Apocalypse

18/11/2006, Jean-Michel Lacrosse



en vérité

En vérité, je vous le dis, ultime révélation…

La philosophie – comme la science ou les mathématiques - à l’habitude de se penser « en Vérité ». Ce qu’elle dit du Monde, elle le dit « en Vérité » et ce que l’on peut dire en utilisant ses modes de raisonnement conserve cette Vérité. Dire le Monde, pour la philosophie, c’est en exprimer la Vérité, toute la Vérité et seulement la Vérité. Même s’il s’agit pour cela de la découvrir, de la révéler ou de l’inventer.

Les mathématiques et la logique- aspect formel de ce mode de raisonnement – en sont l’affirmation extrême. Elles affirment ne jamais rien dire de faux et lorsqu’elles disent « ceci est faux », il est alors nécessairement et irrémédiablement vrai que ceci est faux !

Pour sa part, la science reprend ce discours « en vérité » mais ajoute un « il existe » - un a priori de Réel -. Le domaine de la science est alors défini comme jeté devant : objet, objet défini par un « en vérité je vous le dis, il existe… ». L’objet de la science est Réel, donc –du point de vue de la science - « existe en Vrai », cela même s’il n’a jamais été perçu par l’Homme et ses sens. On remarquera que ce double a priori de la science permet de comprendre pourquoi celle-ci peut percevoir les mathématiques comme son langage : muni des axiomes adéquats les mathématiques expriment formellement son aspect « en vérité », et ceci explique également pourquoi ce langage échoue a en exprimer l’aspect en Réel et donc pourquoi la science doit toujours borner son dire par l’expérience dont la pratique est « axiome de Réel ».

La religion en revanche ne se définie pas « en Vérité », au contraire, pour elle, c’est la Vérité qui se définie en elle, vérité révélée. La religion commence par un « il y a », un « il y a » éventuellement conjugué en « il y a eu » et « il y aura ». Pourtant ce « il y a » se distingue du « il existe » prononcé par la science. Le « il y a » de la religion est de l’ordre de la donation, de l’assignation, le « il existe » de la science est de l’ordre de la définition. Le « il existe » de la science affirme que si tous les objets sont vérifiés, on en trouvera un au moins qui correspond, le « il y a » de la religion indique qu’il n’est pas nécessaire de chercher car la certitude est donnée.

Puis le Christ arrive – le Christ advenu pas le Christ futur – pour nous dire une Religion comme une philosophie : « En Vérité, je vous le dis… », « En Vérité, il y a » : donné en immanence. I

« Un seul à toujours tort : mais avec deux commence la vérité »

Nietzsche « Le gai savoir »

La Vérité est une valeur ultime et absolue, idéale et fiable. L’accord entre la pensée et le Monde – et donc de la pensée philosophique avec elle-même –, sacrée, elle ne peut être remise en cause. Elle n’est d’ailleurs jamais en cause puisque toujours Vrai. La cause ne concerne que la proposition qui se veut « en vérité », puisqu’elle doit pour le prouver montrer son chaînage à la Vérité.

Mais quel est le statut de cette vérité ?

En Vérité ? Peut-on le dire ? I.1

Le domaine de pratique de la Vérité est l’autorité, c'est-à-dire d’un « pouvoir conféré », arbitraire et de ce fait non contestable, même si elle est acquise illégalement ou de force.

La science semblait en avoir perçu les abus et lui avait adjoint l’expérience. Mais celle-ci repose en dernière instance sur un « Monde Vrai », ce qui lui ôte tout pouvoir propre. Qui pourrait considérer un univers virtuel – de jeux vidéo par exemple - comme domaine de la science ? Pourtant si l’on considère la compréhension comme le but ultime de la science, la meilleure preuve de celle-ci serait certainement d’être capable de créer un modèle indiscernable de l’original. Cependant, que la science ait cru nécessaire d’ajouter un critère d’existence à la vérité est révélateur. Ceci indique la perception d’une différence entre la Vérité et l’Existence ! Il est donc des choses Vraies qui ne sont pas dans l’Existence. La pratique de la science nous indique rapidement quels sont ces objets. Une proposition peut être Vraie sans avoir d’existence : « S’il y avait des habitants sur la lune, ils ne respireraient pas » est une proposition à l’évidence Vraie puisqu’il n’y a pas d’atmosphère sur la lune, ses habitants n’ont rien à respirer. C’est pourtant une proposition non prise en compte par la science son prémisse « l’existence d’habitants sur la lune » n’étant pas Vrai. On voit de la sorte que le prédicat « existence » dépend lui-même de la Vérité, mais limite la Vérité de la Vérité. I.2

La vérité chargée de cette autorité devient référence, étalon suprême. Tout peut lui être rapporté et être mesuré à son aune. L’impression de transitivité que donne la Vérité provient de là. Il n’y a pas transfert de la Vérité d’un coté à l’autre d’une déduction, mais (possibilité de) rapport de chaque membre à la Vérité (de chaque membre et de l’opération qui les joints).

La Vérité est – on l’a vu – indépendante de l’existence, même si le contraire n’est pas vrai. Alors lorsque l’on défini la Vérité comme l’accord au Monde, on signifie dans le même temps que le Monde ne nécessite pas l’existence ! Le Monde ne nécessite pas « ce qui ne peut pas ne pas être », le Monde ne nécessite pas la nécessité !

C’est ce qu’affirme la non-philosophie lorsqu’elle dit le Monde déterminé en dernière instance en immanence radicale, immanence qui ne peut pas plus être qualifiée d’existence que d’inexistence. Seulement, la non-philosophie ne se détermine pas non plus en vérité… II

La non-philosophie est une pratique de pensée explicite qui révèle toutes ses sources, même si celles-ci se présentent comme indicibles et immontrables. Comme condition en dernière instance du dire et du pouvoir de dire, le Réel ne peut être « entièrement » dit, et comme pratique « en pratique », il est de toutes les pratiques. Cette pratique est en « immanence radicale » - qu’elle appelle Réel – et non en Vérité. Ce qui signifie que la Vérité n’est pas une condition nécessaire à la pratique non-philosophique, et qu’elle doit donc être donnée ou définie à partir de cette pratique même.

Cependant ce que pratique la non-philosophie est la-philosophie[1] et la-philosophie, nous le voyons, est « en Vérité ». Elle est ainsi obligée de se poser la question du statut de la Vérité dans sa pratique. II.1

Une valeur est une décision sur le Monde – Monde qui pour la non-philosophie est indiscernable de la-philosophie, puisque la-philosophie pratique le Monde (décisions philosophiques) en Monde (depuis une autoposition qui fait plis du Monde sur le Monde) -. Autrement dit, la-philosophie détermine à partir d’une expérience du Monde une connaissance qui fait Monde (sur un mode universel).

Une Valeur est donc une décision sur la décision (philosophique), l’affirmation d’une « mesure (d’un élément) du Monde ».

Mais si la valeur est décision sur le Monde, la rigueur non-philosophique demande à ce que la donation du Monde soit préalable à la Valeur. D’une primauté qui n’est pas d’un ordre temporel, mais de celui de la cause et de l’effet. Ainsi la pratique de la-philosophie « en vérité » montre l’existence d’un pli qui extrait la Vérité du Monde et en recouvre le Monde comme a priori.

Pour la non-philosophie, dire que la-philosophie se pratique « en vérité », alors que la Vérité est une donation du Monde, implique une donation première du Monde, puis de la Vérité en ce Monde et enfin une pratique du Monde en cette Vérité dans un pli autoposé.

Voici alors une différence entre la non-philosophie et la-philosophie qu’elle pratique : pour la non-philosophie dire ou manifester le Monde, ce n’est pas en dire la Vérité ou l’Existence, c’est le pratiquer en Réel. La Vérité, même a priori, n’est que secondaire. Alors que pour la-philosophie, la Vérité est la première ‘chose’ qu’elle exprime. La préséance des causes l’obligeant alors parfois à poser un être divin ou une certitude absolue pour la justifier au préalable, garantissant ainsi à l’a priori sa priorité.

C’est ce statut de la Vérité qui permet à la-philosophie de « découvrir », de dé-couvrir des aspects cachés du Monde, qui découvert prennent la couleur de l’évidence : s’il est possible de construire un(e explication du) Monde qui fonctionne conformément à l’expérience, c’est bien qu’ « en Vérité » le Monde est ainsi qu’on l’a construit ! Et donc que notre construction est bien l’explication de ce Monde. La-philosophie en profite pour démontrer par là-même que le Monde est (et qu’il n’est pas Rien puisqu’ « en Vérité » il est !)

Seulement, si la Vérité n’est pas le don de quelque entité avant le Monde, peux t’elle toujours être « ultime et absolue, idéale et fiable » ? Une pratique en vérité à priori (du) Monde peut elle être autrement que « relative et contingente, pratique et incertaine » ?

Pour la-philosophie, la Vérité est une « Idée Pure » puisque préalable au Monde. Une idée certaine et qui ne prête pas à discussion. Absolument et universellement certaine. S’il est une chose dont on est sûr, c’est que la Vérité est Vrai et que ce qui est Vrai est « en Vérité ».

Une autre certitude de la-philosophie est qu’il existe une manière de raisonner qui permet de conserver la Vérité tout le long du raisonnement. Et chaque philosophe considère qu’il pratique ce mode de raisonnement. Le cœur de ce mode de raisonnement à été posé par Aristote et repose sur deux principes : Le tiers exclus et la non-contradiction. II.1.1

La non-contradiction exprime la pensée que si deux propositions exposent deux idées à la vérité opposée seule l’une des deux est « en Vérité » Vraie et l’autre nécessairement « en Vérité » fausse.

Cette loi devrait traduire le caractère Universel : Ultime et Absolu de la Vérité et est généralement considéré comme causé par la consistance du Monde. Pour le Monde vu de la-philosophie, la science ou la religion, la seule certitude qui résiste au doute n’est sans doute pas le « je pense », mais la Vérité de la non-contradiction : si A est Vrai alors non-A est Faux.

Pour la non-philosophie, en revanche, la non-contradiction est une pratique en-philosophie, mais qui n’a pas d’usage dans l’identité de la-philosophie. Elle peut ainsi définir comme philosophies des philosophies contradictoires et les pratiquer en Réel. II.1.2

Le tiers exclus indique pour sa part, l’expression d’un Monde manichéen où ce qui n’est pas Vrai est Faux et ce qui n’est pas Faux est Vrai, sans qu’il y ait de place pour tout autre valeur.

Indice de la Suffisance : Idéale et fiable, et bien fréquemment complétée par la pensée que s’il existe une proposition connue « en Vérité » fausse alors il existe nécessairement une proposition « en Vérité » Vraie, même si celle ci n’est pas connue et si aucun moyen de la déterminée n’est actuellement disponible.

On peut, cependant se demander si une multiplicité de valeurs nuirait réellement à cette fiabilité. La non-philosophie prétend que retirer à la-philosophie sa suffisance, ne réduit en rien l’identité de celle-ci, que seule « la Réalité » de son accès au Réel en est modifiée, car seulement « en dernière instance » et non directe. Le tiers exclus permet des philosophies praticables mais il est possible de concevoir des philosophies tout aussi praticables sans lui, seulement, peut être, moins simples ou moins universelles. II.2 II.2.1

Cependant, si la Vérité est définie comme l’accord de la pensée – de la philosophie – au Réel, dénier à la philosophie un accès à ce Réel est également lui dénier son accès à la Vérité.

On voit immédiatement que cette affirmation n’a de sens que si la Vérité est première, et même première (ou au moins concomitante) au Réel. Le Réel doit être donné « en-Vérité » pour que son identité y soit définie. Or en non-philosophie, le Réel dans son immanence radicale est « seul » premier, même si l’impossibilité de l’identifier « comme Réel » interdit d’apporter la preuve de cette solitude.

En non-philosophie, la Vérité est un aspect de la-philosophie. C’est en la donation de celle-ci que celle-la peut se pratiquer. C’est en la pratique de la Vérité en la-philosophie que l’établissement de la preuve permet de juger de cette fiabilité.

Quelle procédure pourrait d’ailleurs attester de l’adéquation de la pensée au Monde ? Le Monde étant soumis à l’illusion et la Vérité à la fausseté, rien ne garantirait que l’adéquation présentée ne soit pas une « illusion fausse » considérée alors comme « Réel Vrai ». Il faut, en non-philosophie, que la pratique de la vérité prouve le Vrai en toute rigueur – de manière incontestable – mais sans s’ancrer dans un « en dernière instance Vrai ». La dernière instance ne pouvant être « que » Réel, et le Réel – immanence radicale – ne pouvant pas plus être identifié comme Vrai que comme Faux. II.2.2

Comment concilier le principe logique d'après lequel une proposition fausse a un sens (si bien que le sens comme condition du vrai reste indifférent au vrai comme au faux) et le principe transcendantal, non moins certain, d'après lequel une proposition a toujours la vérité, la part et le genre de vérité, qu'elle mérite et qui lui revient d'après son sens ?

Gilles Deleuze « Logique du sens »

La Vérité soutient le Monde, elle fait de ce Monde, un Monde qui soit toujours Un et pourtant que l’on partage avec l’Autrui. Un Monde fidèle, authentique et sûr. Si pour la non-philosophie, le Monde est donné en Réel et non en Vérité, ce Monde ne peut être partagé qu’en Vérité, car le Réel non-philosophique ne peut être cause.

Si la Vérité n’est pas la concordance entre le concept et le Réel, puisque le Réel en non-philosophie est indicible, immontrable, inaccessible, mais qu’elle reste le moyen de la preuve du Monde, c’est que l’identité de la Vérité est ailleurs. La force de la Vérité est dans son partage. III

«Jésus lui dit: Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi.»

Jean 14-6

Vérité Sacrée : Séparée, inviolable ; crainte et respectée, absolue et extrême, car causé en la divinité. La religion se veut le lien entre les Hommes par la pratique de valeurs communes. Elle affirme ainsi que le Monde est d’origine sans Valeurs, mais qu’il ne peut être vécu ainsi, il faut donc lui « donner Valeur ». Pour les religions révélées monothéistes : « il y a les tables de la loi » qui scellent l’accord de l’Homme et de Dieu. Vérité incontestable, « ultime et absolue, idéale et fiable », vérité de la loi, la Vérité révélée donne à l’Homme le Monde à pratiquer et son mode d’emploi.

Puis vint le Christ.

Il délia l’Homme de l’ancien contrat pour le guider vers le Père : le vivant.

a dit jésus

s’ils vous disent ceux qui vous attirent

voici le royaume est dans le ciel

alors les oiseaux du ciel vous devanceront

s’ils vous disent il est dans la mer

alors les poissons vous devanceront

mais le royaume est à l’intérieur de vous

et il est l’extérieur de vous

quand vous aurez reconnu vous-mêmes alors vous serez reconnus

et vous saurez que vous êtes les enfants du père le vivant

si en revanche vous ne vous reconnaissez pas

alors vous êtes dans une pauvreté

et vous êtes la pauvreté

Thomas 3

On ne dira point: Il est ici, ou: Il est là. Car voici, le royaume de Dieu est au milieu de vous.

Luc 17-21

Il remplaça la Vérité Révélée par une Vérité découverte. Une Vérité qui ne se fonde plus sur l’absolu d’une donation extérieure, mais sur la pratique intérieure. Car « Prenez, ceci est mon corps. Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude.»…

« En Vérité, je vous le dis » : moi, Vérité, que je suis et que je dis, vérité intérieure et pourtant partagée par tous ceux qui entendent. Le Christ affirme, par ces mots, montrer la Vérité par l’exemple : il est le chemin de Vérité qui mène au Père le vivant, au Monde.

En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m'en vais au Père.

Jean 14-12

Car ceux qui entendent, refont l’œuvre et recrée en eux le royaume.

Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera point.

Luc 18-17

Ce royaume de Vérité qu’il faut prendre avec foi, non pas la foi de la croyance, mais la foi de la pratique en Monde. Une foi sans question et sans doute, car il n’y a pas a douter du Monde. Sur le terreau de la foi sans préjugé, celle qui pratique le Monde sans ni le mettre en cause, ni le mettre en question, poussera la graine de Vérité. Et c’est cette expérience de la Vérité qui ôtera le doute. Une foi qui ne nécessite même pas la promesse pour agir, niant par là même la grandeur d’Abraham… et c’est bien en cela qu’elle rompt l’ancien pacte.

a dit jésus

quand vous aurez fait le deux un

vous serez fils de l’homme

et si vous dites montagne éloigne-toi elle s’éloignera

Thomas

La vérité « en Christ » qui pourra même changer la création et « déplacer les montagnes » non pas contre le Père, mais avec lui. Car là est l’ultime vérité annoncé par le Christ (et non révélée par lui), le fils de l’Homme, l’esprit (de l’Homme) et le Père (le vivant) sont Un.

Le Christ annoncé comme Prophète se révéla bien plus grand… Venu dire « il y a », il dit « en Vérité, je vous le dis, il existe » un Royaume, un royaume dont chacun peut faire l’expérience, un Royaume de Vérité. Liant comme Un, la Religion, la Science… en une Philosophie.

Vérité d’évangile.

A dit jésus

vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres

Jean 8-32

[1] la-philosophie est l’expression non-philosophique pour désigner « n’importe quelle philosophie », ce qu’il ne faudrait pas confondre trop vite avec « toutes les philosophies ». « n’importe quelle » désignant une philosophie chaque fois.



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