, car il se peut que la physis océanique ne puisse justement plus être « Un(e) » au sens méta-physique ni équivaloir au tout de l\'étant. Ils demandent à la mer, puisqu\'elle est entrée dans une physique, d\'entrer dans une pensée voisine de la philosophie, d\'être éventuellement une « non »-physique mais pas une méta-physique. C\'est d\'un autre affect qu\'il s\'agit, le non-philosophe éprouve autrement le moutonnement singulier autant que la liquidité ou la fluance, il s\'inquiète du balancement trop régulier du bateau, de sa répétition infinie mais protégée et se demande bien à quelle loi obéissent les vagues qui sont les « envois »(Heidegger) de la mer (Heidegger). Le non-philosophe n\'a qu\'une hâte, ce n\'est pas de changer de « terrain » pour un autre plus solide - toujours la terre immobile - mais d\'élément, la mer plutôt que la terre. La mer aussi est immobile mais dans l\'immanence de son mouvement. Ce par quoi il commence, ce n\'est pas par une théorie « élémentaire », celle des « éléments » toujours corpusculaires ou molaires. Mais par une théorie élémentale, celle de l\' « élément » par excellence, le liquide. Il s\'installe sur la mer « toujours recommencée », rien pour lui ne commence par une borne ou une pierre blanche. Ni l\'atomisme chimique ni l\'atomisme logique, manière de glaner les gravats dérobés aux ruines des palais de la métaphysique (Kant). Il abandonne pour mieux les éprouver la matière lourde du métaphysicien, la matière subtile de l\'idéaliste, la matière inconsistante de l\'ensembliste. Son être-à-l\'eau, sa posture qui est celle d\'un bateau si l\'on peut dire, ne peut plus être un être-au-monde.
Par tout temps, par gros temps ou petit temps, la mer a été le Même en personne, la répétition et le recommencement, beaucoup plus que la Terre deux fois immobile, car ce recommencement unique n\'est plus le doublet d\'un re-commencement. Mais rien de cela n\'était recevable par la philosophie, entre-temps constituée ou édifiée par base, terrain et fondement. Elle est restée l\'objet d\'une physique longtemps imaginaire. Les humains n\'habitent pas la mer et pensent continent, sols, îles, pointes, cailloux, tous les modèles de l\'étant et de l\'être, et le philosophe, par tradition ou coutume, continue à croire qu\'il « habite » et que sa vie se prolonge « en terre ». Même le grand doublet deleuzien des sédentaires et des nomades n\'est plus très adapté dans une pensée élémentale. Les philosophes ont choisi une physique qui est allée à l\'Un et à l\'Etre, au sol et au fondement, à l\'étant et à la pierre, à l\'individu et à l\'ego. L\'imaginaire et son issue métaphorique ont été dévolus à la mer qui a failli y perdre sa physique et ne l\'a retrouvée que des siècles plus tard. Ce partage qui affectait les premières physiques a donné lieu en l\'occurrence à une poésie pathétique de l\'océan mais nullement à une science de l\'océan. La mer ne pouvait servir que de métaphore du passage et du transit des marchandises conceptuelles. Chaque fois les philosophes veulent bien recommencer, répéter le Même, mais c\'est pour revenir à un matérialisme de terre et de pierre, de poussière ou de pulvérulence, comme s\'ils continuaient à craindre, maintenant plus que les physiciens, le Même et sa nature ondulatoire. La terre ne se meut pas, c\'était donc cela qui les rassurait et les assurait de continuer à philosopher, l\'immobilité des étants et de l\'être, leur trajectoire mobile extérieure par choc et inertie ou péniblement intériorisée en « devenir ». La philosophie est l\'imaginaire qui correspond à la physique classique, à la représentation dans toutes ses échelles, de molaire à moléculaire, à une matière dure ou meuble dont les termes ne se superposent pas, comme nous dirons, mais s\'identifient imaginairement, c\'est une physique classique de la matière plutôt que des champs. Nous avons développé une physique ondulatoire ou une quantique des champs, mais pas une pensée ondulatoire de type philosophique. Nous disons bien, une pensée ondulatoire, une quantique de la pensée de type philosophique, pas une philosophie corpusculaire ou atomiste de la quantique, comme est par exemple la « micro-politique » (Deleuze et Foucault) qui est la physique imaginaire que peut la philosophie classique. La tentative de rapprocher la quantique et Heidegger (Salanskis) est une piste plus féconde qui demande à être approfondie.
Toutefois la non-philosophie n\'est pas un choix contraire et exclusif en faveur du tout-ondulatoire ou du tout-flux, dont d\'ailleurs elle a très peu parlé explicitement jusqu\'à présent. Il est vrai que tous les concepts majeurs de la philosophie classique comme le Même, la Répétition, l\'Un, l\'Autre sont amphibologiques et pourraient servir à décrire l\'objet d\'une philosophie ondulatoire (par son style, non par son objet), sous réserve d\'un travail et de transformation à opérer, pas simplement d\'un travail d\'assouplissement dialectique - la dialectique a toujours eu ses propres athlètes et il n\'est pas question de rivaliser avec eux, la non-philosophie n\'est pas tout à fait une compétition « générationnelle ». Il s\'agirait d\'introduire dans l\'exercice de la pensée conceptuelle, non comme son objet, la corrélation onde/corpuscule telle qu\'elle est organisée par un « principe » ondulatoire comme celui de « superposition », nullement exclusif des « éléments » mais les « guidant » au hasard de leur destination. La non-philosophie n\'est pas une pensée uniquement ondulatoire que l\'on opposerait simplement au style corpusculaire ou atomiste de la philosophie. Qu\'il s\'agisse de la physique quantique ou de la non-philosophie, toutes deux ont en commun d\'organiser autrement la dualité onde/corpuscule mais depuis une certaine pré-éminence du mode de pensée ondulatoire tel que dans la physique il a permis la révolution quantique et tel que dans la pensée conceptuelle il introduit une perspective non-philosophique qui n\'annule pas la philosophie mais la transforme en la rendant intelligible autant que faire se peut. Il s\'agit bien d\'apporter la philosophie, d\'en faire apport plutôt que rapport. Mais qu\'est-ce qui peut apporter ainsi, voire transporter la philosophie, fût-ce d\'un transport amoureux ? Il y faut de l\'énergie et c\'est la fonction du modèle ondulatoire qui ne transporte pas des pierres, ne déplace pas des sols ou terrains, n\'envoie pas des projectiles et des subjectiles. C\'est au « fondement » et aux autres notions semblables comme idoles transcendantes que l\'on oppose l\'immanence de l\'énergie, ou l\'énergie de l\'immanence.
L\'un des grands obstacles à une non-philosophie est que l\'immanence est impossible à représenter ou ne le devienne du coup qu\'en étant détruite et falsifiée sous la forme d\'un point de concentration, une immanence d\'Ego par exemple alors qu\'il s\'agit de trouver un autre type de « représentation » formelle qui soit apparenté à celui dont la physique use pour décrire les phénomènes ondulatoires et qui prenne à celle-ci l\'un de ses principes majeurs apte à la description de ce type de phénomènes. De là son style qui est celui d\'un formalisme conceptuel, possibilité de poser des concepts et de les transformer sans pouvoir les représenter ou représenter intuitivement leur objet. D\'ailleurs la non-philosophie n\'a jamais justifié sa nécessité par un oubli qui serait celui de l\'Un par la philosophie. Elle l\'a justifiée pour deux raisons qui n\'en font qu\'une, par un oubli qui est celui de l\'Un comme immanence, comme Un retravaillé en Un-en-Un ou Homme-en-personne, et par un refus d\'admettre la possibilité d\'une affinité de l\'Un comme immanence avec la science. Les nouveaux principes de la non-philosophie permettront de refuser ces préjugés de la philosophie comme représentation dominante de type corpusculaire. On ne pose pas le problème depuis l\'oubli d\'une entité qui serait l\'immanence, la suite de l\'oubli métaphysique de l\'Etre, ou l\'oubli de l\'Un par l\'ontologie, mais depuis plutôt une science de référence ou modèle qui, elle, a su franchir un seuil devant lequel la philosophie a toujours hésité. La connexion d\'emblée établie entre l\'Un et la science a suscité le plus vif étonnement chez Deleuze et Badiou, et sans doute chez d\'autres. Mais cet étonnement venait chez ces philosophes de l\'ancien style auquel ils étaient habitués, le style de l\'Un et de l\'Etre, malgré la disjonction inclusive (Deleuze) ou le multiple inconsistant (Badiou). La cause en était aussi l\'insuffisance de notre élaboration de cette affinité pressentie entre l\'Un, l\'immanence et la science, sorte d\'intuition restée longtemps mal dégrossie pour cause d\'ignorance de la quantique et qui est désormais dépassée. D\'ailleurs certains métaphysiciens de l\'intériorité, revenant à d\'anciens schèmes de pensée, nous ont suffisamment reproché de ne « rien dire » sur l\'immanence, quand eux racontaient une fois de plus leur atomisme spirituel de l\'intériorité. Coincé entre ces deux critiques (la science n\'a rien à voir avec l\'Un, ni l\'Un avec l\'immanence) qui témoignaient toutes deux de la représentation atomiste-conceptuelle qui est celle de la philosophie, il nous manquait, malgré les efforts pour varier l\'entente et l\'écriture de l\'Un, une manière de décrire et de penser dont certains moyens nous aurons été depuis fournis par la physique quantique.
Le principe nouveau est de faire se superposer la dualité immanence/transcendance, qui est stricte dans la non-philosophie et où l\'immanence n\'est plus sous l\'autorité de la transcendance, et la distinction onde/corpuscule qui est scientifique. Le principe conducteur pris de la quantique est d\'origine une propriété logique, celle dite de l\'idempotence, et reçoit un usage dit de « superposition » qui est globalement transposable ici. Mais la superposition n\'est pas une identification philosophique, il y a trois conditions générales à ce type d\'identification tout apparente de la science et de la philosophie que nous appelons à notre tour « superposition » et dont le concept devrait maintenant remplacer celui d\'identification, 1. le principe scientifique que la superposition engage ne doit pas être de la nature d\'un tout de style philosophique, il est inégal au tout mais, malgré ou à cause de son inégalité, à la fois il l\'investit globalement et en laisse subsister un aspect représentatif sans doute transformé, 2. elle doit mettre en jeu un principe scientifique ordinairement dominé par la philosophie mais qui se prête à la subversion de celle-ci (un principe d\'usage quantique), la superposition est donc une identification non-réciproque, seulement unilatérale 3. la réciprocité ayant été éliminée, il doit y avoir une immanence ou une consistance du principe qui doit remplir cette fonction de manière substitutive. Ces trois conditions éliminent toutes les identifications sur lesquelles fonctionne la philosophie, en particulier les recouvrements épistémologiques des sciences par le tout-philosophie, qui sont des « superpositions » devenues excessives ou suffisantes, des identifications réciproques, mais peut-être aussi les identifications « partielles » de la psychanalyse dont le concept ne correspond pas à celui d\'unilatéral.
Ces distinctions de l\'identification et de la superposition empêchent entre autres choses la confusion des deux usages de l\'ondulatoire océanique, confusion de sa métaphore et de sa science, de la trajectoire que suit une matière, fût-elle infiniment divergente, et de l\'énergie qui ne transporte pas de matière. Quant à l\'immanence, elle cesse définitivement d\'être représentable sous la forme d\'une intériorité égologique ou divine et substantielle, d\'origine analytique ou synthétique, elle est descriptible comme opération mais qui ne compte pas, comme mouvement qui se neutralise lui-même et se suspend dans sa propre mobilité, comme une addition ou une multiplication qui ne « compte » pas et reste stérile. Que l\'on ne se précipite pas à y voir un remake de l\'Eternel retour, du coup de dés nietzschéen répétant chaque fois le tout de la philosophie ou du hasard. Car c\'est plutôt la vague qui va emporter le tout de la philosophie, le défaire de sa suffisance et de ses doublets, la rejeter comme on rejette un Etranger sur le rivage du monde.
Ce n\'était donc pas seulement une métaphore que la philosophie-océan, juste une identification excessive ou totale de la philosophie et de l\'océan se recouvrant l\'une l\'autre tel un nouveau doublet océano-philosophique. C\'est cet excès de l\'identification qui vouait l\'océan à la métaphore. Evidemment chez tous les philosophes, il y a des vagues, remous et ressac, flux et puissance, virtualité, défiance à l\'égard des trajectoires. Mais ce sont les symptômes de l\'ondulatoire qui essaie de se manifester, car la domination de la transcendance sur l\'immanence ne permet pas la libre expression de celle-ci. Il importe que les commentateurs ou les utilisateurs de la non-philosophie, sans renoncer aux inévitables généralités comme l\'Un, le Réel, l\'Autre, le Même, l\'Homme, sachent désormais les nuancer et décrire plus concrètement la vie « interne » de l\'immanence s\'ils veulent pouvoir honorer une thèse constante de cette pratique, que les concepts sont moins importants que leur usage et leur mise en condition ou « en contexte », que ce ne sont pas des « briques » ou des pavés, que la plage importe plus que les pavés et la mer que la plage—et les vagues que l\'immobile océan.
C\'est l\'occasion de satisfaire une demande répétée mais jamais satisfaite non par manque de moyens mais par manque du « bon » moyen, mettre la philosophie au niveau de la science « moderne ». Cette mise à niveau pose la vraie question, quelle discipline doit être le niveau et la mesure ? La science est la mesure de la philosophie, ou son « spécifique » (Althusser) et, puisque cette formule est encore trop générale, la quantique est la mesure de l\'autonomie spécifique de la philosophie. Il y a donc au moins deux manières de poser l\'équation science=philosophie. Ou bien on conserve l\'essentiel de la philosophie et de ses présupposés, on les rabat sur le quantique, on change de philosophie pour une autre en se donnant une nouvelle science comme médiation de ce changement, c\'est ce que d\'ailleurs les philosophes ont toujours fait avec les sciences en mutation, on obtient alors une « philosophie (du) quantique » déjà expérimentée avec la pensée extrême-orientale, sans compter qu\'il ne manque pas d\' épistémologies de la quantique qui ne sont pas notre projet. Ou bien la science n\'est plus un objet philosophique, ordonné à une philosophie nouvelle qui l\'interprète, mais elle est un organon de sa transformation extérieure, on obtient alors une « quantique de la philosophie » dont il n\'est pas sûr qu\'elle ait des équivalents en Extrême-Orient. Ou bien la philosophie reste celle « des sciences » et se donne un nouvel objet à interpréter en accueillant une nouvelle science, ou bien elle est mise sous la condition déterminante de cette science. Il n\'y a plus rien ici d\'une épistémologie ou d\'une philosophie des sciences. Est engagée une science de la philosophie elle-même. Nous ne disons pas que la philosophie est « mise sous condition » (Badiou), sous simple condition par la mathématique par exemple, car alors philosophie et mathématique sont ou restent suffisamment éloignées pour que celle-ci ne parvienne pas à reconfigurer celle-là ou soit en état d\'étudier ses propriétés mais la laisse intacte à peu de choses près. Une mathématisation de la philosophie étant inconcevable, elles restent ce qu\'elles sont chez Platon, deux sœurs au sein de la sphère des « mathemata » qui désignent du savoir qui s\'enseigne ou s\'apprend parce que nous le possédons déjà, ce qui le désigne comme savoir a priori objet d\'une volonté transcendantale. Ce sont même deux sœurs siamoises inséparables mais sans véritable influence l\'une sur l\'autre, plutôt en état de s\'entr\'empêcher ou de développer de nouveaux rapports. De là la défense acharnée et conservatrice d\'une philosophie intouchable, nouveau corps sacré, par le philosophe mathématicien qui se bat pour une chimère, tronc a priori et tête transcendantale. Son double effort pour autonomiser la mathématique, la lire dans ses seuls axiomes, et pour vider la philosophie de tout objet, ne fait que mieux voir la cicatrice créée, la suture méta-ontologique dont il articule ses deux dimensions et qui est le symptôme d\'un travail non-philosophique qui ne se fait pas. Nous disons qu\'une science ayant un objet clairement extérieur, une physique et en particulier la quantique, met la philosophie sous condition déterminante ou transforme en même temps qu\'elle les explique les propriétés de la philosophie. Comme il ne s\'agit pas dans notre cas d\'une physique d\'objet macroscopique mais d\'une micro-physique, la mutation attendue des objets philosophiques classiques correspondra au projet constant de la non-philosophie, la transformer de telle sorte que le retour de la représentation philosophique classique sur son nouvel état soit impossible, sauf à ce que, comme dans la quantique elle-même, il soit admis que ce retour, cette mesure philosophique, équivaut à une destruction des conditions de la micro-philosophie.
C\'est sans doute ce qui se passe avec la micro-polique et toute la supposée micro-philosophie issue de Nietzsche. Une conséquence immédiatement visible est que la micro-politique de Foucault et Deleuze, malgré leurs efforts pour penser des singularités discursives ou intensives, autre chose que des objets molaires, et tirer parti des flux et des devenirs, n\'a presque rien à voir avec une véritable micro-philosophie établie dans les règles et sous les conditions minimales qui permettent de risquer ce vocabulaire. On reconnaît dans cette confusion des échelles justement la suffisance philosophique qui use de la transcendance pour dominer l\'immanence, la faire « monter à la surface » et finalement l\'inscrire dans le Tout ou l\'univocité de l\'Un métaphysique. L\'immanence est bien un « devenir » mais ondulatoire ou idempotent, une « sous-venue » qui ne doit surtout pas s\'exposer au Tout sous peine d\'être terrassée et aveuglée par le soleil de la transcendance, écrasée par ce qui pourrait bien être une chaleur infernale. Elle se contente de monter à mi-surface sans risquer d\'être incluse dans le macro-monde de la philosophie.
L\'océan n\'est donc plus seulement une métaphore pour la philosophie, la situation est retournée parce que la philosophie n\'est plus le référentiel m, c\'est l\'Homme qui est maintenant le Dernier Référentiel. Et du coup commence à se poser une infinité de problèmes qui sont ceux du réel, qui n\'est pas toujours aussi empirique qu\'on le croit. Comment est possible une écologie humaine et pas seulement physique ou biologique, de l\'océan, quel est son droit et la défense de son droit ? De métaphore de la philosophie, l\'océan est à la rigueur devenu métaphore de l\'homme comme Dernière Instance. Mais la métaphore de l\'humain au sens non-philosophique n\'est plus vraiment une métaphore ou n\'en remplit plus les conditions philosophiques. L\'homme de Dernière Instance ne se sert pas de la physis, de la mer, de la forêt comme d\'objets à philosopher et/ou à poétiser, et donc ne l\'abandonne pas non plus à la sphère brute des sciences positives pas plus qu\'à la sphère opposée, trop opposée, de la littérature. La situation de l\'écologie est théoriquement partagée comme toujours entre des philosophies qui métaphorisent la physis, la théologisent comme entité transcendante de « lanature », et les sciences physico-chimiques laissées à elles-mêmes qui la morcèlent inévitablement. Entre elles deux il y a les idéologies juridico-politiques des « écologistes ». Un écologie humaine en-dernière-instance serait théoriquement plus rigoureuse. Comme l\'homme de Dernière Instance n\'est jamais un fondement, il faut renoncer à toute fondation « terrestre » ou « terrienne » d\'une écologie de l\'océan et se mettre à penser la mer non pas comme telle mais à partir d\'elle-même, selon elle qui est aussi humaine à la manière dont l\'est toute Dernière Instance. Cette impossible fondation ontologique et/ou cette impuissance physique à donner un sens autre que réducteur à la nature ne sont pas des limitations définitives mais des malentendus inhumains ou des interprétations désorientées L\'homme peut enfin voir son image immobile et mouvante, son intimité ouverte comme le plus grand secret dans l\'océan. « Homme libre toujours tu chériras la mer… ».