Le code non-philosophique

Je donne ici le code qui permet d'entrer dans la non-philosophie sous une forme que j'utilise souvent mais que je renouvelle maintenant par l'appel à une manière de penser inspirée du modèle de la mécanique quantique. Le non-philosophie est articulée sur l'unité et la différence de deux schèmes classiques de la philosophie et qui spontanément sont apparemment contradictoires, le Sujet transcendantal et la Dernière Instance, donc Kant et Marx. Combinaison difficile à manipuler bien qu'il y ait eu dans l'histoire du marxisme des tentatives de le kantianiser qui sont restées assez vaines. Pour résoudre une d'antinomie, il faut modifier les deux concepts en présence en fonction d'un troisième qui restreint leur exclusivisme particulier et leur permet de s'accorder dans une relation minimale, inégale, asymétrique ou non réciproque, une relation que j'appelle unilatérale ou encore de complémentarité unilatérale. C'est un nouvelle distribution du réel où l'immanence dominante et de la réalité où la transcendance est dominante, mais de manière chaque fois non exclusive. Il faut se souvenir que le Sujet transcendantal est structuré en général comme immanent à l'expérience et transcendant à elle dans laquelle il agit mais de loin ou de haut. Mais surtout, et ce n'est pas quelque chose dont les philosophes se souviennent, il est transcendant une deuxième fois. Entre son immanence et sa transcendance il lui faut un troisième terme ou une troisième fonction, et dans la philosophie c'est la transcendance qui ré-intervient. Le doublet empirico-transcendantal est une deuxième fois doublet, transcendantal-réel cette fois. La nouvelle distribution est donc celui-ci, il faut enlever une transcendance, la plus haute, la transcendantale-réelle, au sujet qui restera empirico-transcendantal mais simplifié, sans être couronné du réel. Et donner la dimension du réel-sans-transcendance, donc une immanence dite « radicale », à une instance que l'on appellera Dernière Instance. Le réel ne peut plus être la ou une forme de transcendance mais cette immanence présente à la fois comme variable en face de la transcendance et comme fonction de ces « deux » variables. Ce n'est donc pas un simple transfert continu, il faut substituer à la transcendance et à une autre place qu'elle l'immanence selon un procédé tiré de la mécanique quantique. Pour formaliser, on a deux instances, termes ou variables, leur « synthèse » est assurée par l'un d'eux, soit la transcendance, et c'est la philosophie, soit l'immanence radicale, et c'est la pensée que j'appelle « générique » ou « non-standard ». Dans ce dernier cas de figure, le Sujet transcendantal est maintenant à la fois inhérent à cette immanence qui fait la Dernière Instance et hétérogène relativement à elle ou en état de se rapporter à l'expérience depuis l'intérieur de cette dernière instance. A cette matrice générique la philosophie s'oppose tandis que cette matrice ne s'oppose pas, elle, à la philosophie mais l'inclut en elle ou peut en faire la généalogie. On va dire, pour faire vite, que la Dernière Instance sous-détermine le Sujet transcendantal dans la multiplicité de ses comportements dont von peut décrire les vicissitudes mondaines. Sous-déterminer c'est enlever au Sujet de sa puissance, la restreindre, entamer sa fonction constitutive ou idéaliste de l'expérience réelle. Du coup le Sujet transcendantal n'est plus titulaire du réel mais le reçoit par délégation de la Dernière Instance c'est-à-dire du réel qu'il représente auprès du donné phénoménal, et d'autre part il n'opère plus qu'une constitution neutre, générale ou générique de la réalité. Ce n'est plus le principe de l'unité de l'expérience empirique ou newtonienne, mais le simple agent d'une donation de sens générique à ce qui se présente comme phénomène mondain. Donc le Sujet transcendantal est sous-déterminé en-dernière-instance par un réel caractérisé par son immanence. Voilà, je pense, sous une forme simplifiée, le code qui explique certains travaux de non-philosophie mais le code seulement. Pour résoudre une antinomie, on a ainsi soit une pensée de type dialectique ce qui revient à philosopher la philosophie, soit une pensée de type scientifique, mathématique, en particulier algébrique, ce qui revient à traiter la philosophie depuis une posture scientifique. C'est pourquoi je ne dialectise plus cette opposition mais je mobilise un grand principe de la mécanique uantique qui est le principe de superposition qui vaut de l'immanence radicale.

Les non-philosophes entretiennent comme sujets un rapport paradoxal à leur pratique qui recourt à la philosophie comme simple aide herméneutique pour résoudre une contradiction apparente. Un trait de leur « psychologie » est de refuser de donner des raisons conjoncturelles, psychologiques, religieuses, trop empiriques, à leur choix de la non-philosophie. On peut douter même que ce choix relève de ce que l'on appelle une vocation (souvent après-coup, pas toujours), c'est plutôt comme un choix au moins transcendantal, une décision intelligible ou en tous cas que l'on peut essayer de rendre intelligible autant que faire se peut. C'est un fait significatif, les non-philosophes sont des militants, en quels sens ? Le non-philosophe prend parti et a priori dans une certaine mesure pour la faiblesse de l'être le plus faible ou du moins le plus menacé, l'être humain et, voilà le paradoxe, c'est une prise de parti sinon anti-humaniste du moins « non-humaniste ». Prise de parti n'est pas ici le dogmatisme politique dont on nous fait épouvantail ou archaïsme, c'est se placer dans la dernière position possible de défense des humains, celle au-delà de laquelle plus aucun acte humain n'est encore possible, mais juste un acte philosophique au sens large de ce mot. Les militants de la faiblesse n'accumulent pas interminablement, les raisons, les désirs, les espoirs ou les échecs pour assumer leur position voire leur pratique. Ils n'accumulent pas un capital. Les analyses et les longues chaînes des raisons viennent ensuite, et pourtant ce ne sont pas des volontaristes ou des activistes, simplement ils choisissent le côté des « faibles » dans toutes les situations, et les faibles ne sont pas nécessairement très apparents. La défense des humains doit se faire sur la dernière ligne possible, celle avec laquelle je peux, comme dirait Kant, faire coïncider ma maxime et la porter à l'état de loi « universelle » mais en un sens générique plutôt que formel. C'est un choix intelligible, il est déjà fait « en moi sans moi » et il vient au-devant de moi, il suffit d'en dérouler par la pratique les effets et conséquences. C'est un nouvel « impératif catégorique », mais ce n'est pas un impératif formel de la raison se posant comme fin en soi, auto-position ou comme Idée de la liberté, mais un impératif matérial ou de-dernière-instance. L'humain et le soin pour l'humain est un ultimatum non-humaniste car il ne passe pas motivé par tout le cercle philosophique des raisons. Si vous posez l'humain non simplement comme un individu mais comme le réel de-dernière-instance, vous êtes probablement obligé aussi dans le même geste de poser tous les moyens requis pour sa défense et son soin. Les moyens ce sont les énoncés et les actes d'une pratique multiple, sociale, juridique, politique, théorique. La Dernière Instance n'est pas une potentialisation ou une puissance de type théologique, mais une force faible qui doit être défendue et se défendre en inventant ses propres moyens. Et parce qu'il y a quelque chose qui ne s'argumente pas, comme un quasi axiome, le style n'en sera justement que plus théorique sinon déductif. Au fond le travail non-philosophique déroule des cortèges ordonnés de conséquences de tous ordres. C'est vraiment une théorie et un travail de militant inséparablement plutôt qu'une pragmatique anglo-saxonne ou qu'une anthropologie du point de vue empirique.