Clandestin et clandestin-en-Un, une tentative non-phénoménologique du clandestin - Forum ONPhI

Clandestin et clandestin-en-Un, une tentative non-phénoménologique du clandestin

17/12/2008 à 15:52
Par: Xavier Pavie
Clandestin et clandestin-en-Un, une tentative non-phénoménologique du clandestin par Xavier Pavie

Mots clés
Clandestin ; Husserl ; Phénoménologie ; Non-phénoménologie ; Philosophie ; Un.


Résumé
Des propres mots de Husserl, la phénoménologie a pour ambition d'être une science rigoureuse. Par ce fondement établi, cette philosophie permettrait d'analyser ce qui l'entoure et d'atteindre son ambition première : le « retour aux choses mêmes ». Dès lors l'analyse de toutes choses, de tous êtres - ici celui du « clandestin » - devraient pouvoir être déterminée par la phénoménologie. Toutefois comment ne peut-on pas s'interroger sur la prétention d'une discipline qui montrerait l'accès à la connaissance « même » ? Néanmoins, on ne peut que reconnaître l'intérêt voire même la nécessité de cette quête. Comment donc conserver l'objectif de la phénoménologie tout en ôtant la suffisance de celle-ci ? C'est ce que nous proposons ici de regarder à travers la « non-phénoménologie » en s'appuyant sur la notion de clandestin.

Husserl himself said that the phenomenology was meant to be a rigorous science. Thanks to this establish notion this philosophy would allow to analyse one's environment and reach its goal: « go back to things themselves ». Thus analysis of all things or beings, in our case: the « Clandestin » should be determined by the phenomenology. However, it seems not possible not to wonder about the pretention of such a discipline which would show the way to knowledge itself ? Nevertheless, we can all but be aware of the interest and necessity of this quest. So, the question is: how can we maintain the goal of the phenomenology without this pretentiousness? That is what we propose to analyse throught the « non-phenomenology » using the notion of clandestine.


Phénoménalisation et non-phénoménalisation du clandestin

Trois tentatives complexes s'offrent à nous dans cette problématique audacieuse qui tenterait de « non-phénoménaliser » ce que nous appelons le « clandestin ». La première de ces complexités se demande pourquoi non-phénoménaliser le clandestin au lieu plus « simplement » de le phénoménaliser, c'est-à-dire de montrer comment il est donné à travers la perception de ses phénomènes ? Cette première complexité s'arrête en quelque sorte plus globalement sur la lutte de la non-phénoménologie face à la phénoménologie. La seconde complexité se pose sur le terme même du clandestin, qu'est-ce qu'un clandestin ? Qu'est-il de sa possible phénoménalisation ? Enfin, l'ultime complexité se demande ce que serait une non-phénoménalisation du clandestin ? Quelles différences avec la phénoménalisation ? En quoi semble t-elle plus pertinente, nécessaire, mais surtout, en dernière instance semble être l'unique proposition possible.

Précisons en préambule, que ce choix de problématique nous paraît intéressant à l'endroit du clandestin comme cela aurait été le cas à l'endroit de tout être. En effet, non-phénoménaliser, nous le verrons, reprend l'essence, la volonté et le désir husserlien de « retour aux choses mêmes », en extrayant toutefois ce désir des limites internes de la phénoménologie. Ainsi la problématique proposée croit au projet husserlien, à l'intérêt d'un retour à la chose même - ici du clandestin - mais sans les écueils de la phénoménologie.

1. Pourquoi non-phénoménaliser au lieu de phénoménaliser ?

Un détour par la phénoménologie est nécessaire pour bien comprendre les enjeux qui sont les nôtres. Il faut se rendre à l'évidence du problème et de la limite de la phénoménologie. Celle-ci souhaite devenir une science rigoureuse, une science transcendantale mais paradoxalement en s'appliquant à elle-même la « technique », les fondements phénoménologiques pour remplir cette tâche. La phénoménologie en quelque sorte s'auto-fonde en s'utilisant elle-même. Elle dit ce qu'elle est en se l'affirmant et en s'utilisant. Ainsi pour le clandestin elle n'observe pas les phénomènes de celui-ci, elle s'observe elle-même observant le clandestin. Par conséquent, le clandestin se trouve relégué à un second plan, à une autre chose que lui-même.
Apparaît ici à l'endroit de la phénoménologie une suffisance, une prétention d'accéder à une certaine connaissance ce que finalement elle ne fait pas, ou de façon illusoire. Cela n'est pas sans poser problèmes car la phénoménologie se permet de penser, non seulement sur elle-même, ce qui aurait un impact limité, mais va utiliser des matériaux pour penser hors d'elle-même comme par exemple : autrui, l'art, l'environnement philosophique d'une façon large... La phénoménologie s'auto-construit, s'auto-pense et, comble de cette suffisance, se permet de penser ses dehors et prétend à leur connaissance. La phénoménologie a toutefois une excuse à ses erreurs et ses difficultés : elle est pleinement issue de la philosophie, elle-même entachée de ces pathologies.

L'objectif de la non-phénoménologie sera donc de reprendre ces difficultés phénoménologiques : naïveté, suffisance, prétention, en conservant toutefois l'objectif de science rigoureuse de celle-ci avec un caractère transcendantal, une science transcendantale. La phénoménologie comme science transcendantale est ce sur quoi la non-phénoménologie va essayer d'émerger.

Cette non-phénoménologie va donc nécessairement prendre appui sur la phénoménologie sans toutefois être une déconstruction de celle-ci. Sans la déconstruire, il faut fonder la phénoménologie sous une raison qui ne serait plus la phénoménologie elle-même mais un principe radicalement hétérogène à celle-ci, qui ne soit absolument pas phénoménologique.
L'essence de la phénoménologie sera par conséquent non plus phénoménologique mais non-phénoménologique afin d'avoir comme principe de renoncement cette phénoménologie de la phénoménologie.

Ce terme de non-phénoménologie ne nie pas les termes ni les phénoménologies existantes mais tend à les généraliser en supprimant toutefois leurs naïvetés, suffisance et prétentions phénoménologiques, subissant des limitations globalement philosophiques comme nous l'avons dit.

Il s'agit donc de lever un paradoxe qui est d'user d'une philosophie, ici la phénoménologie, sans la critiquer dans ses objectifs, mais en levant l'autorité de la philosophie globale qui l'affecte. C'est donc un rapport non-philosophique à la phénoménologie qui devra s'effectuer, une suspension de celle-ci hors de la philosophie, hors de l'autorité philosophique et la transformera alors en science transcendantale. Il y aura donc un dernier rapport avec la philosophie dans son lien au transcendantal mais cependant lui-même réduit et suspendu dans la philosophie transcendantale.

Il ne s'agit pas de reconstituer un territoire extra-philosophique, mais de montrer la possibilité d'un usage théorique de la phénoménologie qui elle-même sera arrachée à son auto-fondation idéaliste et philosophique. Il n'y a pas destruction de la phénoménologie mais le suspens de sa mise en scène, de son auto-légitimation.
L'idée de science rigoureuse ne peut plus être réalisée ici sous l'autorité de la phénoménologie, de la philosophie, elle ne peut être réalisée qu'en dehors de la philosophie, avec l'aide de celle-ci, par le suspens de cette autorité, de cette auto-fondation.

Cette non-phénoménologie dénuée d'affect philosophique, se propose en dernière instance d'atteindre en quelque sorte mieux l'objectif de Husserl, qui est d'accéder à une pureté transcendantale.

La présence du « non- » de la non-phénoménologie joue un rôle important dans la visée de l'objectif ; ce « non- » affecte la phénoménologie elle-même dans le but d'emmener celle-ci vers un lieu qui n'a pas été pensé par Husserl. C'est un lieu forclos à la phénoménologie comme à la philosophie : l'Un. La non-phénoménologie échappe ainsi à la donation de phénoménologie vers un lieu non-phénoménologique.

Finalement cette auto-fondation de la phénoménologie que nous venons rapidement d'analyser n'est pas sans poser la question fondamentale sur l'existence de celle-ci. Peut-on démontrer véritablement son existence ? Il existe des phénoménologues, des objets, des textes phénoménologiques mais cela ne fait pas pour autant exister la phénoménologie qui s'auto-déclare. La manifestation phénoménologique se révèle par une non-manifestation, une non-donation. Certes, il y a des phénomènes, mais ceux-ci sont donnés de façon non-phénoménale, comme se donnera le clandestin nous le verrons.

2. Ce que serait une phénoménalisation du clandestin

Avant de non-phénoménaliser le clandestin, demandons-nous ce qu'il adviendrait si celui-ci était phénoménalisé. L'exercice est périlleux car nous essayons, eu égard à ce que nous avons dit de raisonner avec un sens, une certaine logique que nous venons de mettre à mal. Cela nous semble toutefois intéressant pour montrer la nécessité de travailler non-philosophiquement celle-ci.

Permettons-nous un détour qui définit mondainement le terme de « clandestin ». Le Trésor de la langue française nous offre deux propositions majeures pour comprendre ce mot. La première concerne les choses inanimées, c'est ce qui « existe, fonctionne, se fait de manière secrète, en dehors de ceux qui exercent l'autorité, à l'encontre des lois établies, de la procédure normale et licite », par exemple une assemblée clandestine, un journal clandestin… La seconde concerne la personne, l'individu qui « se soustrait par nécessité aux représentants de l'autorité en place et vit en marge des lois ; qui échappe à la procédure normale ».

Nous proposons de retenir la deuxième définition pour notre recherche, le clandestin en tant que personne. Tenter de phénoménaliser celui-ci consiste tout d'abord à retenir tout jugement, à opérer la célèbre épochè dès lors que nous sommes confrontés à la dimension - physique - de ce clandestin. De cette suspension surgira des interrogations, des problèmes évidents sur ce qui pourrait être réduit de la visée d'un clandestin. Pourquoi cette réduction phénoménologique serait-elle problématique ?
Analysons. Si le phénoménologue « réduit » une table, il en retirera les attributs de celle-ci, son essence. Si ensuite il réduit une chaise, la réduction opérée donnera un résultat forcément différent que lorsque c'était la table. De même que la réduction d'un chien sera différente d'un chat, même si des essences pourront être communes. Qu'en est-il du clandestin ?
Si comme le propose dans sa méthode la phénoménologie, nous cherchons à réduire un clandestin, qu'allons-nous chercher à réduire si ce n'est un autre être humain qui éventuellement aura passé une frontière, n'aura pas de ticket de métro, ou encore sera caché à bord d'un bateau… Finalement, quoi de singulier à travers cette la réduction ? Qu'est-ce qui apparaîtra dans l'émergence d'essence, si ce n'est un autre individu comme par exemple l'individu phénoménologue lui-même qui opère la réduction ? A l'extrême, il peut survenir des paramètres différents que l'on peut attribuer à un clandestin transfrontalier : une couleur de peau plus ou moins blanche ou noire, un œil plus ou moins bridé, une texture de cheveux plus ou moins frisée, etc. Toutefois, notons une remarque importante dans cette phénoménalisation. Si l'on admet par exemple les différences de couleurs, le fait de réduire et de ressentir dans le phénomène donné une couleur noire par rapport à une couleur blanche fait certes, surgir une perception de différence de couleur, mais tout autant que ce ressenti peut surgir d'une couleur vive non liée à une caractéristique « clandestine », une peau brunie par le soleil par exemple. C'est la même situation avec les yeux bridés, ils peuvent l'être, un seul œil ou les deux yeux par une autre situation que le fait d'être « clandestin » : accident, malformation… La variation eidétique de la couleur donnera une information sur l'essence de la couleur non sur son support, si ce n'est seulement qu'elle nécessite support.

Ce qui semble ressortir de cette courte tentative d'application de la phénoménologie au clandestin c'est tout simplement son impossibilité à la réduction. La phénoménologie n'accède ici à aucune pureté transcendantale comme l'exige pourtant son objectif, n'accède à aucune vérité, aucune « chose même »…
La notion de clandestin ne peut exister pour le phénoménologue, ou alors seulement dans un concept qu'on lui a expliqué et décrit de façon mondaine mais sans apport ou rapport avec la phénoménologie. En effet, dès lors qu'il est confronté au clandestin, et qu'il tente de le « réduire », le phénoménologue ne saura tirer comme conséquence qu'il est ou n'est pas clandestin.

3. Non-phénoménalisation du clandestin

De ce constat d'échec de la phénoménologie face au clandestin pour savoir qui il est, comment il se caractérise parmi ses possibles phénomènes, que peut la non-phénoménologie ? Pour s'assigner à cet objectif, nous proposons deux axes qui constituent les piliers de la non-phénoménologie, comme de la non-philosophie.

Tout d'abord le fait de penser « à partir de » et non « une pensée de » ; c'est-à-dire de penser le clandestin à partir de lui-même et non une pensée du clandestin ou de clandestin, auquel cas nous retomberions dans la suffisance philosophique ou phénoménologique. Penser à partir du clandestin, c'est considérer la pensée de celui-ci dans l'Un ou Vision-en-Un pour reprendre un terme non-philosophique. Accepter cette pensée c'est rendre le clandestin à sa notion, à ses dimensions intrinsèques. Le penser à partir de lui, en-Un, Clandestin-en-Un si l'on peut dire, c'est le penser donc à partir de lui, en le considérant avec ses attributs, avec ses paramètres, avec ses propriétés quelles qu'elles soient : attitude, visage, peau, langage, etc. La non-phénoménologie ne va donc plus réduire ou faire varier une essence pour ce retour aux choses mêmes mais elle va vivre, accepter, contempler la chose même, ses phénomènes, sans la dénigrer, la réduire ou lui ôter ses attributs. Bien au contraire, elle va les exacerber pour le définir. Ce clandestin-en-Un jouit dès lors de ses propriétés avec l'existence et la considération de ses phénomènes sans que ceux-ci soient évacués au profit d'une variation eidétique qui ne ferait qu'appauvrir les singularités clandestines ou du clandestin.

Le deuxième axe se constitue sur la démonstration de la non-philosophie envers la philosophie où la première montre la suffisance de la seconde à penser le Réel. Pour la non-philosophie, il y a incapacité à penser le Réel, une incapacité liée à la primauté de celui-ci, qui de fait le rend impensable. Si le Réel est impensable, le clandestin par définition ne l'est pas non plus, ainsi de fait que d'innombrables choses. Le clandestin, nous l'avons montré, est inconnaissable pour la phénoménologie même si elle prétend le contraire, pour la non-phénoménologie, le clandestin est impensable. C'est la suffisance de la phénoménologie qui fait croire qu'elle peut le connaître. La non-phénoménologie au contraire démontre les caractères de l'impensable mais pourtant pas de l'inconnaissable car la non-phénoménologie laisse transparaître et laisse exister les phénomènes clandestins, mais sous un prisme tout à fait inédit.
La phénoménologie pense le Réel, pense le clandestin, essaye de le réduire, de le suspendre, de l'interroger, de le forger à sa manière, à son image en quelque sorte. Contrairement à la phénoménologie, la non-phénoménologie ne s'embarque pas dans cette prétention, elle s'extirpe de cet ersatz de Réel avant qu'elle ne soit confondue avec lui.
Le clandestin est. Il n'est pas à construire, à penser à imaginer ou à imager. Au même titre que l'individu ou plus globalement le Réel, le clandestin ne peut être une construction de la pensée ou une théorie sur celui-ci ; le clandestin est. Si sa phénoménalisation est impossible, si elle est une hérésie c'est bien parce qu'elle a été pensée à travers le prisme d'un certain Réel pensable, d'une certaine suffisance à la prétention du clandestin. La non-phénoménalisation en ôtant ce prisme, en supprimant ce Réel ou plus exactement en le considérant comme impensable, permet d'arrimer le clandestin sur sa propre existence, une existence à partir de lui.

4. Respect de la clandestinité.

Dans cette tentative de non-phénoménalisation du clandestin, cette émergence du clandestin-en-Un a permis de démontrer ce que cherche en permanence à prouver la non-philosophie : il y a une pensée de l'Un au lieu d'une pensée de l'être. En effet, le travail sur le matériau « clandestin » comme nous venons de l'effectuer a permis de dégager l'être de la réflexion, cet être qui s'est fait phénoménaliser et réduire pour ne plus être pensé au profit cette fois non plus d'un être mais d'une pensée en-Un. Une pensée en-Un qui elle seule a su rendre au clandestin son existence et ses phénomènes, par ailleurs le respecter non plus sur lui mais selon lui, à partir de lui, de ses singularités.
La différenciation entre la phénoménalisation du clandestin et sa non-phénoménalisation est donc claire. Il y a appauvrissement chez l'un du clandestin, quand il y a émergence des propriétés du clandestin chez l'autre. N'est-ce pas finalement entre les deux une question d'ordre kantienne à travers la notion de « respect ». Kant conçoit en effet le respect d'abord à travers le respect que l'on a envers soi car il constitue le fondement du respect envers autrui. La phénoménologie se respecte t-elle alors qu'elle semble hypocrite envers elle-même dans son auto-fondation, dans son auto-institution ?
Nous ne pouvons affirmer un quelconque respect de la non-phénoménologie envers elle-même mais elle paraît posséder quoi qu'il en soit un respect de ses propres fondements, qu'il s'agisse de l'Un ou du Réel. La non-phénoménologie semble être fidèle à ce respect, nous l'avons vu dans l'approche de la notion de clandestin, en pensant le clandestin-en Un, c'est-à-dire à partir de lui et non une pensée du clandestin. Une pensée sans suffisance, ni prétention montrant autrement dit que nous sommes tous le clandestin d'un autre.
Réponses (1)
Anne-Françoise Schmid 26/12/2008 à 14:49
Cher Xavier,
il nous faut encore tes abstracts, français et anglais (une dizaine de lignes chacun) et des mots-clés,
amicalement,
Anne-Françoise