Les clandestins du « Mille-Plateaux » - Forum ONPhI

Les clandestins du « Mille-Plateaux »

17/12/2008 à 15:54
Par: Sylvain Letoffe
Résumé

Ce texte est une philo-fiction autrement dit une tentative pour travailler avec la philosophie en vue de lever sa suffisance. Il prend notamment pour matériau la schizo-analyse qui est une philosophie qui promeut la clandestinité comme style de vie. Le clandestin est encore philosophiquement pensé comme un habitant du monde. Le clandestin est encore un personnage conceptuel qui fonctionne avec d'autres entités, d'autres personnages. Il fait monde. On tente d'élaborer une pensée qui ne fasse pas monde, qui ne fasse pas du clandestin une pièce d'un appareil ou d'un système, une pensée qui fasse un usage clandestin de cette politique-monde, un usage qui n'obéit précisément pas à la suffisance de la philosophie.


This text is a philo-fiction ; that is to say a bid aiming at removing the self-importance of philosophy.
It particularly relies on schizo-analysis , which is a philosophy promoting secret nature as a lifestyle.
Clandestine people are still philosophically fancied as inhabitants of the world. Clandestine people are conceptual beings who operate with other entities, other characters. They make a network with the world.
We are trying to work out one thinking which does not insert them into a network, which does not turn out clandestine people as parts of a an apparatus or system, a thinking which clandestinely uses this world policy, which does not necessarily obey to the self-importance of philosophy.

mots-clé : schizo-analyse, politique-monde, unilation, illusion transcendantale

Les clandestins du « Mille-Plateaux »

par Sylvain Letoffe

La clandestinité est un thème de la politique-Monde. La politique-Monde est la pensée politique qui traite de l'homme comme d'un animal ayant rapport au Monde, plus particulièrement à la cité ou à la ville, voire pour la micro-politique à un territoire. Il n'est pas nécessaire de référer l'homme au Monde comme le fait ou le pense la politique-Monde, donc il n'est pas nécessaire de référer non plus le clandestin au Monde ou à la cité, la ville ou le territoire. Le dire signifie que nous pouvons ainsi expliquer la politique philosophique, et montrer en quoi elle constitue une hallucination transcendantale.

L'hallucination transcendantale porte sur la pensée. Plus précisément, elle consiste d'une confusion ou d'une amphibologie de la cause de la pensée et de la pensée elle-même. La politique Monde mélange nécessairement les deux sans savoir qu'elle le fait, et elle voue une foi à ce mélange. Le clandestin fait nécessairement l'objet d'une confusion, son identité est confondue nécessairement avec la pensée de son identité. Tentons d'expliquer cela.

***

Le clandestin-Monde, le personnage conceptuel de la politique-Monde, nommé par elle clandestin, est nécessairement un étant de la cité dont le mode d'être consiste à se dissimuler.

Mais s'il peut se dissimuler, son identité peut faire l'objet d'une sorte de révélation, ou d'une manifestation. Dans le même temps, cette identité de celui qui n'en a pas, est d'emblée niée dans la mesure où elle peut faire l'objet d'une révélation. C'est que le clandestin de la politique-Monde est toujours susceptible d'être connu voire reconnu comme tel, comme quelqu'un qui dissimule son identité dans la mesure où la faire savoir reviendrait à le ramener d'où il vient. Le clandestin vient de quelque part, il vient d'ailleurs, et là où présentement il est, en tant que clandestin, il n'a pas à y rester. Son avenir est tracé, et comme disent les politiques médiatiques, il est quelqu'un voué à la régularisation. Il est quelqu'un dans le Monde qui est venu d'ailleurs pour toutes sortes de motifs ou raisons. Son territoire, bien souvent a fait l'objet d'une dévastation, ce qui l'a poussé à venir là où il a pensé pouvoir vivre mieux. Qu'une certaine politique s'ingénie à nier cette situation n'est pas étonnant, dans la mesure où comme tout personnage conceptuel, il fera pièce dans certains appareils philosophiques avec autre chose, notamment dans le cas qui nous intéresse avec le politocard. Le politocard fait pièce avec le clandestin dans la mesure où celui-là a pour fonction de lui taper dessus, fût-ce symboliquement, pour ne pas taper sur autre chose. Le clandestin, dans ce cas, fait l'objet d'une incrimination, il est quelqu'un qui dérange, mais ceux qu'il dérange ne veulent rien savoir de la dévastation de son territoire. Nous sommes encore dans la politique-Monde, nous raisonnons encore dans son orbe, sans pour autant vouer une foi à cette manière de penser. Nous ne nous contenterons pas de cette façon de penser qui pense pouvoir expliquer qu'il est suffisant d'expliquer les causes de la venue dans la cité du clandestin, que par là, nous pourrons nous garantir des offenses dont il fait l'objet. Quoi qu'il en soit, ce clandestin venu pour cause de dévastation de son territoire, est voué à être quelqu'un qui souffre, dans la mesure où reconduit ou non dans les frontières qui devraient être les siennes, il sera toujours celui dont la politique-Monde voudra mettre un terme au statut qu'elle lui accole.

La micro-politique qui est encore une politique-Monde réserve un autre sort au clandestin, puisque cette fois-ci, c'est à l'autochtone de le devenir. La micro-politique traite du mode d'être de l'étant dans la cité qui a pour fonction d'investir un territoire. La macro-politique qui lui est corrélative se charge de l'être de la cité, de la vie de la ville, non de la vie dans la ville. Devenir clandestin nous amène à devoir penser que nous devons nous engager dans un processus, et c'est un processus de libération dans la mesure où nous nous libérons des attaches qui nous contraignent à vivre la vie de tout le Monde, à vivre nécessairement la vie d'un autochtone, qui peut être considéré comme celle de l'absence d'expériences, une sorte de non-vie, une manière de ne point vivre du tout. Il s'agit de fuir les coordonnées qu'on nous a assigné, de déserter cette identité factice qu'on nous a attribuée et le mode d'être qui lui est corrélatif. Il y a encore une violence dans la mesure où la fuite envisagée consiste d'une synthèse, et aucune synthèse n'est sans douleur. Une synthèse est un processus nécessairement douloureux et certains politiciens oublient trop souvent de le préciser, eux qui ne font que désirer la synthèse, sans la vivre.

Le problème du mic-mac de l'articulation micro/macro, micropolitique et macropolitique, vu par la politique Monde, sera toujours nécessairement un problème de synthèse. La vie de la ville qu'il faut faire vivre est un sujet de préoccupation, mais il faut y vivre dans cette ville aussi. Les deux s'opposent mais peuvent se réunir. Le clandestin-Monde vit dans la ville. Le clandestin de la micro-politique est devenu clandestin d'avoir su vivre ou être autrement que ne l'avaient programmé tous les conditionnements sociaux, sexistes, psychologiques, anthropologiques. Mais il demeure un être conditionné par, et en tant que telle, son identité ne sera jamais que la résultante de ces conditionnements. Il est un être qui dépend de quelque chose d'autre, d'une machine désirante ou d'un agencement avec lequel il se connecte pour prélever un flux et le couper. Il reste, finalement, quelque chose de connu. La politique-Monde fait violence au clandestin dans la mesure où elle niera toujours sa clandestinité.

Pour couper court à l'hallucination, nous devons peut-être poser le thème d'une cité transcendantale à laquelle chaque sujet se rapporte universellement et nécessairement, sans exception. Mais comment l'avons-nous posée cette cité transcendantale ? Avons-nous opéré la philosophique auto-position de l'Homme et de la cité ? Certes non, nous parlons déjà de sujets. Mais ce n'est pas suffisant. La politique-Monde positionne le clandestin dans la cité par rapport à quelque chose qui lui est autre, mais elle ne le fait que dans la mesure où l'opérateur de cette position se sera à son tour positionné. Elle peut dire : moi, je ne suis pas un clandestin et il y en a d'autres qui le sont ou moi je suis devenu un clandestin et il vous faut aussi le devenir, et je n'achèverai jamais ma clandestination. La cité transcendantale par contre, n'est ni topique, ni topologique et les sujets n'ont pas à se positionner par rapport à elle, que ce soit pour ou contre. Tel est le sens d'une non-politique qui commande plutôt une unilation. Elle n'est pas une anti-politique ou une politique au sens classique puisque celle-ci ne font que commander des actes de positions voire de prise de parti, i.e. pour ou contre le clandestin, voire ni pour ni contre. La cité transcendantale ainsi n'est pas une cité transcendante. Elle est la politique-Monde à l'égard de laquelle nous ne nous conduisons plus comme des philosophes, c'est-à-dire comme des étants dans la cité mus par l'amour de sagesse qui disent qu'ils ne savent qu'une chose, qu'ils ne savent rien en même temps qu'ils disent qu'ils se savent mus par l'amour de sagesse, ce qui est déjà beaucoup trop savoir. Dans cette posture philosophique, nous trouvons nécessairement l'hallucination dans la mesure où est confondue la cause de la pensée et la pensée elle-même.

Celui qui se comporte à l'égard de la cité transcendantale, en tant que philosophe se comportera en pensant être mu par le désir de sagesse, ce qui l'excepte des autres sujets qui eux seraient mus par d'autres désirs moins louables. Il désirera accomplir dans la topologie d'un Monde une certaine prouesse qui consistera à faire advenir sagesse. Il désirera réaliser son désir ou achever son projet. Son projet est nécessairement synthétique ce qui ne va pas sans catastrophes. Mais lui, paraît-il avait un désir plus louable que d'autres, ce qui est une manière de s'excuser. Il peut prendre soi pour un clandestin ou prendre les autres pour de tels étants. Mais il y a déjà un partage entre ceux qui le sont et ne le sont pas.

Il hallucine dans la mesure où il cherche à révéler l'être du clandestin, lui qui peut-être n'a pas à se révéler puisque clandestin. Le penseur philosophe a à expliquer sa propre opération de philosophie, de pensée philosophique. Mais il confondra bientôt la description de son opération de pensée avec une description de soi, description qu'il se gardera tout de même de fournir de manière empirique. L'homme est pensé comme opérateur de la pensée, il est confondu avec la pensée, lui qui pense, et nous en sommes à l'être pensant, à une figure anthropologique sensée être la figure adéquate de l'Homme.

Il pose la question : que fais-je ici ? S'il est schizo-analyste il pourra dire qu'il tente d'habiter de manière clandestine le Monde, qu'il essaie d'y exister de manière non-familière ou familialiste. Il se pense clandestin tout en fournissant ne serait-ce qu'une caractéristique à ce clandestin qui est un habitant du monde dont le mode d'être est de différer de soi. Il fuit une identité transcendante et ne veux en aucun cas demeurer l'esclave d'agencements capitalistes, dans sa fuite il fait fuir aussi le capitalisme-Monde. Il ne veut pas poser les pierres des pyramides des pharaons post-modernes. Et il leur annonce ce qu'il en coûte de poursuivre le peuple qui fuit. La débauche des moyens de contrôle est le prix à payer pour obtenir des ouvriers au garde-àvous. Mais cela n'empêchera pas, le contrôle aussi accru soit-il, l'opération de fuite. Bien entendu, le pire ennemi de celui qui fuit reste son auto-contrôle. Il ne cesse de se retourner pour voir où en sont ses poursuivants. Il y a une angoisse constitutive du fuyard et du clandestin en schizo-analyste. Le clandestin-Monde de la schizo-analyse devra veiller à ne point manifester son état, et doit sans cesse gommer les traits qui pourraient trahir la fuite qu'il vient d'opérer. Mais il doit aussi effacer les traces du gommage.

La micro-politique schizo-analytique tente de fonder l'ethos révolutionnaire des individus-Monde. Là où je suis, il faut être de telle sorte que je puisse être un analyseur du champ social. Il faut que je parvienne à décrire avec autant de précision qu'un arpenteur les machines sociales qui composent mon territoire existentiel. Il faut que je puisse énoncer ce que je vois, ce que je vis, ce que je veux dire, ce que je désire et pourquoi mon désir est salopé ainsi que ce qui me salope. En même temps qu'il est un analyseur il est un synthétiseur. Il analyse et synthétise pour enclencher le processus de révolution. Est révolu le temps de la machine paranoïaque Lion... mais elle peut revenir... elle peut laisser place au chameau miraculant mais mieux vaut opter pour l'enfance et la machine célibataire. Le clandestin de la schizoanalyse peut avoir au moins les traits de ces trois personnages conceptuels. Sa clandestinité est une schizo-phrénie dans la mesure où elle est une activité de coupure, on coupe pour révolure ce qui doit l'être, ce qu'on ne peut plus répéter. Lui ne triche pas, contrairement au politocard qui ne cesse de clamer qu'il coupe sans le faire. Il ne faut pas confondre la rengaine et la ritournelle/ retournelle. Et petit à petit, notre clandestin se voit affublé d'un certain nombre de traits distinctifs par quoi il peut se reconnaître. Ce n'est pas un portrait robot destiné à repérer les christs. Les portraits robots ont deux destination poursuivre et accroître la peur. Je me sais crucifié mais ma crucifixion ne m'empêchera pas de vivre. Et puis c'est une autre affaire...

Pastiche schizo-analytique : « Ce jour-Là Jésus sortit du tombeau particulièrement fatigué. Il savait que xyz avaient un génie, de frôler la vérité et de passer à côté. (...) Jésus-Christ savait que ses disciples le déclareraient bientôt ressuscité, mais il n'en était rien, et qu'il continuerait à être traité pour l'éternité par Augustin, par Thomas d'Aquin, par Benoît XVI. Il savait enfin qu'il était en train d'acquérir un véritable nom propre, Jésus de Nazareth le Christ, bien plus propre que le sien, puisqu'il accédait à la plus haute singularité dans l'appréhension instantanée d'une multiplicité générique : Dieu ? mais que ce nouveau, ce vrai nom propre allait être défiguré, mal orthographié retranscrit en patronyme. » « Il savait que les xyz ne connaissaient rien à Dieu, au diable non plus. xyz comprenaient seulement ce que c'était un Dieu, et la colère de Dieu. Ça ne suffisait pas, ça ne suffirait pas. » D'après Deleuze ? Guattari ; Mille Plateaux. P38

Quelle est l'identité de xyz ? En disant leur nom propre pouvons-nous éviter de prétendre les connaître. Et celui dont le nom propre est Homme, pouvons-nous éviter d'avoir affaire à lui comme si nous avions à délivrer son essence une fois pour toutes ? Pouvons-nous cesser un temps de penser que pensant nous avons affaire à lui, de le faire ainsi, de pouvoir l'identifier comme s'il avait besoin d'être identifié ? Qui dit « j'ai identifié ce qu'est un

homme », lui dont l'essence se dérobait à ses propres yeux, quitte à ôter les poutres qui s'y dissimulaient ? Nous voyons beaucoup de stigmates chez nos prochains mais pouvons-nous cesser un temps de ne voir qu'un stigmate en notre prochain, ne serait-ce qu'un morceau de paille ? Qui est celui qui dit cela ?

Poserons-nous encore longtemps des questions du genre ? Interrogerons-nous toujours le genre humains ? Et si poser et répondre à une question ne revenait qu'à penser dans l'élément d'une croyance tenace ? Qui es-tu, toi, la femme ? Quelle sont bien tes droits que nous les hommes devrions prendre en compte et célébrer ? Comme disait Nietzsche il est grand temps mais nous ne savons plus de quoi il est grand temps ni pourquoi il y a prééminence de ce temps-ci sur un autre.

Quelle est l'identité de xyz ? Se pourrait-il que ce soit Dieu que nous pourrions par la même occasion appeler abc ? Et se pourrait-il que ce soit Dieu qui ait un génie pour frôler la vérité ? Toujours est-il que c'est quelqu'un à qui nous pouvons nous confier ? Qui est ce xyz qui s'est introduit dans un énoncé de la philosophie qui traitait de Freud, un autre grand confesseur? Sont-ce quelques lettres clandestines se promenant dans les cales du bateau « le mille-Plateaux » ?

***

Le problème se pose d'un usage de la philosophie, y compris de celle qui se donne pour objet le clandestin dans le Monde. Pour cela nous devons nous rapporter à philosophie autrement que comme si nous étions des amants de sagesse, autrement que comme si nous étions aussi des daseins, autrement que comme si nous étions des machines désirantes affectées/affectantes, autrement que comme si nous étions des animaux politiques, autrement que comme si nous étions la somme où la synthèse de tout cela à la fois. Il y a tant de personnages conceptuels, il y a tant de figures anthropologiques que toujours philosophiquement nous cherchons à identifier. Homme n'est peut-être pas un personnage conceptuel, Homme n'est peut-être pas non-plus une figure anthropologique, et le nommer Clandestin n'est pas une manière d'en faire une figure ou un personnage. Nous ne l'avons pas figuré ni personnifié, nous ne le pouvons. Le Monde dans quoi il fait connaître ses effets est la pensée-Monde et il ne sert à rien de fouiller de fonds en combles la polis-monde pour le retrouver. Il n'y a pas à passer au crible cette Cité transcendantale, à prétendre la connaître comme si nous l'habitions, comme si nous étions dedans, et comme si y étant, nous ne pouvions en sortir, comme si à jamais il nous serait impossible d'en sortir.

À penser que nous sommes des êtres de la ville nous finissons par croire que nous le sommes. Le problème du micmac est le problème-Monde de l'articulation des contraires, micro / macro qui est tout aussi bien de savoir si l'Homme est un être crucifié ou clivé : le problème des parties et du tout ( charcuterie transcendantale* ). À quoi appartenons-nous ? Quel est notre domaine d'appartenance ? Quel est notre ensemble commun ? sont des questions posées par la pensée-Monde qui réfère l'homme au Monde, qui auto-réfère les sujets dans un Monde sans avoir interrogé ce mécanisme d'auto-position, puis qu'il s'agit pour elle d'un allant de soi. Il va de soi que les humains vivent dans des villes, ou à la campagne, il va de soi qu'il y a des frontières entre les zones du Monde de leur eucoumène. Il va de soi qu'il y a des humains qui ne pensent pas les mêmes avis sur les mêmes sujets, il va de soi que...

Nous formulons le projet d'aller à ces questions. Cela se ferait-il dans l'idée d'aborder le navire-philosophie pour libérer les clandestins de celui-ci ? Peut-être pas exactement. Le navire et ses clandestins est une représentation très répandue où ces derniers sont voués à se cacher dans les soutes, pour un voyage dont ils ne savent pas l'issue. Ils sont destinés à se cacher dans ce navire et le moindre signe de présence peut les trahir. L'Un n'a pas à se cacher, il est pourtant clandestin. Nous pouvons user de la philosophie et de ses concepts de manière clandestine sans pour autant envisager cette opération comme une opération par laquelle nous acquérions un statut nouveau, impliquant une déterritorialisation et une modification de notre mode d'être dans la cité. La clandestinité est une modification de notre mode d'être à l'égard de la philosophie et de ses concepts pour que l'Un y sous-vienne. Dans cette pratique, l'un n'est pourtant pas affecté par cette opération, il restera toujours clandestin. Il n'y aura pas possibilité pour nous d'accéder à son identité parce que l'identité de clandestin du clandestin nous est déjà donnée. Il n'y a plus cet objectif philosophique de donner une seconde fois l'identité du clandestin. Il n'y a plus à livrer l'identité du clandestin. Plutôt, clandestinement, l'Un agit la philosophie sans se mêler à elle. Clandestins, il n'y a pas à le devenir, ou s'il y a à le devenir c'est dans le Monde. C'est plutôt d'une pensée selon le clandestin dont nous avons besoin. L'identité (du) clandestin ne transparaît pas à nous ni aux autres. Si notre identité transparaissait par trop, il faudrait veiller peut-être à ce qu'elle ne transparaisse plus, chercher à ne plus être perçu : être sans en avoir l'air. Avoir l'air d'être était une faiblesse pour le schizo-analyste. La pire faiblesse consistait à avoir l'air de devenir. Ne pas avoir l'air de devenir mais devenir. Devenir sans en avoir l'air. Telle est la philosophie de la proie qu'est la schizo-analyse : Deleuze n'aime ni les chiens, ni les chasseurs. La micropolitique est la politique de la proie, le Monde loin d'être civilisé ou politisé est une jungle ou une nature avec ses prédateurs. Le prédateur a besoin d'identifier ses victimes, la proie n'a qu'à fuir et ne doit pas se faire attraper. La proie doit identifier les pièges de la polis. Un nazi est quelqu'un qui se fait prédateur. Selon la schizo-analyse, il faut lutter contre la bêtise, bêtise qui consiste à faire le prédateur. La bêtise organise des chasses à l'homme. Comment le désir devient-il désir de prédation ? Cela fait encore beaucoup de questions, mais ce sont des questions qui concernent la politique-Monde.

Le clandestin doit faire effet dans la politique-Monde. Nous sommes des sujets qui peuvent penser selon le clandestin, et nous commencerons à le faire à partir du moment où nous lèverons la croyance suivant laquelle il serait possible d'en dévoiler l'identité. Et on le fait lorsqu'on a dit que l'identité de clandestin du clandestin est à jamais forclose à la pensée. Pensant, nous ne pouvons faire retour sur la cause de la pensée, telle est l'identité de dernière instance. Les clandestins, nous le sommes tous nécessairement, et dans la pensée, nous devons déjà lever ce geste qui consiste à vouloir traquer, ne serait-ce que traquer l'identité. C'est déjà un geste, une violence supplémentaire. Le réel est clandestin, et il n'est pas, il est donc le Sans-rapport. Dès que la philosophie annonce qu'il y a un rapport au réel, c'est le début de la traque. Il va bien falloir énoncer qui a rapport au réel, et comment penser ce rapport. Il va falloir commencer à énoncer l'identité du rapport au réel. Voilà pourquoi la micro-politique désire la clandestinité. Pour elle, cette clandestinité est à produire. Or on pourrait la penser comme ce déjà produit qui n'a jamais eu besoin d'aucune opération supplémentaire de production. Le produit qui n'est pas produit, le clandestin, peut cloner le Monde. Il peut y avoir un reflet non-spéculaire du clandestin lorsque la pensée est exercée en dernière instance sur un matériau du Monde. Cette pensée existe étrangère au Monde et comme telle, elle est clandestine. Elle existe étrangère à toutes les raisons suffisantes, à toutes les philosophies suffisantes du Monde, et aucune de ces philosophies suffisantes ne peut la comprendre, elles qui raisonnent suivant le Monde et qui pensent pouvoir acquérir ainsi une connaissance adéquate du réel. Nous le sommes tous, des clandestins, et l'illusion consiste à se prendre pour autre chose, à penser qu'il faille encore le devenir, ou à penser qu'il faille traquer ceux qui sont soupçonnés de clandestinité. Nous existons étrangers à toutes les philosophies suffisantes du Monde, nous n'avons pas à nous identifier à elles, mais à les cloner. Cette dernière phrase implique peut-être ainsi la programmation d'une nouvelle manière de se rapporter à la philosophie-monde.

* Medhi Belhaj Kacem et la préface d'Alain Badiou à Evénement et Répétition.
Réponses (1)
Anne-Françoise Schmid 26/12/2008 à 14:48
Cher Sylvain,
il nous faut encore tes abstracts, français et anglais (une dizaine de lignes chacun) et des mots-clés,
amicalement,
Anne-Françoise