Le donné-sans-donation

Quelle est la nature du « donné » ?


Nous montrerons, ici, que le « Donné sans donation », un des termes premiers de la non-philosophie, est la connaissance, par l’étranger à ce don d’une promesse d’un toujours-déjà-donné perdu et définitivement secret qui ne sera jamais une surprise. Et qu’ainsi, le « donné-sans-donation » est la seule forme de donation qui soit sans cause, mais (seulement) un usage.
La non-philosophie défini le « donné-sans-donation » comme le donné sans le mixte du donné et de la donation, c’est à dire sans les synthèses et unités faites à partir du donné et de la donation.



Quelles sont ces synthèses, unités ?



Le donneur, celui qui donne, nécessairement préexistant à son don, est l’unité du donné et de la donation dans leur origine.



Le receveur, celui qui reçoit est l’unité du donné et de la donation dans leur destination.



Le tiers, celui qui observe le don, unité du donné et de la donation dans le mouvement et la mémoire de l’échange.



Le donner, l’acte donateur, unité du donné et de la donation dans le mouvement du donneur.



Le recevoir, l’acte de réception, unité du donné et de la donation dans le mouvement du receveur.



Le Don, ce qui est donné, unité du donné et de la donation dans leur essence. On pourrait s’attendre à ce que le Don soit identique pour le donneur et le receveur et c’est, en effet, ainsi que le Don est généralement perçu : Le don est une part de soi que l’on transfert à l’Autre identique à elle-même. Part fortement valorisée du côté du Donneur, soit que le besoin/désir de le conserver soit important, soit que le besoin/désir de l’Autre soit perçu comme important.
Et c’est, ainsi, toujours la vision du donneur qui prime au premier abord.
Pourtant ce n’est pas le cas, et on peut alors dire qu’il y a plusieurs Dons :

Le Don-donné qui est le Don pour le donneur, il est toujours fortement valorisé. Le Don-donné n’est pas abandonné, il est transféré. Le contexte de sa pratique est modifié et il est donné à saisir au receveur. Il y a pour le donneur, une évidence de la prise du receveur qui devrait y voir un gain certain.

Le Don-reçus est le Don pour le receveur. Mais sa valeur sera fonction du besoin/désir du receveur. Or celle-ci, sauf exception (entre autre quand le donneur est le receveur), est différente de celle du donneur ou de celle que le donneur estime pour le receveur. Le receveur apprécie le gain du Don-reçus à sa propre aune et n’y voit pas nécessairement le même intérêt. L’intégration du Don dans son Monde, sa philosophie se révélant toujours comme détermination d’un nouveau Monde à pratiquer.

Le Don-échange est le Don pour le tiers, qui n’est objectif qu’en fonction des siens. Chaque tiers étant différent, il y a autant de Don-échanges que de tiers. La pratique de l’identité-identification du Don par le tiers (en sa philosophie, son Monde) donne à ce Don sa valeur (pour ‘ce’ tiers). Et comme seule la liberté de l’Homme détermine la philosophie du tiers, aucune valeur a-priori ne peut être estimée pour ce Don.

Enfin, le Don-en-dernière-instance, est l’invariant du Don, c’est la connaissance du Don comme Don. En son absence, le Don n’est pas complet ou même inexistant. Le Don doit être identifié comme Don pour être Don.



Un donné-sans-donation, comme donné sans mixtes du donné et de la donation, est alors :


Un Don sans donneur, donc un toujours-déjà-donné. C’est la présence du Don sans la présence du donneur. Sans le temps du donneur qui est l’avant-Don mais qui en définitive n’est ni nécessaire, ni suffisant.



Un Don sans receveur est une perte. C’est le Don donné mais à personne car il n’est personne pour s’en saisir.



Un Don sans tiers est un secret. Nul n’en a connaissance qui ne soit le donneur ou le receveur.



Un Don sans donner (acte donateur) est une promesse. Aucune limite de temps ne limite la promesse, mais elle serait rompue par un acte (donateur ou non) autre que celui promis. Une promesse reste ainsi éternelle tant qu’elle n’est rompue par un acte contraire et même l’existence d’une seconde promesse contradictoire ne délie pas de la première. Il faudra attendre l’exécution de l’une ou de l’autre pour rompre celle restante.



Un Don sans recevoir (acte de réception) est une erreur ou un rejet suivant la perception du receveur (et c’est bien le seul point où la position du receveur est prise en compte avant celle du donneur). Sans la saisie du Don, celui-ci est perdu. Il a quitté le contexte du donneur pour ne pas atteindre celui du receveur.



Un Don sans Don (invariant) se décompose, pour sa part, de la manière suivante :
Sans connaissance du donneur (Don-donné), c’est un vol même s’il y a acte de donation et de réception. (Ou un prêt s’il y a au contraire connaissance pour le donneur et le receveur d’un retour de l’acte de donation).

Sans connaissance du receveur (Don-reçu), s’il y a connaissance tardive, c’est une surprise mais un Don tout de même. Et cela restera un Don, même s’il n’y a jamais connaissance du receveur.

Sans connaissance du tiers (Don-échange), c’est là encore un secret. C’est la connaissance du tiers qui le détermine comme tiers à ce Don, sans cette connaissance le tiers est l’étranger à ce Don.



En revanche le « Donné sans donation » est au moins l’invariant du don.


Car s’il n’est pas de Don-en-dernière-instance, pas d’identité du Don comme Don, il n’y a pas de donné. Le donné-sans-donation est donc l’invariant du Don sans la présence des autres mixtes :

Sans donneur, le donné-sans-donation est un toujours-déjà-donné, le vol (car il n’y a pas connaissance du don par le donneur) ne peut s’appliquer à un donneur inexistant.



Sans receveur, c’est aussi une perte, mais qui ne sera jamais une surprise, car il n’y a pas de temps du receveur où celui-ci pourrait découvrir le Don. Le Don ne sera jamais saisi.



Sans tiers, le Don est alors un secret, et qui le restera, puisqu’il n’y aura jamais de tiers concerné par ce Don.



Sans donner (acte donateur), il s’agit d’une promesse. Mais une promesse qui n’est pas échangée entre le donneur et le receveur. C’est une promesse-en-tant-que-telle.



Sans reçu (acte receveur), l’analyse demanderais ici, la perception du receveur qui n’existe pas, il n’y aura donc pas de qualification.



Mais il ne peut être sans don (invariant). La connaissance du don est nécessaire à la qualification de don. Il y a donc connaissance du don, mais une connaissance ni par le donneur, ni par le receveur, ni par un tiers. Une connaissance qui n’est pas un savoir, comme l’est celle du Tiers, mais qui est un usage. Et c’est celui qui n’a rien à faire avec ce don qui a cet usage. La connaissance du Don est, de fait, celle de l’étranger.



Le « Donné sans donation » est donc la connaissance, par l’étranger à ce don, d’une promesse d’un toujours-déjà-donné perdu et définitivement secret qui ne sera jamais une surprise.



Comment promettre un « toujours déjà donné » ?


Il reste tout de même à savoir si la promesse d’un toujours-déjà-donné n’est pas une forme de mensonge ? S’il reste à l’état de promesse, le « toujours-déjà-donné » est il « toujours-déjà » donné ?

Peut-être le problème n’est t’il pas si insoluble cependant, car la promesse n’est pas faite à l’étranger mais à un autre-absent. La promesse d’un toujours-déjà-donné perdu et secret est peut-être la seule promesse d’un toujours-déjà-donné que l’on peut réaliser car le toujours-déjà-donné à été perdu, mais pas par l’étranger, qui serait plutôt celui qui l’a trouvé (volé ?). L’autre-absent voit donc se réaliser la promesse de par l’absence en sa présence du toujours-déjà-donné, aucun tiers ne pouvant infirmer cette réalisation.

En revanche, ce sera toujours pour l’étranger un secret qu’il lui faudra sans cesses dévoiler et même ainsi découvert qui restera secret.

Si l’Homme est l’étranger, alors ce don n’était pas un Don fait à l’Homme, ni pour l’Homme. Il n’en est le dépositaire que parce qu’il n’en a pas le savoir. Non pas parce qu’il ne devrait pas le savoir, mais parce qu’il ne peut pas –du moins dans sa condition d’Homme si l’on veut suivre Nietzsche et même là la condition de surhomme ne garantirait pas la possibilité d’usage car ne serait-ce pas lui l’autre-absent, à moins, bien sûr, que Dieu ne soit par mort, mais juste ailleurs ?-.


Jean-Michel Lacrosse