Pour un Dernier Evangile Apocryphe
Nous voici donc au rouet, dans le cercle du monde où nous précipitent les philosophes. Mais trop c'est trop, la véritable révolution dans la pensée abandonne la révolution de la pensée. Pourquoi vouloir sortir d'un cercle vicieux ? Manque d'air, horreur du trop plein, ressassement, « viande remâchée » (Descartes), amour des estampes et des cartes qui font rêver, passion de l'inconnu au fond du connu ? ou encore soupçon que le monde est le visage le plus avenant que nous présente l'Enfer ? et la philosophie son ambassadrice la plus séduisante et la plus diplomate ? Mais comment en sortir, voilà notre problème, et le « comment », ici, excède les raisons faibles du « pourquoi » qui restent négatives et apophatiques. Dieu a besoin d'une preuve, ni l'Homme ni l'Enfer n'en ont besoin, l'Homme parce qu'il est l'Inconnu qui révèle l'horreur du trop-connu, et l'Enfer parce qu'il requiert juste les moyens d'une lutte. Comme chez certains philosophes l'Infini permet de penser l'expérience du fini, il y a une actualité de l'Inconnu qui rend définitivement insatisfaisant le monde et nécessaire l'abandon de la nostalgie et de l' « âge d'or » qui nous font répéter plutôt que créer. C'est sans doute un début d'émancipation que de poser la question de la « sortie » hors de la philosophie (Marx) même si cette position du problème se détruit d'elle-même. Ou, plus efficace peut-être, de lier la pensée au vide, soit au vide du non-savoir, d'une ignorance de fond (Socrate), soit à la mathématique de l'ensemble vide comme le ferait un platonisant (Badiou). Malheureusement le vide matérialiste de l'ensemble reste suturé à la philosophie dans un cercle distendu mais d'autant plus résistant. Quant à Socrate, il n'est pas sûr que l'ignorance qu'il pratique puisse être un commencement absolu ou vierge puisqu'il est entendu que la philosophie la récupère immédiatement. Même avec sa docte ignorance il aurait obtenu son doctorat de philosophie s'il avait consenti à l'envelopper de quelques commentaires, il aurait été admis dans le cercle des philosophes, au moins comme répétiteur. Demi solutions, ce qui prétend tuer le cercle philosophique, le liquider de l'intérieur ou bien de l'extérieur le rend d'autant plus fort.
La non-philosophie est une autre solution. Elle ne sort pas du cercle, c'est impossible étant donné que celui qui veut en sortir est le même que celui qui s'y est enfermé. Elle n'y rentre pas davantage, ce serait vouloir rentrer sans en être vraiment sorti, par effraction, en brisant une porte qui reste intérieure. Elle inverse, au moins apparemment, les données du problème et peut donner l'impression qu'elle fait elle aussi de l'aménagement intérieur. Mais sa différence « spécifique » est de se tenir au plus proche de la psychanalyse et de la gnose, sa maxime n'est pas savoir que l'on ne sait pas, mais ne pas savoir que l'on sait. Plutôt que la docte ignorance un savoir indocte ou inenseigné et qui doit cependant donner lieu à une connaissance comme inconnaissance. Plutôt qu'enseigner (ce) que l'on ne sait pas, apprendre comme inconnaissant ce que l'on sait déjà. S'il y a un savoir indocte, une gnose, alors nous sommes déjà sortis du cercle parce que nous n'y sommes jamais entrés. Nous sommes, nous n'avons pas, un savoir vrai mais irréfléchi, encore dépourvu de vérité. Alors le problème rebondit et se formule ainsi, comment sortir du savoir que l'on est et que l'on ignore vers un autre savoir sans refaire cercle avec lui ? C'est justement le problème, le pari et le risque de la non-philosophie.
Je définirai donc la gnose comme savoir ignorant (de) soi ou inenseigné plutôt que par des traits historiques et individuels. Ignorant (de) soi ou « apocryphe » , ce qui veut dire aussi bien « tenu secret » que « non-reconnu », cela expliquant ceci. L'Eglise a refusé le secret qui libère pour suivre la tradition païenne de l'asservissement au mystère, elle a déclaré le secret douteux et faux, le condamnant à l'enfouissement dans les sables du désert. Précisons quelques invariants. Premièrement c'est un savoir que l'homme ne peut oublier puisqu'il définit l'essence des humains et n'est pas un objet, une idée ou un prédicat qui leur serait attribuable. Deuxièmement c'est un savoir secret ou fermé, forclos pour la représentation et sa circularité, oublié de la conscience par définition. Troisièmement ce savoir, tout apocryphe qu'il soit, a des effets sur la représentation s'il est enseigné comme inenseignable, il ne se contente pas de lui être fermé mais opère une transformation qui a nom « salut », la sortie justement hors du cercle du monde. Finalement si l'Etre est continûment oublié, si son oubli tend vers une limite=0 et s'il est sans cesse enseigné par la philosophie, la gnose est l'Inoubliée mais elle n'est pas enseignable positivement, son oubli absolu est le fait de la philosophie et par conséquent son enseignement, s'il se fait contre la résistance philosophique, n'est pas répétition mais transformation de l'apprendre et de l'enseigner eux-mêmes.
On attribue à la gnose des origines multiples (grecque, perse, juive, chrétienne). Il est intéressant que le savoir le plus simple jusqu'à être inoubliable soit harcelé de multiples interprétations. Le plus souvent c'est hellénisation du christianisme ou christianisation de l'hellénisme—toujours des mélanges qui révèlent un préjugé philosophique sur la gnose, le refus de lui accorder la moindre originalité, juste une marginalité qui sera traitée comme telle, par la répression. Elle peut ressembler en effet de loin à la réminiscence, qui était d'ailleurs pour Platon, si je puis dire le gnostique d'Ancien régime, déjà un essai pour sortir du cercle et fuir hors du monde. Mais la réminiscence, l'Idée vraie même mathématique n'est pas apocryphe ou « tenue secrète » au sens fort du terme, elle ne l'est qu'au sens faible des pythagoriciens et de leur doctrine mystérieuse. La gnose platonicienne relève d'un mystère poreux qui ne demande qu'à être révélé à des privilégiés, pas d'un secret radical ou « chrétien » qui n'a pas besoin d'être révélé parce qu'il est universellement distribué, ouvert par principe aux seuls humains, universalité générique par conséquent. C'est pourquoi l'Idée mathématique retombe dans un cercle avec sa recognition philosophique, d'où le peu de transformation qu'elle implique, la réminiscence est reconfirmation de la philosophie dont le principe est déjà donné, ce n'est pas sa transformation. C'est bien le salut de l'âme mais un salut philosophique, sans la généricité chrétienne, et qui se consommera bien plus tard après Platon, chez Nietzsche avec l'Eternel retour du Même. Le savoir philosophique, toujours second et réfléchi, s'enroule ainsi autour d'un vide central, soit de mathématique soit de non-savoir, il se contente de tordre un peu plus sa nature circulaire sans venir à bout de son être-flou, labile ou instable, de son apparence qui désire tant la consistance. Savoir mort-vivant, en désir de survie, qui en appelle désespérément à une consistance refusée. Au contraire la non-philosophie fait tourner le savoir philosophique devenu une apparence radicale autour d'un savoir philosophiquement indéterminable mais déterminant. Mais justement elle ne fait plus rien « tourner » du tout, c'en est fini de la révolution, copernicienne ou autre, elle ne dissémine même pas le cercle comme ferait la déconstruction, elle le transforme en le neutralisant autant qu'elle peut et, pour le reste, ce qu'il reste du monde, elle le rejette au loin car elle y a reconnu l'Enfer qui fait la consistance du monde et de la philosophie.
Philosophie et gnose sont donc fondées sur des maximes apparemment de sens contraires, « je sais que je ne sais pas » et « je ne sais pas que je sais ». Les deux formules directrices ne forment pas une antithétique rationnelle à la kantienne, même s'il s'agit d'un « malentendu », mais la philosophie a entériné ce rapport comme une telle antithétique. Admettons que ce soit là une vision simplifiée, ce qui importe est que la pratique de la philosophie au 20è siècle s'est elle aussi engouffrée dans cette antithétique sans la remettre en question, dans une opposition trop simple entre sa maxime et les disciplines de l'autre maxime. Sans doute elle l'a raffinée, nuancée, mais finalement elle admis ce malentendu, continuant à cultiver leur conditionnement réciproque, sinon leur métissage du moins leur mélange virtuel. Elle s'est installée dans ce malentendu d'une simple inversion, la confirmant par sa « bonne volonté » de « tenir compte » de la psychanalyse et parfois de la gnose. Un autre geste serait peut-être nécessaire, il faudrait dissoudre d'abord l'apparence de ce malentendu et de cette opposition, il se pourrait que la gnose ou la psychanalyse obligent à poser tout autrement que par une opposition voire une contradiction le problème de leurs rapports à la philosophie. Sans chercher à opérer de nouveaux mélanges plus subtils, leur claire distinction de principe permettrait peut-être d'envisager un type inédit de collaboration—sous la forme d'une dualité non contradictoire, sans davantage de coopération ou de dialogue.
D'où vient le malentendu de leur opposition ? La philosophie en sa racine socratique est délimitée par deux énoncés, le premier comme axiome, « je sais que je ne sais pas », le second comme injonction, « connais-toi toi-même », le second se présentant comme la solution du premier. Ils fondent, surtout avec l'aide de la seconde formule, le savoir philosophique comme un savoir qui se prépare de toute évidence à être vicieux. Savoir que l'on ne sait pas est un savoir réfléchi, destiné à se développer comme auto-réflexion dans le platonisme, son objet fût-il le néant de mon savoir—le nihilisme est au terme de la philosophie et le nihilisme est la suffisance du non-savoir. La solution se présente dans la forme d'un cercle, celui de la connaissance de soi, le savoir philosophique, fût-il du non savoir ou peut-être à cause de cela, revendique sa priorité ou sa suffisance, il est l'objet d'une décision initiale arbitraire. Car de quel droit le philosophe sait-il qu'il ne sait pas, cela ne lui a pas été démontré par exemple par une discipline plus à même de fixer ce qu'est le savoir, justement la psychanalyse pourrait lui démontrer la suffisance et l'inanité de ce savoir initial ou premier qu'il croit avoir. Peut-être d'ailleurs pourrons-nous lui démontrer pour de bonnes raisons qu'effectivement son savoir est bien un non-savoir au sens d'une apparence. Comme cercle vicieux engendré par le socratisme, la philosophie est par excellence ce qui abrite les antithétiques, l'apparence de son opposition à la gnose et à la psychanalyse.
Quelle est l'économie logique de la gnose et de sa formule « Je ne sais pas (que je sais) » ? Des phénomènes nouveaux apparaissent ici . 1. C'est un axiome, apparemment comme celui de la philosophie, autrement contradictoire que lui, son inverse, mais encore plus curieux, comment peut-on ne pas savoir que l'on sait ? Il faut ici aussi qu'un agent extérieur vienne le démontrer par le moyen d'un autre savoir qui sera la philosophie mais reconnue maintenant comme savoir apparent et requis sous cette forme comme aide. La possibilité de cette démonstration, c'est-à-dire de la validité de la maxime gnostique, tient dans un « oraxiome » plutôt qu'un simple axiome mathématique. Oraxiome est sans doute aussi en termes linguistiques un mot-valise, mais il procède en « superposant » de manière idempotente à la forme axiomatique la forme oraculaire, celle qui dit qu'il y a là un non-savoir et qui le dit sans raisons apparentes contrairement à la philosophie qui, elle, aurait de bonnes raisons de se présenter comme savoir—un savoir peut toujours revendiquer son statut de savoir, alors que le non-savoir gnostique ne peut se présenter que de manière arbitraire sans raisons apparentes. La formule gnostique doit impérativement se justifier comme oraxiome, non comme axiome simple, sinon la philosophie sera la première à porter la main sur elle. Qu'est-ce alors qu'un oraxiome comme superposition, acte d'« additionner » de manière idempotente un oracle à un axiome ? C'est produire un énoncé unique qui contient en lui-même de manière immanente le suspens de toute opération d'addition arithmétique et la neutralisation des déterminations transcendantes des termes, comme si l'axiome devenait immanent et sans « pourquoi » philosophique ni d'ailleurs mathématique. Le caractère oraculaire renforce la nature de l'axiome en l'immanentisant comme « même » et ne se contente pas seulement de l'enlever à la mathématique. 2. Il est alors évident que la logique de la superposition idempotente renvoie à un tout autre style que mathématico-philosophique, à celui d'une science dans laquelle cette opération agit, la physique quantique en l'occurrence, dont nous ne dirons rien ici sauf que ses principes sont suffisamment universels pour être transférables dans une science de la philosophie. C'est à ce titre et sous cette condition qu'il est possible de trouver dans la gnose, débarrassé de ses aspects religieux, une formule donnant prise aux principes de la quantique. 3. Gnose et psychanalyse peuvent apparaître comme inversion du socratisme (de la philosophie), mais la psychanalyse le fait sans beaucoup d'explications et plutôt brutalement. C'est pourquoi il faut détacher la gnose du couple batailleur de la philosophie et de la psychanalyse. Nous l'introduisons à la manière apparente d'un tiers mais qui, s'il joue le rôle d'un juge de paix, le fait de manière non philosophique, acceptant de prendre sur lui les raisons des adversaires, d'assumer les deux postures et de régler leur différend par l'immanence qui supprime leur contradiction sans en venir à une dialectique philosophico-gnostique.
Dans les deux formules, socratique et gnostique, il y a du savoir et du non-savoir nommés tantôt en premier tantôt en dernier. Mais les termes qui occupent ces places et qui semblent permuter ne sont pas les mêmes. Les deux savoirs et les deux non-savoirs portent les mêmes noms, ce qui contribuent au malentendu, mais ce ne sont pas les mêmes termes ou contenus. Il y a chaque fois un savoir, soit premier soit dernier, mais sont-ils simplement en miroir l'un de l'autre ? Et chaque fois un non-savoir mais qui ne se répondent pas exactement. Le savoir nommé en dernier dans l'oraxiome gnostique ne correspond pas à ce que je sais en premier dans l'axiome socratico-philosophique, ils ne sont pas en miroir, ne se répondent pas symétriquement, c'est un savoir que l'on dira « avant-premier », non pas le savoir que je dois acquérir en dernier puisque je l'ai déjà ou le suis déjà sur un mode qui n'est plus celui de la cause première ou dernière. De ce savoir avant-premier, nous devrons donc aussi admettre que nous n'en aurons pas le savoir ou la connaissance définitive car si la solution est déjà donnée avec lui qui n'est pas réfléchi, en un sens il n'y en aura pas une deuxième redoublant la première. En revanche ce savoir avant-premier permet d'accéder à mon non-savoir véritable, de filtrer et « critiquer » le savoir que je crois posséder sous le nom de philosophie. Psychanalyse et gnose ne sont pas un mauvais renversement de la philosophie, une philosophie dévoyée et déficiente, son inversion comme celle-ci a tendance à les considérer. Mais un dé-placement ou un avant-placement impliquant de manière immanente l'inversion (l'universion) de la suffisance philosophique. Le savoir de type gnostique est avant-premier et détermine le cercle du savoir comme du non-savoir philosophiques. Le savoir gnostique n'est pas le symétrique en miroir du philosophique, il est avant-premier ou « dernier » mais dernier n'a pas le même sens que dans la philosophie, c'est une « chose dernière » ou un ultimatum.
Quant au non-savoir initial, énoncé en premier dans l'oraxiome, il n'est pas comme l'objecterait la philosophie un obstacle à l'entreprise de connaissance de soi, celle-ci est donnée de toute façon en-avant-première ou plus qu'acquise, et sous une forme qui n'est pas la « connaissance de soi » réfléchie et grecque, transcendante ou « première ». Le non-savoir énoncé en premier par la gnose se présente comme oraculaire mais sans suffisance contre toute connaissance réfléchie. Autrement dit la gnose est l'authentique critique réelle de la philosophie et de son cercle, la « critique philosophique » n'étant, elle, qu'un jeu de miroir idéaliste. L'oraxiome n'est pas déplacement et inversion, mais avant-placement de l'universion de la connaissance philosophique. La gnose est une connaissance (de) soi qui se formule dans un style oraxiomatique, non DE soi comme la philosophique. Elle n'est pas non plus un impératif ou un but comme l'est le savoir philosophique, c'est la transformation de la philosophie qui est le but.
On aura remarqué que la « critique » gnostique de la philosophie est immanente même si elle se sert de celle-ci, de son aide comme matériau. Elle ne fait donc pas non plus servir la psychanalyse qu'elle peut requérir à une déconstruction religieuse et textuelle où c'est l'Autre homme, l'Etranger qui servirait de référence critique. De là son intérêt tout particulier pour la physique quantique qui pose des limites à la représentation commune dont la philosophie est le couronnement et la consommation. Le conflit des facultés se résout dans une nouvelle distribution des responsabilités, opérer une critique réelle ou transformation de la philosophie par le recours à une instance avant-première de savoir dont nous n'aurons pas la connaissance réfléchie mais qui sera la mise sous condition déterminante de la philosophie.
Si la gnose a des affinités ou des similitudes avec la psychanalyse, elle en a aussi évidemment avec la philosophie dans laquelle elle a une sorte de symétrique, on l'a déjà signalé en entrée, une pensée qui elle aussi est intermédiaire entre le vide socratique et le plein aristotélicien. De là une troisième formule, celle du savoir mathématique selon Platon et Heidegger, « Apprendre ce que l'on sait déjà » (les mathemata). C'est le type même du savoir a priori et de sa volonté transcendantale (Heidegger). On peut estimer que cette formule annonce une gnose sous forme d'une synthèse mathématico-philosophique. Cette réunion dans une grande pensée mathématico-transcendantale est évidemment le platonisme lui-même. Il peut être du coup interprété comme un socratisme (vers la philosophie) ou comme une gnose (Platon gnostique), mais le platonisme tente là une synthèse qui brisera mathématiquement le cercle vicieux du socratisme et de la gnose comme tendances opposées simples. La mathématique est le vrai savoir platonicien. Il est même possible de lire Platon comme l'addition ou la superposition idempotente du non-savoir socratique et de la mathématique, communiquant par l'ensemble vide, mais c'est une sortie faible du cercle des opposés. Badiou n'interprète apparemment pas la mathématique transcendantalement mais sépare ontologie mathématicienne et philosophie. Il l'interprète comme être en tant qu'être mais il dissimule la dimension transcendantale (sans sujet) dans et sous le vide de l'ensemble vide, et c'est d'ailleurs à travers le vide qu'il raccorde justement la mathématique et la philosophie. Le savoir mathématico-transcendantal contient sans doute les deux souches de la pensée. En ce sens la mathématique inspire la philosophie, conspire avec elle en effet mais sans la configurer, elle partage avec elle un ensemble synthétique rare, un mélange qu'il ne faut pas séparer mais que la gnose non-mathématique peut réduire. Le platonisme est encore un mélange, émacié ou ascétique sans doute, insuffisamment complet, il faut l'inclure dans la configuration aristotélicienne pleine de la philosophie pour apercevoir sa nature et sa destination, ses possibilités encore cachées. Il tombe donc lui aussi sous le socratisme et la gnose seuls rigoureux comme le montrent leurs formule respectives qui excluent les mélanges de la zone moyenne qui est entre eux. Mais la gnose est seule capable d'arrêter le mouvement par lequel le savoir socratique tourne encore une fois ou tourne déjà autour du non-savoir comme la philosophie autour du vide.
Que veut dire alors « transformer » la philosophie s'il ne s'agit plus de rebattre son mélange avec telle ou telle connaissance, théorie ou science ? Wittgenstein déplore qu'elle ait voulu imiter la recherche scientifique et vaincre son non savoir à la manière dont la science luttait contre le sien. Alors que son véritable objet est le monde et son usage immanent, elle aurait cherché comme métaphysique à imiter la profondeur scientifique sous la forme des causes premières, appliqué une démarche scientifique d'univers à un objet, le monde, qui ne le supportait pas. Si nous voulons faire une science de la philosophie elle-même comme forme du monde, ce qui est un tout autre projet, alors il faut que le monde devienne un objet scientifique à son tour, que la philosophie soit traitée comme un univers d'objets et de propriétés, de phénomènes et de lois, quitte, on l'a dit, à ce que nous renoncions à l'acquisition de la connaissance réfléchie de notre propre savoir. La philosophie n'a jamais été une science contrairement à ce qu'elle a prétendu, elle sera donc un objet de science. Et la transformer c'est l'arracher comme univers scientifique à sa propre auto-connaissance, à sa représentation elle-même philosophique et à ses propres mirages de science. Il faut donc pour cela recourir à une science avant-première.
Le christianisme a ses évangiles apocryphes qui sont des essais d'une histoire un peu différente et qu'il faut traiter dans un esprit non religieux comme des hypothèses de libération sans doute « utopiques » mais pas plus que les Evangiles authentifiés. Ce qui nous tient lieu de religion-monde, le Capitalisme, a connu quelques évangiles apocryphes, le principal étant celui de Marx. Quant à la philosophie comme pensée-d'Etat, elle n'en a guère connu, peut-être à ses frontières luthérienne avec les penseurs religieux, et juive avec la psychanalyse, et pourtant elle tient de la religion et du capitalisme, d'une certaine manière elle est leur combinaison. Il est donc urgent d'inventer de nouveaux évangiles apocryphes pour la philosophie et son amplitude. De ce point de vue, que l'on retourne la formule en tous les sens ou que l'on combine ses termes de manière aléatoire, la non-philosophie est le Dernier Evangile Apocryphe...