Parricide. Ou comment Saint-Gilles à l'Épée rectifie la non-philosophie

03/10/2003, François Laruelle



Les onphistes non-philosophes ont lu l'introduction de Gilles Grelet (Saint-Gilles, évidemment en souvenir de La Sainte-famille de Marx) à sa soutenance de thèse. Sa mise en ligne sur le site est conforme aux statuts de l'Onphi. Comme je vais répondre à sa critique de ce que j'appelle la "non-philosophie" (désormais nph), je tiens à témoigner de l'objectivité et du dévouement avec lesquels il fait son travail au sein de notre organisation et qui ne peuvent être mis en cause, tout en espérant comme chacun d'entre nous, lui donner la bonne impulsion. De même c'est comme membre ordinaire de l'Onphi, non comme son Président, que je tiens à contester avec pareille vigueur son orientation qui me paraît problématique dans son argumentation, ses intentions et ses effets. Et d'abord, on comprendra peu à peu pourquoi, parce que c'est une orientation et qu'il n'est pas sûr que le problème de l'Onphi soit celui de son orientation. Comment s'orienter dans l'Onphi? Rappel dangereux, pourquoi pas aussi comment s'occidenter dans l'Onphi? Je suggérerai schématiquement qu'on peut diviser l'espace du matériau de l'Onphi mais pas la cause indivise de son usage et qu'il ne peut exister plusieurs "non-philosophies" (au sens littéral de ce mot uni-latéral— UNI-LITTÉRAL?). Je critiquerai donc sur le cas de Saint-Gilles la confusion majeure entre les effectuations et les interprétations de ses axiomes. On regardera de près si cet avertissement est une nouvelle fermeture orthodoxique, ou bien si au contraire le respect strict du style de la nph n'est pas le moyen de se libérer autant que faire se peut des chaînes de cette doxa supérieure pour mieux se détacher de la religieuse.

Le contexte de l'intervention évoqué par Saint-Gilles, peu métaphorique dans son esprit, est celui de la guerre avec et en faveur de l'Université. Y est incluse une guerre sur le même modèle avec et en faveur de la nph. Sous quelle forme? Dans la tradition philosophique et psychanalytique, ce type de geste n'a pas d'autre nom que celui de "parricide". Le terme convient évidemment à un platonicien. Certes pour qu'il y ait parricide, encore faut-il qu'il y ait un père. Mais c'est le parricide qui en réalité, dans cette tradition, fait le père ou en découvre un. Bon gré mal gré j'assume cette fonction à laquelle G.G. me désigne, quitte à préciser plus tard dans quelle mesure un nom propre d'inventeur peut encore être accolé à la nph. Opération symbolique à tous les sens du terme, le parricide a des bénéfices, il laisse subsister un héritage doctrinal réduit (seule vaut encore la "découverte" du Réel) mais utilisable et surtout mieux utilisable que par le Père qui n'aura pas su le faire fructifier, et une autorité au moins doctrinale laissée vacante et qu'il devient possible de ré-assumer. Qui sera le nouveau chef de la phratrie non-philosophique, celle qui est vouée aux tâches d'ordre théorique, bien entendu, et même théoriste— je ne parle pas de l'Onphi et ne confonds pas les ordres. Mais dans cet ordre-ci il unifie la horde des frères non-philosophes (et des sœurs, je suppose?) par la guerre de tous contre tous, ou de chacun contre chacun. De là sa plainte contre un certain pacifisme et, encore plus détestable, un libéralisme mou de la nph. La vieille dictature du prolétariat assumée désormais par Christ à l'Épée... Personnellement, à part le refus inconditionnel (anti-hégélien) de la guerre comme sise dans le Réel ou la Dernière Instance, je ne vois rien d'un pacifisme libéral dans la nph c'est-à-dire dans le sujet défini spécialement comme "en-lutte". À quoi servirait la lutte si elle n'était de libération plutôt que de libéralisme, de désaliénation du Monde? Saint-Gilles fait semblant de ne pas voir l'usage que je fais moi aussi de la gnose, qui sans doute n'est pas celui des Nouveaux Philosophes et de ce qu'il en subsiste de "prolétarien" chez lui. Par excellence la gnose n'appartient pas à une doctrine (de là le caractère problématique de son usage de matériau unique) et l'hérésie qu'elle permet ne peut servir à identifier (au sens ordinaire du mot) une pensée ou un individu, une nouvelle sainte famille. La gnose est plutôt un facteur ou un exposant du matériau philosophique, le "levain" ou le "sel", le ferment qui doit faire "lever" la lutte et en faire une rébellion. Quant à la conclusion de cette discussion, elle sera que la non-philosophie ne peut, elle, pratiquer le parricide qu'elle estime d'une certaine manière impossible ou hallucinatoire dans son concept, ne connaissant du Père ou de la Paix que l'Homme plutôt que Dieu, et du crime que celui du sujet-en-monde contre un autre. Avec Saint-Gilles nous sommes ici sur un terrain déjà connu que je persiste à appeler "platonicien". Il y a beaucoup de platonisme dans la nph aussi, peut-être pas plus que d'une autre philosophie, si ce n'est que justement Platon est le héraut de la divine philosophie ou l'adversaire principal, le premier d'une longue théorie dont Hegel et Nietzsche ferment la marche.




L'argumentation de Saint-Gilles ne peut être évidemment, vu les circonstances, que polémique et stratégique, elle n'en est pas moins théoriquement très violente. Elle se passe en trois temps, cela n'étonnera personne.

a. Le but général apparent est de défaire l'Onphi (qui revient ici comme cause et lieu de mise en ligne et comme destinataire des textes) du risque de toute doctrine officielle, la nph risquant d'être une "orthodoxie". Pour cela il la réduit à l'intérêt d'une simple découverte, celle du Réel, découverte d'ailleurs innocente de ma part, comme si un beau matin j'avais mis la main sur un trésor inespéré et, il faut l'avouer, un peu indu. Quelle chance il a eue! une trouvaille faite presque malgré lui! Même le nom propre de son "inventeur", de celui qui l'a découvert, n'est pointé que pour être mis entre parenthèses. De cette manière, privée d'auteur, et plus profondément de contingence philosophique, la nph est réductible à trois axiomes relativement formels et neutralisés, tel un instrument de gestion ou un attrape-tout. Contre le risque de la trop fameuse "orthodoxie"— une vraie tête de Méduse, celle-là, avec laquelle les non-philosophes jouent à se faire peur et peut-être à affirmer leur aspiration à remplacer une orthodoxie par une autre— G.G. pose l'équivalence des interprétations sur la base d'un Réel devenu abstrait, une coquille vide et passe-partout, et pour lequel d'ailleurs le langage est devenu indifférent. S'il l'est au Réel, il ne l'est pas à sa nomination dans la nph, et si le Réel est forclos au nom de "Laruelle", sa nomination c'est-à-dire la nph elle-même, ne l'est pas. Et voilà pourquoi je ne peux être totalement muet et réduit à faire le mort (l'envie pourtant ne m'en manque pas) lorsque l'on parle avec... mon langage, comme je parle avec ceux de Platon, de Kant, de Nietzsche, etc. Même les découvertes des mathématiciens et des physiciens, des psychanalystes aussi ("soyez lacaniens si vous voulez, moi je suis freudien"), ont un nom propre, et pas seulement les romans. Sans parler des philosophes puisque le Système du Savoir Absolu, lui aussi, porte le nom de Hegel. Inutile de dire que je ne crois guère à l'Idée de la nph comme discipline théorique neutre opposée à l'œuvre personnelle, tout cela est imaginaire, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait pas un aspect théorique-disciplinaire à développer. J'en profite pour saluer en Gilles Grelet, dont je mets le nom très haut, l'auteur de la non-religion... Or c'est sur la base de ce formalisme que l'on s'autorise à poser l'équivalence de diverses "nph" possibles et en particulier de la nph existante et de la non-religion.

b. Mais cette paix toute formelle n'était que chiffon de papier, car tout se renverse et cette prime réduction de la suffisance non-philosophique n'était que l'opération préparatoire qui permettait de glisser sous le nom de nph une autre interprétation, celle de la non-religion. J'ai suffisamment dénoncé dans des cours la politique du coucou qui est celle de la philosophie par rapport à la science pour ne pas être surpris de ce dernier "coucou!" que me fait la non-religion. Attention! Enfant "dans le dos" ou substitution d'enfant dans le berceau, comme on voudra! Si un langage est choisi en fonction malgré tout comme chez Saint-Gilles des critères de tranchant et de pouvoir de division, s'il devient déterminant du Réel lui-même, alors c'est le Réel qui est subrepticement engagé, impliqué et non pas neutre comme il était supposé l'être, c'est le Réel comme "division immanente"— ce que cela veut dire, on le voit incessamment. Finalement il y a bien une hiérarchie des vocabulaires, et la non-religion est opposée frontalement (sans donc passer par le travail d'une théorie unifiée) à la nph, et comme plus efficace dans la lutte contre le Monde. L'équivalence était une ruse pour se débarrasser de la nph et poser la supériorité de la non-religion. C'est le grand thème de la "rectification" de la nph. Évidemment ce n'est pas une rectification mais bien une nouvelle interprétation d'ensemble des axiomes qui permettait cette substitution, une inquiétante rectification par l'épée...

c. Enfin, que peut-il venir après cette dyade de positions contradictoires, mise à plat ou en équivalence puis valorisation de la religion? Le troisième terme évidemment, la synthèse du système. Et c'est, on l'aura compris, le terme même de "nph" qui assume cette fonction, mais un terme complètement surdéterminé et incohérent qui doit garder les avantages de la nph ("classique") et ceux de la non-religion, ainsi coalisées. Nous voici à nouveau dans le giron du système. À cette ambiguïté, concourent le refus de dire "Dieu" à la place de "Réel" mais surtout le concept de "philosophie orientale" ou de religion qui tantôt exclut la philosophie occidentale et tantôt l'inclut comme un moment incomplet. "La religion est davantage la pensée-monde que la philosophie" (Saint-Gilles)? Non, elle est plus menaçante et plus criminelle (donc la gnose déchaînée aussi?), mais elle ne fournit ni le vocabulaire adéquat ni la technique critique que fournit la philosophie et qui sont nécessaires pour pouvoir parler de non-religion au nom du Réel. C'était donc une opération philosophique. Ses autres noms, "tirer les marrons...", ou "diviser pour régner"... La "multiplicité des nph", le "courant" ou le "mode" laruellien, la "variante Laruelle" (formulations saisies au hasard d'échanges avec divers inter-nonphilosophes), ces formules n'ont de sens, déjà approximatif, que pour les effectuations et ne peuvent signifier des interprétations. Il faudra éclaircir en particulier le vocabulaire de la non-religion et ne pas faire passer les éblouissantes lumières orientales pour la nuit aveugle du non-savoir. La nph n'est pas "la philosophie les yeux fermés" ou la philosophie "aveuglée".




Allons au fond du problème. Quel est l'affect principal, le pathos de Saint-Gilles? C'est le chorismos platonicien (séparer et placer) et ce qui en est passé dans la gnose. Or la nph n'est ce qu'elle est que de distinguer radicalement le chorismos, qui implique le survol contemplatif de la division, et l'être-séparé immanent ou sans-séparation. L'Uni-latéralité est, si l'on veut, un chorismos "devenu" radicalement immanent, ou justement un être-séparé-sans-chorismos (elle échappe donc à l'objection anti-platonicienne d'Aristote) et qui exige une sévère réduction du platonisme et de la gnose. La technique argumentative de G.G. est celle du partage survolé, de la division contre l'identité fétichisée, mais division qu'il contemple comme immanente. En tant que réelle, la division est immanente, il le sait fort bien et le dit, mais c'est d'une demi immanence qu'il s'agit alors. L'essence dernière du philosophe se reconnaît à ce que, parlant immanence, il continue à la contempler à la manière du Logos, au lieu de la pratiquer de manière elle-même immanente. De là le théorisme et une dernière extériorité de la division. C'est chez lui la source 1. de son pathos du tranchant et de la rigueur, 2. de sa critique de l'identité (?) du transcendantal et du sujet, 3. de son appel à la trinité unilatérale et à quatre termes séparés. C'est comme s'il avait encore tranché une dernière fois dans l'immanence radicale elle-même et l'avait mise en pièces détachées ou semi détachées. Tout s'éclaire alors d'une autre manière, moins formelle et subjective mais plus platonicienne, à savoir que le parricide porte moins sur le non-philosophe "découvreur" qu'il ne porte sur le Réel ou l'Un. La nph n'est pas la philosophie de Parménide malgré l'identité radicale, qui n'est plus celle de l'Être-Un et qui s'ouvre, sans transcender, comme Uni-latéralité. Mais ici aussi il fallait qu'il tue le Réel pour pouvoir articuler une trinité ou un quaternaire d'instances et mettre dans la nph, sinon la vie que Platon voulait mettre chez Parménide, du moins le tranchant ou le fil de l'épée. Lorsqu'au contraire l'immanence radicale n'est plus survolable ou objet de contemplation, qu'elle est le déterminant aveugle ou indocte de la pratique, il y a une identité stricte entre elle et non pas sa division (une propriété encore appréhendée de l'extérieur) mais l'Uni-latéralité qui prend son vrai sens et n'est plus elle-même contemplée. Il faut cesser de se représenter subrepticement une dernière fois l'Un et la division, c'est l'Un qui est séparé par son immanence ou qui est Autre-que... la transcendance, ou Uni-latéral par immanence et non plus par transcendance. Autrement dit Saint-Gilles, comme tous les philosophes qui en appellent à l'immanence, contemple une dernière fois, mais contemple encore la séparation, l'être-séparé comme division. De là les formules maoïstes, critiquées par lui mais seulement à demi, Un se divise en Deux, Deux s'unifient en Un. C'est avec ce type de formules que la philosophie s'oppose simplement à Hegel, au lieu de s'établir dans une immanence qui puisse être dite radicale c'est-à-dire être radicalement dite, au sens où le dit lui-même est immanent tout en usant de la transcendance du Logos. Je tiens donc que cette référence platonicienne, loin d'être erronée, et même, ne venant pas d'un anti-platonicien, insultante, est la clé qui permet de comprendre le projet nostalgique de Saint-Gilles.

Cette identité (de) l'immanence n'est divisée ni extérieurement ni intérieurement, elle exclut de toute façon l'amphibologie de l'intérieur et de l'extérieur. C'est de cette manière que la nph est parvenue, non sans mal ni hésitation, à la dualité unilatérale comme immanente et non comme dualité contemplée. De là la distinction? non justement, la dualité unilatérale du nouage (explicitement, Nietzsche, Lacan, Badiou) et du clonage, comme opérateurs fondamentaux, l'un de la philosophie et l'autre de la nph. Le nouage met en œuvre des pièces transcendantes ou en cours de division et les noue d'un nœud lui-même transcendant quoique inclus comme pièce quelconque dans la nouage. Le clonage n'est que le respect de la "loi" d'immanence radicale pour toute instance en rapport, en non-rapport plutôt, avec le Réel. Le clonage n'est pas plaqué sur des instances deux fois transcendantes (en soi et selon leurs rapports), mais sur des instances qu'il a déjà transformées en une fois chaque fois transcendantes, donc rapportées à l'immanence radicale qui distribue ce "une fois chaque fois". À son tour la dualité unilatérale du clonage (lui-même une telle dualité) et du nouage philosophico-mondain n'est pas le nœud de la philosophie et de la nph. Celle-ci est le clone de celle-là. La nph se consacre à produire des clones en son sens à elle, c'est sa "rébellion".

Puisqu'il est beaucoup question de propriété et de non-propriété, quelques précisions. De toute façon, je n'ai pas inventé le "Réel", ni l'Un, ni l'homme (tous les philosophes...), ni même l'idée et l'expression toute faite d'"immanence radicale" (M. Henry et peut-être d'autres, Maine de Biran? Marx?). Même pas l'Idée d'une structure de tripode (Marx et Lacan, après tout, eux aussi, eux déjà...). En revanche j'ai inventé plusieurs choses qui de mon point de vue sont caractéristiques de la nph et la distinguent vraiment de la philosophie. Ce sont les huit manières de réduire la radicalité ou la radicalisation au Radical, de poser le primat du Radical sur la radicalisation, ou de l'Un sur l'unilatéralité, ce que l'on pourrait appeler trop vite la logique de la radicalité ou de l'unilatéralité, mais qui sont les instances de sa pratique, ses conditions de réalité plutôt que d'existence. Ce sont 1. le plein sens de l'immanence comme seulement réelle et non transcendantale, 2. la nécessité de traiter l'immanence par l'immanence, de manière immanente, comme non survolable par un philosophe, donc le plein sens de sa nature radicale et non absolue, 3. l'être-déjà-donné de la philosophie en-Un, son apport ou son unilation, 4. la structure de l'immanence réelle comme Uni-latéralité ou Autre-que..., 5. le couple de la détermination et de la détermination-en-dernière-instance (le clonage) et l'identification de cette dernière avec le concept de Marx, 6. la dualité unilatérale de l'Homme et du sujet, la dissolution de leur confusion, 7. l'immanence radicale ou l'Uni-latéralité comme messianité humaine ou futur immanent, comme être-tourné-vers-le-Monde, la vocation de la nph à l'utopie et à la fiction, 8. le discours ou le sujet non-philosophique comme théorie unifiée d'un aspect mathématique (axiomatique) et d'un aspect philosophique ou oraculaire. L'ensemble de ces traits dessine une utopie de l'Homme comme table rase négative (pour l'opposer aux utopies comme tables rases positives et meurtrières) qui prend la forme d'une mathématique humaine (pour l'opposer à une "mathématique divine", Leibniz, et à toute mathématique philosophable comme platonicienne).

Le point qui concentre les résistances est sans doute l'invention de l'homme comme Nom-de-l'Homme, nom premier pour la cause de la pensée. Et celui qui concentre les différends est le style de la nph comme identité du style, qui possède un double aspect, de discipline et d'œuvre, de théorème et d'oracle. Mais la véritable difficulté à entendre la non-philosophie est très profondément dissimulée dans les profondeurs de la philosophie elle-même. C'est que celle-ci ne cesse, de Parménide à Derrida, voire à Levinas, de transformer son contenu thématique de transcendance en oubliant de transformer aussi la transcendance opératoire ou formelle, tantôt topologique tantôt logique, dans laquelle elle déploie ses opérations et tisse sa tradition. La philosophie, elle aussi, est à double niveau, ses conditions de geste et le thème superficiel, elle aussi a un présupposé mais l'ignore ou l'efface dans l'unité de l'apparence qui s'appelle le Logos. La non-philosophie risque de prendre le même chemin et de se contenter de travailler le niveau thématique de la philosophie, non ses objets de surface et son bavardage (il y a longtemps que nous n'en parlons plus, et ce sont de toute façon simples matériaux pour induire un travail de transformation), mais la forme-transcendance de ses objets. Elle risque finalement par précipitation de recueillir le mauvais héritage de la philosophie, celui de son présupposé plus profond encore que le jeu des transcendances. C'était cela que voulait dire l'impératif de la radicalité de l'immanence, traiter l'immanence de manière immanente, ne pas en faire un nouvel objet. D'où le non-(philosophie) et le refus du chorismos platonicien, symbole de toute abstraction philosophique.

Vous êtes tous en droit (c'est-à-dire "en pouvoir") de me retirer les illusions que je m'étais accordées par narcissisme excessif. Jusqu'à mon nom dont je remarque qu'ici et là il est de plus en plus détaché de la nph et qu'il devient un accident de son histoire. Il est vrai que j'avais baptisé la "nph" de ce terme pour la libérer de moi et me libérer d'elle, mais il ne faudrait pas oublier qu'il y a eu au moins opération de baptême et que volens nolens je suis "père" et "prêtre" d'une confession sans-Dieu, et pas simple porte-axiomes dans cette affaire humaine. Pas d'illusions, l'héritage partira en morceaux et en interprétations. Mais difficile de ne pas pointer une première fois le cœur du différend. On a confondu, et Saint-Gilles plus que tout autre mais aussi avec plus de décision que les autres, les effectuations multiples de la nph, possibles et nécessaires, avec ses interprétations. La liberté non-philosophique de l'effectuation et la liberté philosophique de l'interprétation. Les effectuations exigent de reprendre à zéro la nph du point de vue de son matériau philosophique et donc aussi mais dans ces limites la formulation de ses axiomes, mais nullement de donner d'emblée des interprétations divergentes de ses axiomes. Divergentes parce qu'elles ne tiennent pas compte du matériau dont ces axiomes sont issus dans la nph, et parce qu'elles ne voient pas elles-mêmes qu'elles sont les symptômes d'une autre vision du Monde. Toutefois je dois plaider aussi coupable pour manque de précision, les énoncés de la non-philosophie ne sont pas de purs axiomes et théorèmes mathématiques, ils n'ont qu'un aspect mathématique. Ils sont, par leur extraction ou leur origine, mathématiques et transcendantaux. Et par leur fonctionnement déterminé en-Réel, à l'intérieur de la non-philosophie, ils sont identiquement en-dernière-humanéité des entités qui ont un aspect d'axiome et un aspect d'interprétation (ou d'oracle, comme j'aime dire maintenant) qu'il est tentant, moi-même fournissant la tentation, d'isoler et de transformer en pleine liberté d'interprétation.

Je répète que Saint-Gilles distingue sans ambiguïté son travail à la tête organisatrice de l'Onphi et sa position personnelle dans la théorie, et c'est seulement sur ce dernier point que je lui réponds. Mais ce conflit engage de toute façon le destin de l'Onphi, il ne peut pas ne pas espérer l'orienter par et sur le mode théorique (par le théorisme). Que d'idéalisme platonicien autoritaire dans cette ambition, est-ce la cité des Lois revue par la gnose? Tout cela est évidemment cohérent à sa manière. Je vois beaucoup de talent dans cette tentative et j'admire l'audace de pareille décision. Mais elle me paraît étrangère à l'"esprit" et surtout à la fécondité de la nph. Finalement le parricide, bien que formant tradition, n'a lieu qu'une fois ou que dans un seul sens. Il était possible pour Platon et représentait un enrichissement possible de Parménide en y introduisant l'Autre comme non-être et langage, mais est-il possible encore avec la même fécondité sur la non-philosophie, cette fois en y introduisant, toujours les mélangeant, la (non-) religion, sinon comme un ressentiment philosophique et religieux? Si la philosophie commence par un crime, sans doute est-elle obligée de continuer par les mêmes voies, comme quoi les crimes de la philosophie, une fois commis le crime fondateur de Platon, sont de réaction et d'auto-défense. De là sans doute Marx, l'histoire commence par une tragédie, se répète ou termine par une comédie.

Je formulerais enfin une demande pour l'éthique non-philosophique de la discussion. Ce qui me fatigue, je l'avoue, c'est l'usage permanent en guise d'argumentation de ce que l'on appelle la rétorsion (le suffisant c'est toi, l'orthodoxe c'est toujours toi, mondain toi-même, maître tu en es un autre). Il fallait inventer ce genre de rétorsions qui se fondent sur la confusion des effectuations de la nph et de ses interprétations globales! La rétorsion est la loi mais comme toute loi trop-humaine, elle doit acquérir une dimension qui la déplace, ou plutôt qui l'emplace et lui ôte son autorité mais non toute efficacité. Si le non-philosophe ne s'autorise que de lui-même mais au Réel-de-dernière-instance près, qu'il se souvienne que sa critique des autres non-philosophes ne peut user également de la rétorsion que dans les mêmes conditions, qu'au Réel en-dernière-instance près.



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