Le désert et le maquis. D’un état clandestin
17/12/2008 à 16:01
Par: Jean-Baptiste Dussert
Le désert et le maquis D’un état clandestin par Jean-Baptiste Dussert
La clandestinité est un état que nous allons chercher à définir. Le motif de cette interrogation est, pour nous, qu’il sert d’argument à ceux qui s’y trouvent pour dénoncer sa cause, cause que l’on peut nommer provisoirement l’État. Cette réflexion aura donc pour finalité, en termes plus précis, la réfutation ou l’approbation d’un certain anarchisme, l’opposition de deux « états ». Mais, il nous serait impossible d’aboutir à une conclusion en décrivant les diverses situations des clandestins, donc en recourant à une approche ontique, car la clandestinité est aussi une essence, c’est-à-dire le caractère d’être-clandestin. Nous devons donc nous poser deux questions : qu’est-ce que la clandestinité ? et : comment est-elle causée ou motivée ? Sans disperser nos forces dans l’énumération d’exemples historiques ou actuels — celle-ci viendra en temps nécessaire —, il nous faut cependant, en premier lieu, nous demander quels étants sont susceptibles d’être-tels. Ce sont aussi bien les personnes, physiques ou morales, que les choses, donc tous les objets réels ; toutefois, ils n’accèdent pas à cet être-là de la même façon, car il y a une priorité des sujets sans lesquels rien d’inerte ne les accompagnerait dans cet état. La clandestinité résulte ainsi d’une volition, ce qui ne signifie pas nécessairement que cette dernière est in-dépendante, car il se pourrait que le choix d’y entrer ne soit que d’apparence, la vie ou l’existence de la personne étant radicalement compromise si elle n’adoptait pas cette solution. Si l’on ne devient donc pas clandestin sans raison, il demeure possible de ne pas opter pour cet état, ce qui signifie que la conjoncture tendant à provoquer ce passage ne serait pas strictement causale. Avant d’examiner le motif de l’entrée dans la clandestinité, nous devons donc nous intéresser à la manière dont on devient clandestin, qui n’est pas à confondre avec un devenir-clandestin. En effet, il semble non seulement que nul n’est prédestiné à cet état, mais encore qu’il ne s’acquiert pas progressivement, mais par une décision brusque. Ainsi l’individu, à un certain moment, se pose-t-il comme clandestin, entraînant dans celle-ci toutes les choses, voire les personnes qui composent son entourage.
Débutons par la question des origines, encore qu’elle ait un rien de factice : la clandestinité ek-sistait-elle à l’état de nature ? Il ne faut pas seulement l’entendre comme : préexistait-elle à l’État ?, mais : se tenait-elle au-devant de l’homme ? La philosophie a ceci de commun avec la nature qu’elle est auto-englobante, c’est-à-dire que son centre d’orientation, selon les multiples subjectivités des métaphysiciens possibles, s’inclut dans son champ, et qu’elle gagne sans cesse du terrain théorique, qu’elle s’assimile spontanément toute nouveauté. Pourtant, cela ne signifie pas qu’il est impossible de lui « échapper », de penser autrement ; soit par l’adoption d’une science alternative, qui reste pourtant toujours menacée par son assujettissement, soit par la pratique de la non-philosophie, qui est une tentative de ne pas reproduire ses schèmes. La clandestinité aurait donc été, si l’on nous pardonne ce jeu de mots, un « état-dans-l’état ». — Cette formulation est-elle tout à fait juste, ce qu’elle décrit est-il possible ? On ne peut semble-t-il concevoir la clandestinité que dans l’espace, car l’étant-humain se définit d’abord par sa situation. Dira-t-on toutefois que celui qui entre en clandestinité, donc se transpose selon le vecteur de l’en-dedans, s’ex-trait en même temps, donc passe au-dehors de la nature, de l’État ou de la philosophie ? À ne considérer que ces deux derniers thèmes, on pourrait répondre par l’affirmative. Il semble en effet impossible de sortir de la nature, pas seulement au sens où la biosphère est nécessaire à notre subsistance, mais où l’au-delà du cosmos paraît le néant. On dirait alors que la clandestinité est strictement un rapport à l’espace possible pour l’homme et jalonné par lui. Mais, on peut aussi estimer que notre propre est de nous être détachés du règne animal, et en ce sens nous avons dès l’origine fait sécession de la nature. En effet, la clandestinité première semble avoir été pour l’homme des cavernes de se dissimuler pour se protéger des animaux et des intempéries, et c’est l’industrie développée pour contrer ses prédateurs et l’adversité qui l’ont mené vers un mode de vie artificiel ; donc, la clandestinité était l’acte fondateur d’une auto-nomie. Mais, comme nous le rappelle l’écologie, la singularité de l’animal rationale ne permet pas, même à présent qu’il domine pleinement la Terre, est capable de la détruire entièrement, qu’il s’en soit émancipé totalement. Or, il semble qu’il en soit de même pour la politique et la philosophie. Sortir d’un État, c’est se soumettre à une nouvelle, à une autre autorité, car il est impossible de trouver une lacune dans le maillage des pouvoirs mondiaux (si l’on néglige le sens de « désordre », l’anarchie n’est qu’une opinion, qu’un subjectivisme irréalisé dans l’existence, qu’un non-lieu, qu’une u-topie) ; sortir de la métaphysique, c’est admettre la domination d’un nouveau dogme (par exemple, l’Économie du marxisme ou l’Inconscient du freudisme ; nous ne nous prononçons pas encore sur la faculté inouïe, qu’aurait la non-philosophie, de suspendre toute instance). La clandestinité ne semble donc pas une évasion, une sortie-de, car à chaque fois le Dasein est au-monde, et non dans-le-monde ; cela l’empêche d’établir à son objet, qu’il s’agisse de la nature, de l’État ou de la philosophie, une transcendance du-dehors, d’où il ne partagerait plus son immanence ; la possibilité de s’affranchir en est réduite d’autant. Si la clandestinité est encore un déplacement, affectant une ou plusieurs portions des espaces visés, elle subsiste donc sous ces autorités, ne pouvant se maintenir ailleurs que dans leurs territoires. Elle est donc davantage une modification de la subjectivité, possibilité dont nous devons examiner le pourquoi et le comment.
S’il est parlant, car il figure un changement dans l’occupation de l’espace, l’exemple — en rien allégorique — de la caverne pourrait toutefois nous égarer, par cela même qu’on ne saurait dire que les premiers hommes, pour se protéger d’une faune, d’une flore, d’un climat, et plus généralement d’un environnement hostiles, sont entrés en « clandestinité ». Dans ce contexte, l’expression est inappropriée, parce que nous savons intuitivement que la clandestinité est l’état unilatéral d’une relation INTERSUBJECTIVE ; autrement dit, elle est une réponse ou une réaction à autrui, à une altérité nécessairement humaine. Ce phénomène ne pouvait donc apparaître avant que nos aïeux soient sortis de l’état de nature, non pas au sens où il fallait attendre qu’une communauté se soit formée à partir de la reconnaissance de l’alter ego, car alors il aurait presque été originel, mais en cela qu’une autorité politique et une société étrangère devaient s’être manifestées. La clandestinité requiert ainsi que la phylogenèse ait atteint un stade avancé, c’est-à-dire qu’en plus d’une tribu formée, celle-ci se soit confiée à un gouvernement et se doit distinguée des communautés et pouvoirs allogènes. Il fallait donc et qu’un individu ou un groupe puisse dialectiquement s’opposer à un autre groupe, ou à un autre individu investi de l’autorité pour le groupe (il n’était pas nécessaire que ce soit « par » le groupe), et qu’il ait eu le possibilité non réalisée de changer de groupe, donc de migrer vers un autre groupe et de s’y soumettre. — Mais, pourquoi ce second critère s’impose-t-il ? Ne pourrait-on concevoir une opposition avec l’autorité de son propre groupe ? — Bien sûr, l’individu ou le groupe entrant en clandestinité, et le sujet politique par rapport auquel il s’est défini, peuvent être « homochtones », mais il faut que l’étrangèreté fut préalablement définie comme une échappatoire alternative. Le clandestin est en effet dans la situation de tout à la fois s’opposer à une autorité et de se maintenir dans la société ou sur le territoire qu’elle gouverne. — Mais, comment cet entre-deux est-il concevable : se maintenir dans un espace social et politique, tout en s’en extrayant, ou tout en se sous-trayant plutôt à son autorité ou à sa législation ? — Le terme usité en grec ancien pour nommer la clandestinité, kruphaîon, nous apporte sur ce fait un éclairage décisif. C’est ce mot qui a donné notre français crypte.
Donc, pour résister au pouvoir autochtone, celui qui devient clandestin est contraint, même symboliquement, de se réfugier dans cette terre propre. Bien sûr, l’hypogée nous rappelle la caverne où les premiers hommes trouvaient refuge de la nature, mais lorsque la socialité se développe et avec elle les conflits, cette fuite souterraine, chthonienne est maintenue. Puisque Saint Matthieu utilise kruphaîon pour dire que l’on commet un acte en secret, que l’on tient un fait secret, que l’on met quelqu’un au secret, l’exemple des premiers chrétiens fuyant dans les catacombes pour accomplir leur rite en secret, est évidemment un archétype notoire de la clandestinité. A fortiori, il nous apprend que l’indétermination spatiale de la clandestinité, que nous nous efforçons de réduire, est la conséquence de son caractère dilemmatique. Saint Paul constitue bien le modèle de l’apostolat universel, en tant qu’il voulait concilier sa citoyenneté romaine, dont il était fier, avec sa foi chrétienne, qui était persécutée par le même pouvoir romain. Ainsi les clandestins sont-ils ceux qui, par intérêt ou attachement à une communauté, ne souhaitent pas la quitter, donc s’en ex-traire, mais doivent se sous-traire aux effets que le pouvoir placé à la tête de cette communauté, tout en n’en étant pas nécessairement solidaire, leur font subir personnellement. À l’origine de ce mouvement, de la prise de cet état, il y a donc toujours une « discrimination », si l’on entend par ce terme le traitement particulier réservé à une catégorie de personnes, subie par elles comme une atteinte, un dommage, de quelque gravité qu’il soit. Mais, avant de juger du caractère systématiquement condamnable ou non de la « discrimination », en fonction de la clandestinité qui en serait le symptôme, il faut se garder d’une méprise quant à l’interprétation du devenir-clandestin. Le mouvement par lequel une autorité discriminatoire détache une population du reste de la communauté qu’elle gouverne, est à ne pas confondre avec celui par lequel certains entrent en clandestinité, car le déplacement n’est pas d’une intensité comparable, et toute sous-traction n’est pas l’indice d’une ex-traction à laquelle on aurait échappé ; en d’autres termes, on ne saurait invoquer une persécution réelle, une injustice, à l’origine de toute clandestinité. (Mais, cette évidence n’apparaît peut-être pas clairement dès à présent.) La clandestinité et la « discriminité » (le fait d’être discriminé) sont très ressemblantes, en tant qu’elles sont toutes deux des transcendances dans l’immanence d’une communauté, mais elle diffèrent en tant que, dans le premier cas, la population se met au secret, alors que dans le second cas, elle est stigmatisée publiquement. Dans chacune de ces deux situations, la personne est séparée du reste de la communauté, mais le discriminé a subi un transfert qui l’expose dans la communauté, qui aboutit à une transcendance horizontale n’excédant pas son immanence, alors que le clandestin a agi pour disparaître de la communauté, tout en se maintenant dans son territoire. Comment cela est-il possible ? En n\'appliquant pas le même mouvement qui aboutirait à une ex-traction, mais en accomplissant une transcendance verticale, descendant « sous terre ». Il faut donc se garder de confondre ces mouvements. Toute clandestinité n’est pas précédée d’une discrimination qui la provoque en réaction, ou du moins toute clandestinité n’est pas le symptôme d’une politique condamnable, dans le territoire où elle apparaît.
Pour renoncer à cette systématique bien commode, il faut aussi comprendre que l’ « enfouissement » des clandestins n’est qu’une métaphore. En tout cas, cet acte ne serait pas suffisant pour les mettre au secret, pour les sous-traire à l’autorité qui est censée par essence contrôler le territoire jusque dans ses profondeurs. Il faut que s’y ajoute un procédé pour que la communauté des clandestins puisse acquérir une certaine cohésion et ne pas être percée à jour. C’est l’objet d’une opération dont le nom est issu du même terme kruphaîon : le CRYPTAGE. La clandestinité s’acquiert et se maintient principalement par l’adoption d’un langage codé, alternatif à celui de la communauté originelle et de son autorité. Le saut ontico-ontologique, qui permet de former l’être-clandestin à partir des innombrables situations historiques, donc ontiques, possibles, est ainsi accompli grâce à l’adoption d’un langage indéchiffrable par l’autorité. Seul le cryptage ou le codage permet à une population donnée de se maintenir dans l’état de la clandestinité, position instable et précaire en raison de cet entre-deux que constitue et le maintien dans un territoire, et la résistance à l’autorité qui le gouverne. — Dans la formulation à laquelle nous aboutissons, on reconnaît alors sans peine la terminologie de Gilles Deleuze et de Félix Guattari. Qu’en est-il alors de leur définition de la clandestinité ? Ou, s’ils ne l’abordent guère, comment remployer leurs concepts, leur glossaire, de telle sorte que nous puissions confirmer ou infirmer leur théorie, considérer quelles auraient dû être leurs conclusions sur le phénomène qui nous intéresse ?
Dans l’histoire se sont succédées des machines : primitive, despotique et capitaliste. Le socius établi par chacune d’elles avait pour fonction, écrivent-ils, de coder les flux du désir, de les endiguer, de les retenir ; mais son usage a changé. La société originelle ne développait qu’un codage rudimentaire, ce qui a imposé, dans un second temps, l’excès du despotisme pratiquant une sorte de surcodage ; enfin, de nos jours, le capitalisme, et c’est en cela qu’il est inouï, pratique une double opération. D’abord, la machine capitaliste décode les flux et déterritorialise le socius ; mais ensuite elle restaure avec violence des territorialités factices et symboliques, pour tenter à nouveau de brider les machines désirantes. Donc la société actuelle, suggèrent-ils, est tout autant despotique que la précédente, mais par ce décodage initial, elle donne l’apparence d’une libération, d’un libéralisme, qui voile une répression beaucoup plus insidieuse. — Mais, comment s’opère-telle, et quelle est l’arme de ce contrôle des désirs ? — C’est la psychanalyse qui œdipianise et tente de cette façon, si ce n’est de juguler les désirs, du moins d’en donner une interprétation, d’en fournir une histoire qui convienne à la société, de les replacer dans le socius. N’allons pas plus avant dans l’étude de cette théorie. Personnellement, nous ne donnons guère notre assentiment à la schizo-analyse, particulièrement sa critique du capitalisme, mais nous la traitons elle-même comme une machine. Nous la faisons donc tourner pour recueillir son produit, ce qu’elle apportera à notre question. Pour ce faire, il nous suffit d’étudier plus en détail la façon dont le territoire est aménagé par cette hybridation du freudisme et du capitalisme. Deleuze et son acolyte distinguent le névrosé qui accepte l’analyse, qui reçoit Œdipe, qui s’installe dans les territorialités factices inventées pour lui ; du pervers qui se soumet mal au dogme du freudisme, se crée d’autres territorialités, plus artificielles encore ; et du schizo qui lui refuse catégoriquement l’œdipianisation et s’installe hors territorialité, pour ainsi dire prend le désert. Qui est alors le clandestin ? Est-ce l’un de ces cas ?
Il ne saurait s’agir du névrosé, le spécimen le plus répandu, puisque lui au contraire s’établit volontiers dans les territorialités, les mythes-de-soi, que l’on a aménagés pour lui. Ce ne peut être lui, le clandestin, car, d’une part, il demeure dans le territoire, accepte le recodage de l’autorité, qu’il s’agisse de l’Inconscient ou du Capital, donc n’invente pas un code personnel, et, d’autre part, ne résiste pas. Or, il n’y a pas de clandestinité sans résistance, ce qui ne signifie pas que tout clandestin est justifié dans son combat, que cet état répond nécessairement à une agression, une hostilité, que le bien est toujours de son côté, mais que, de son point de vue, ce n’est que pour résister qu’il est entré en clandestinité, qu’il avait une raison suffisante de résister. Du point de vue du freudisme, le clandestin ne peut donc être qu’une personne dont l’analyste symptomatise la résistance : cet analysant qui rejette l’interprétation que l’on donne de son discours dans la cure, qui contourne l’Œdipe, qui refoule encore, bien que son Inconscient s’épanche déjà sur le divan. Mais, le pervers ne semble pas plus apte à tenir ce rôle. Ses nouvelles territorialités sont factices. Il est insincère, ne croit pas ce qu’il dit, simule la perversion pour se réfugier dans son imaginaire. La nuance est difficile à se représenter, mais elle mérite d’être précisée. De fait, le clandestin occupe deux territorialités incluses l’une dans l’autre, car il demeure dans la territorialité à l’autorité de laquelle il résiste, tout en créant une nouvelle territorialité qu’il gouverne de manière auto-nome, et dont l’in-dépendance lui permet de résister ; donc, entre ces deux territorialités, une transcendance est maintenue, d’autant plus forte qu’elles se situent dans le même plan d’immanence. A contrario, le pervers invente une nouvelle territorialité qui a tranché toute transcendance, qui est devenue aut-arcique. De sa part, il y a la volonté de se placer sur un autre plan, de ne pas répondre à l’analyste en usant de son langage, le jargon freudien, ce qui l’entraînerait irrésistiblement vers l’œdipianisation, mais de se donner ses propres référents. Donc, le pervers ressemble au clandestin, mais, tout en se maintenant dans l’espace de la territorialité, il a rompu tout contact avec elle, comme s’il était en « survol ». Quant au schizo, sa situation est encore plus simple à comparer avec celle du clandestin, car il est passé hors territorialité, donc s’est ex-trait selon notre terminologie ; il a porté ses flux jusque dans le désert, disent-ils. Usant de cette métaphore, on regrette que Deleuze et Guattari ne l’aient pas filée davantage. Un exemple parfait de schizo nous semble, si l’on nous pardonne cette impiété, le destin de Saint Antoine. Fuyant dans le désert aux confins d’Alexandrie, n’est-il pas celui que ses flux du désir ont porté en dehors du territoire de la cité, passions qui viennent encore le tourmenter jusque sur son tertre solitaire ? Mais, pour lui, la confusion n’est pas de mise, car il a véritablement établi une transcendance extérieure à son territoire originel.
Mais le désert fait penser à d’autres choses : à l’errance du peuple hébreu, mais celle-ci n’évoque rien dans le cas présent ; au Christ harcelé par le Malin, mais il s’exila volontairement ; aux Réformés plutôt, lorsqu’ils prirent le désert pour fuir les dragonnades. Or, ce dernier exemple nous permet de préciser un point. La résistance qu’oppose nécessairement le clandestin, n’est pas seulement destinée à préserver son état de l’autorité originelle, mais est la sous-territorialité, l’espace d’où une offensive contre celle-ci est lancée. Si l’on préfère, la clandestinité n’est jamais l’état propice à une résistance pacifique, car, même s’il n’est pas fait usage de violence, sa finalité demeure toujours de modifier, de renverser l’autorité à laquelle les clandestins se sont soustraits, pour pouvoir réintégrer la surface, la territorialité qu’ils ont abandonnée. Or, les protestants, pour revenir à l’exemple des guerres de religion et du XVIIe siècle, n’ont cherché, après avoir tenté de convertir le pays entier, qu’à pouvoir se réserver des portions de territorialités où ils puissent pratiquer leur culte, puis ont émigré pour certains quand cette liberté ne leur fut plus reconnue. Après l’Édit de Nantes, on peut donc considérer que leur résistance, s’étant sans doute affaiblie, n’a plus été que de défense. On peut même considérer que c’est en abandonnant l’offensive qu’ils ont renoncé à la clandestinité, mais que dès lors ils s’engageaient dans un continuum qui devait les mener vers la résistance pacifique, puis l’exil. De ce point de vue, leur transcendance à l’autorité royale était marquée d’une fatalité qui devait les mener à l’abandon de la territorialité française, à l’exil. Donc l’expression « prendre le désert », qu’on l’applique au schizo ou au réformé — il ne faut voir dans ce parallèle aucune dérision de notre part —, ne saurait être appliqué au clandestin. Le clandestin ne sort pas de la territorialité, car son maintien dans celle-ci est la condition nécessaire pour continuer d’agir, — et c’est une finalité essentielle de cet état, — sur l’autorité à laquelle il s’est soustrait.
Alors, comment nommer métaphoriquement l’entrée en clandestinité ? Il nous semble que devenir clandestin, c’est plutôt « prendre le maquis ». En quoi cela diffère-t-il de « gagner le désert » ? L’anachorète ou le cénobite ont rompu tout lien avec la cité ; ils n’espèrent ni regagner sa territorialité, ni changer son autorité. À l’inverse, le maquisard s’est certes organisé un espace normalement inviolable, le maquis, dans lequel il est pleinement sous-trait à l’autorité opposée, mais celui-ci n’est que le point de départ pour continuer d’agir sous son empire, donc en relation avec les personnes qui ne sont pas devenues clandestines, et pour agir contre l’autorité, pour sa réforme ou son renversement ; et c’est pour cela que le clandestin demeure dans la même territorialité que l’autorité qu’il a fui. Cela signifie que, lorsqu’il n’est pas dans le maquis, qui est évidemment proche du désert hors-territorialité, qui est la limite extrême de l’en-territorialité, il commerce avec le monde que gouverne l’autorité, et parfois avec l’autorité elle-même. Cela signifie, pour reprendre une expression nietzschéenne, que le clandestin se déplace sans cesse dans un « arrière-monde ». Qu’est-ce à dire ? Lorsqu’ils descendent de leur refuge, il faut imaginer les clandestins longeant les façades, cherchant l’ombre, armée des ombres, troupe de passe-muraille, pour reprendre l’expression de Marcel Aymé, qui justement écrivit cette nouvelle en 1943. Cela signifie que, peu importe l’espace, ils évoluent sur ce territoire comme s’ils ne lui appartenaient pas, dans une sorte de dimension parallèle. Certes, ils sont furtifs pour échapper à la police, à l’autorité dont la clandestinité les protège, qui ne saurait tolérer qu’on n’obtempère pas à sa loi. Mais surtout, cet art de passer inaperçu, outre qu’il leur permet de s’émanciper de la façon la plus radicale, est le moyen pour eux, lorsqu’ils souhaitent entrer en lutte contre l’autorité territoriale, de livrer contre elle le plus efficace des combats. Voyez les résistants du Vercors, lorsqu’ils menaient leurs razzias héroïques jusqu’à Lyon, contre l’occupant nazi qui avait asservi notre territoire, lorsqu’ils rompaient la clandestinité pour venir le frapper au cœur. C’est cela, l’authentique clandestinité.
Comment font-ils alors, ces hommes qui trouvent un refuge et la lutte dans le maquis, l’une rendue nécessaire par l’autre, pour continuellement maintenir le secret qui les protège ? Bien sûr, celui-ci est parfois rompu, et lorsqu’ils vont au combat, le visage découvert, ils payent souvent le prix du sang. Mais, cette nature mystérieuse de la clandestinité ne peut se réduire à étudier l’occupation et la fraction d’un espace. Ou plutôt, il s’agit de comprendre qu’avec la clandestinité, nous sommes en présence d’une véritable géo-graphie, non d’une description littéraire ou scientifique, en tout cas écrite, de la Terre, mais d’une territorialité façonnée par le logos. Lorsque Deleuze et Guattari parlent du surcodage despotique, du décodage et du recodage capitalistes, il ne faut pas entendre le code comme un synonyme de ce que nous avons appelé indifféremment le cryptage. La législation est elle-même composée de codes qui régissent différents domaines des relations et infractions humaines. C’est pour cela que l’État despotique, même s’il n’est justement pas de droit, surcode. De la sorte, il étend son contrôle arbitraire sur tous les aspects de l’existence, jusque sur la vie privée, intime. C’est pour cela que la tyrannie, que l’occupation, sont les circonstances où la clandestinité se développe naturellement, car il faut lutter contre cette oppression ; pour cela, qu’elle est apparue très rapidement, juste après que ce soit formée la machine territoriale primitive, car la première autorité ne pouvait être qu’arbitraire, fondée sur la force ; et tous les totalitarismes et les dictatures modernes, même s’ils reposent sur un droit fallacieux, n’appliquent en fait que la volonté du despote, un code sans justice. Or, le cryptage est lui aussi un code, qui ne règle pas tant la vie des clandestins, qu’il leur permet de faire échapper leur territorialité à celle qui les enclôt, tente de l’exclure ou de l’anéantir. La clandestinité est donc la LOGOMACHIE, au sens propre, entre un codage ou un surcodage qui a pour fin de soumettre à une autorité, et une fraction qui lui résiste grâce au cryptage, ce combat formant des territorialités, une transcendance dans l’immanence.
À partir de cette description, comment juger de la clandestinité ? Elle est le signal par lequel une population donnée considère qu’elle ne peut se maintenir sous une autorité territoriale. Est-ce à dire que cette simple sécession, suffit à prouver la réalité d’une oppression ? Les exemples sont divers et contradictoires. Un résistant, un immigré, un terroriste, un trafic de drogue, d’armes, un réseau de prostitution, etc., sont aussi bien clandestins. Cela signifie que la clandestinité n’est pas un concept axiologiquement univoque. Au contraire, ce qui doit permettre d’apprécier si une entrée en clandestinité, si la résistance et le combat qu’elle porte souvent, sont justes, c’est la nature de l’autorité et de la décision dont les clandestins ont fait leur raison suffisante. Il est absurde de considérer tout clandestin comme une victime, de juger la clandestinité comme le symptôme du caractère oppressif de tout pouvoir, comme justifiant systématiquement l’an-archie. On peut, comme nous avons tenté de le montrer dans ce texte, définir l’essence de l’être-clandestin. On ne saurait en tirer une conduite politique claire, répondant à toutes les conjonctures. C’est à une autre réflexion qu’il faut faire appel dans ce cas, au soin de distinguer l’arbitraire de l’État de droit. Seule la résistance légitime justifie la clandestinité. — Subséquemment, que pouvons-nous déduire de cette définition pour le statut de la non-philosophie ? Est-il de sa nature d’être en état de clandestinité ? Non, un maintien relatif dans le champ philosophique, dans la territorialité théorique sur laquelle le dogme métaphysique exerce son autorité, est impossible. Se sous-traire ne peut être dans ce cas que s’ex-traire, c’est-à-dire que la résistance à la philosophie emporte une décision radicale. En d’autres termes, si cette pensée n’est assurément pas artificielle, car elle est basée sur une méthode de la dualyse des plus rigoureuses, il semble qu’elle soit contrainte de s’installer hors la territorialité de la philosophie. La pensée-en-Un de F. Laruelle s’apparente donc à la schizo-analyse de
G. Deleuze ; cette affinité a été confirmée à de nombreuses occasions, notamment par ce dernier ; mais, il ne nous appartient pas de développer ici ces implications. Nous pouvons simplement en retirer l’apport suivant pour la question qui nous préoccupait dans ce texte. — La seule clandestinité qui s’avère dans le champ théorique est celle de la philosophie elle-même, au sens où sa terminologie induit évidemment un effet de codage. Mais, s’il est tout à fait concevable que surcodage, décodage et recodage se produisent dans cette territorialité, ne serait-ce que par la concurrence des écoles, il est exclu qu’une technique de cryptage permette à quelque pensée de ne pas être « comprise » par la philosophie, au double sens d’une appréhension intellectuelle et d’une inclusion catégorielle. L’absence de toute clandestinité dans la philosophie ne nous confirme pas seulement qu’il n’est ni possible ni nécessaire de résister à son axiomatique — ce qui invalide du même coup les formes déviationnistes de la non-philosophie : anti-philosophie, contre-philosophie, sans-philosophie, etc. —, mais aussi que sa nature auto-englobante lui permet sans contrainte de s’assimiler tout pensée nouvelle.
La clandestinité est un état que nous allons chercher à définir. Le motif de cette interrogation est, pour nous, qu’il sert d’argument à ceux qui s’y trouvent pour dénoncer sa cause, cause que l’on peut nommer provisoirement l’État. Cette réflexion aura donc pour finalité, en termes plus précis, la réfutation ou l’approbation d’un certain anarchisme, l’opposition de deux « états ». Mais, il nous serait impossible d’aboutir à une conclusion en décrivant les diverses situations des clandestins, donc en recourant à une approche ontique, car la clandestinité est aussi une essence, c’est-à-dire le caractère d’être-clandestin. Nous devons donc nous poser deux questions : qu’est-ce que la clandestinité ? et : comment est-elle causée ou motivée ? Sans disperser nos forces dans l’énumération d’exemples historiques ou actuels — celle-ci viendra en temps nécessaire —, il nous faut cependant, en premier lieu, nous demander quels étants sont susceptibles d’être-tels. Ce sont aussi bien les personnes, physiques ou morales, que les choses, donc tous les objets réels ; toutefois, ils n’accèdent pas à cet être-là de la même façon, car il y a une priorité des sujets sans lesquels rien d’inerte ne les accompagnerait dans cet état. La clandestinité résulte ainsi d’une volition, ce qui ne signifie pas nécessairement que cette dernière est in-dépendante, car il se pourrait que le choix d’y entrer ne soit que d’apparence, la vie ou l’existence de la personne étant radicalement compromise si elle n’adoptait pas cette solution. Si l’on ne devient donc pas clandestin sans raison, il demeure possible de ne pas opter pour cet état, ce qui signifie que la conjoncture tendant à provoquer ce passage ne serait pas strictement causale. Avant d’examiner le motif de l’entrée dans la clandestinité, nous devons donc nous intéresser à la manière dont on devient clandestin, qui n’est pas à confondre avec un devenir-clandestin. En effet, il semble non seulement que nul n’est prédestiné à cet état, mais encore qu’il ne s’acquiert pas progressivement, mais par une décision brusque. Ainsi l’individu, à un certain moment, se pose-t-il comme clandestin, entraînant dans celle-ci toutes les choses, voire les personnes qui composent son entourage.
Débutons par la question des origines, encore qu’elle ait un rien de factice : la clandestinité ek-sistait-elle à l’état de nature ? Il ne faut pas seulement l’entendre comme : préexistait-elle à l’État ?, mais : se tenait-elle au-devant de l’homme ? La philosophie a ceci de commun avec la nature qu’elle est auto-englobante, c’est-à-dire que son centre d’orientation, selon les multiples subjectivités des métaphysiciens possibles, s’inclut dans son champ, et qu’elle gagne sans cesse du terrain théorique, qu’elle s’assimile spontanément toute nouveauté. Pourtant, cela ne signifie pas qu’il est impossible de lui « échapper », de penser autrement ; soit par l’adoption d’une science alternative, qui reste pourtant toujours menacée par son assujettissement, soit par la pratique de la non-philosophie, qui est une tentative de ne pas reproduire ses schèmes. La clandestinité aurait donc été, si l’on nous pardonne ce jeu de mots, un « état-dans-l’état ». — Cette formulation est-elle tout à fait juste, ce qu’elle décrit est-il possible ? On ne peut semble-t-il concevoir la clandestinité que dans l’espace, car l’étant-humain se définit d’abord par sa situation. Dira-t-on toutefois que celui qui entre en clandestinité, donc se transpose selon le vecteur de l’en-dedans, s’ex-trait en même temps, donc passe au-dehors de la nature, de l’État ou de la philosophie ? À ne considérer que ces deux derniers thèmes, on pourrait répondre par l’affirmative. Il semble en effet impossible de sortir de la nature, pas seulement au sens où la biosphère est nécessaire à notre subsistance, mais où l’au-delà du cosmos paraît le néant. On dirait alors que la clandestinité est strictement un rapport à l’espace possible pour l’homme et jalonné par lui. Mais, on peut aussi estimer que notre propre est de nous être détachés du règne animal, et en ce sens nous avons dès l’origine fait sécession de la nature. En effet, la clandestinité première semble avoir été pour l’homme des cavernes de se dissimuler pour se protéger des animaux et des intempéries, et c’est l’industrie développée pour contrer ses prédateurs et l’adversité qui l’ont mené vers un mode de vie artificiel ; donc, la clandestinité était l’acte fondateur d’une auto-nomie. Mais, comme nous le rappelle l’écologie, la singularité de l’animal rationale ne permet pas, même à présent qu’il domine pleinement la Terre, est capable de la détruire entièrement, qu’il s’en soit émancipé totalement. Or, il semble qu’il en soit de même pour la politique et la philosophie. Sortir d’un État, c’est se soumettre à une nouvelle, à une autre autorité, car il est impossible de trouver une lacune dans le maillage des pouvoirs mondiaux (si l’on néglige le sens de « désordre », l’anarchie n’est qu’une opinion, qu’un subjectivisme irréalisé dans l’existence, qu’un non-lieu, qu’une u-topie) ; sortir de la métaphysique, c’est admettre la domination d’un nouveau dogme (par exemple, l’Économie du marxisme ou l’Inconscient du freudisme ; nous ne nous prononçons pas encore sur la faculté inouïe, qu’aurait la non-philosophie, de suspendre toute instance). La clandestinité ne semble donc pas une évasion, une sortie-de, car à chaque fois le Dasein est au-monde, et non dans-le-monde ; cela l’empêche d’établir à son objet, qu’il s’agisse de la nature, de l’État ou de la philosophie, une transcendance du-dehors, d’où il ne partagerait plus son immanence ; la possibilité de s’affranchir en est réduite d’autant. Si la clandestinité est encore un déplacement, affectant une ou plusieurs portions des espaces visés, elle subsiste donc sous ces autorités, ne pouvant se maintenir ailleurs que dans leurs territoires. Elle est donc davantage une modification de la subjectivité, possibilité dont nous devons examiner le pourquoi et le comment.
S’il est parlant, car il figure un changement dans l’occupation de l’espace, l’exemple — en rien allégorique — de la caverne pourrait toutefois nous égarer, par cela même qu’on ne saurait dire que les premiers hommes, pour se protéger d’une faune, d’une flore, d’un climat, et plus généralement d’un environnement hostiles, sont entrés en « clandestinité ». Dans ce contexte, l’expression est inappropriée, parce que nous savons intuitivement que la clandestinité est l’état unilatéral d’une relation INTERSUBJECTIVE ; autrement dit, elle est une réponse ou une réaction à autrui, à une altérité nécessairement humaine. Ce phénomène ne pouvait donc apparaître avant que nos aïeux soient sortis de l’état de nature, non pas au sens où il fallait attendre qu’une communauté se soit formée à partir de la reconnaissance de l’alter ego, car alors il aurait presque été originel, mais en cela qu’une autorité politique et une société étrangère devaient s’être manifestées. La clandestinité requiert ainsi que la phylogenèse ait atteint un stade avancé, c’est-à-dire qu’en plus d’une tribu formée, celle-ci se soit confiée à un gouvernement et se doit distinguée des communautés et pouvoirs allogènes. Il fallait donc et qu’un individu ou un groupe puisse dialectiquement s’opposer à un autre groupe, ou à un autre individu investi de l’autorité pour le groupe (il n’était pas nécessaire que ce soit « par » le groupe), et qu’il ait eu le possibilité non réalisée de changer de groupe, donc de migrer vers un autre groupe et de s’y soumettre. — Mais, pourquoi ce second critère s’impose-t-il ? Ne pourrait-on concevoir une opposition avec l’autorité de son propre groupe ? — Bien sûr, l’individu ou le groupe entrant en clandestinité, et le sujet politique par rapport auquel il s’est défini, peuvent être « homochtones », mais il faut que l’étrangèreté fut préalablement définie comme une échappatoire alternative. Le clandestin est en effet dans la situation de tout à la fois s’opposer à une autorité et de se maintenir dans la société ou sur le territoire qu’elle gouverne. — Mais, comment cet entre-deux est-il concevable : se maintenir dans un espace social et politique, tout en s’en extrayant, ou tout en se sous-trayant plutôt à son autorité ou à sa législation ? — Le terme usité en grec ancien pour nommer la clandestinité, kruphaîon, nous apporte sur ce fait un éclairage décisif. C’est ce mot qui a donné notre français crypte.
Donc, pour résister au pouvoir autochtone, celui qui devient clandestin est contraint, même symboliquement, de se réfugier dans cette terre propre. Bien sûr, l’hypogée nous rappelle la caverne où les premiers hommes trouvaient refuge de la nature, mais lorsque la socialité se développe et avec elle les conflits, cette fuite souterraine, chthonienne est maintenue. Puisque Saint Matthieu utilise kruphaîon pour dire que l’on commet un acte en secret, que l’on tient un fait secret, que l’on met quelqu’un au secret, l’exemple des premiers chrétiens fuyant dans les catacombes pour accomplir leur rite en secret, est évidemment un archétype notoire de la clandestinité. A fortiori, il nous apprend que l’indétermination spatiale de la clandestinité, que nous nous efforçons de réduire, est la conséquence de son caractère dilemmatique. Saint Paul constitue bien le modèle de l’apostolat universel, en tant qu’il voulait concilier sa citoyenneté romaine, dont il était fier, avec sa foi chrétienne, qui était persécutée par le même pouvoir romain. Ainsi les clandestins sont-ils ceux qui, par intérêt ou attachement à une communauté, ne souhaitent pas la quitter, donc s’en ex-traire, mais doivent se sous-traire aux effets que le pouvoir placé à la tête de cette communauté, tout en n’en étant pas nécessairement solidaire, leur font subir personnellement. À l’origine de ce mouvement, de la prise de cet état, il y a donc toujours une « discrimination », si l’on entend par ce terme le traitement particulier réservé à une catégorie de personnes, subie par elles comme une atteinte, un dommage, de quelque gravité qu’il soit. Mais, avant de juger du caractère systématiquement condamnable ou non de la « discrimination », en fonction de la clandestinité qui en serait le symptôme, il faut se garder d’une méprise quant à l’interprétation du devenir-clandestin. Le mouvement par lequel une autorité discriminatoire détache une population du reste de la communauté qu’elle gouverne, est à ne pas confondre avec celui par lequel certains entrent en clandestinité, car le déplacement n’est pas d’une intensité comparable, et toute sous-traction n’est pas l’indice d’une ex-traction à laquelle on aurait échappé ; en d’autres termes, on ne saurait invoquer une persécution réelle, une injustice, à l’origine de toute clandestinité. (Mais, cette évidence n’apparaît peut-être pas clairement dès à présent.) La clandestinité et la « discriminité » (le fait d’être discriminé) sont très ressemblantes, en tant qu’elles sont toutes deux des transcendances dans l’immanence d’une communauté, mais elle diffèrent en tant que, dans le premier cas, la population se met au secret, alors que dans le second cas, elle est stigmatisée publiquement. Dans chacune de ces deux situations, la personne est séparée du reste de la communauté, mais le discriminé a subi un transfert qui l’expose dans la communauté, qui aboutit à une transcendance horizontale n’excédant pas son immanence, alors que le clandestin a agi pour disparaître de la communauté, tout en se maintenant dans son territoire. Comment cela est-il possible ? En n\'appliquant pas le même mouvement qui aboutirait à une ex-traction, mais en accomplissant une transcendance verticale, descendant « sous terre ». Il faut donc se garder de confondre ces mouvements. Toute clandestinité n’est pas précédée d’une discrimination qui la provoque en réaction, ou du moins toute clandestinité n’est pas le symptôme d’une politique condamnable, dans le territoire où elle apparaît.
Pour renoncer à cette systématique bien commode, il faut aussi comprendre que l’ « enfouissement » des clandestins n’est qu’une métaphore. En tout cas, cet acte ne serait pas suffisant pour les mettre au secret, pour les sous-traire à l’autorité qui est censée par essence contrôler le territoire jusque dans ses profondeurs. Il faut que s’y ajoute un procédé pour que la communauté des clandestins puisse acquérir une certaine cohésion et ne pas être percée à jour. C’est l’objet d’une opération dont le nom est issu du même terme kruphaîon : le CRYPTAGE. La clandestinité s’acquiert et se maintient principalement par l’adoption d’un langage codé, alternatif à celui de la communauté originelle et de son autorité. Le saut ontico-ontologique, qui permet de former l’être-clandestin à partir des innombrables situations historiques, donc ontiques, possibles, est ainsi accompli grâce à l’adoption d’un langage indéchiffrable par l’autorité. Seul le cryptage ou le codage permet à une population donnée de se maintenir dans l’état de la clandestinité, position instable et précaire en raison de cet entre-deux que constitue et le maintien dans un territoire, et la résistance à l’autorité qui le gouverne. — Dans la formulation à laquelle nous aboutissons, on reconnaît alors sans peine la terminologie de Gilles Deleuze et de Félix Guattari. Qu’en est-il alors de leur définition de la clandestinité ? Ou, s’ils ne l’abordent guère, comment remployer leurs concepts, leur glossaire, de telle sorte que nous puissions confirmer ou infirmer leur théorie, considérer quelles auraient dû être leurs conclusions sur le phénomène qui nous intéresse ?
Dans l’histoire se sont succédées des machines : primitive, despotique et capitaliste. Le socius établi par chacune d’elles avait pour fonction, écrivent-ils, de coder les flux du désir, de les endiguer, de les retenir ; mais son usage a changé. La société originelle ne développait qu’un codage rudimentaire, ce qui a imposé, dans un second temps, l’excès du despotisme pratiquant une sorte de surcodage ; enfin, de nos jours, le capitalisme, et c’est en cela qu’il est inouï, pratique une double opération. D’abord, la machine capitaliste décode les flux et déterritorialise le socius ; mais ensuite elle restaure avec violence des territorialités factices et symboliques, pour tenter à nouveau de brider les machines désirantes. Donc la société actuelle, suggèrent-ils, est tout autant despotique que la précédente, mais par ce décodage initial, elle donne l’apparence d’une libération, d’un libéralisme, qui voile une répression beaucoup plus insidieuse. — Mais, comment s’opère-telle, et quelle est l’arme de ce contrôle des désirs ? — C’est la psychanalyse qui œdipianise et tente de cette façon, si ce n’est de juguler les désirs, du moins d’en donner une interprétation, d’en fournir une histoire qui convienne à la société, de les replacer dans le socius. N’allons pas plus avant dans l’étude de cette théorie. Personnellement, nous ne donnons guère notre assentiment à la schizo-analyse, particulièrement sa critique du capitalisme, mais nous la traitons elle-même comme une machine. Nous la faisons donc tourner pour recueillir son produit, ce qu’elle apportera à notre question. Pour ce faire, il nous suffit d’étudier plus en détail la façon dont le territoire est aménagé par cette hybridation du freudisme et du capitalisme. Deleuze et son acolyte distinguent le névrosé qui accepte l’analyse, qui reçoit Œdipe, qui s’installe dans les territorialités factices inventées pour lui ; du pervers qui se soumet mal au dogme du freudisme, se crée d’autres territorialités, plus artificielles encore ; et du schizo qui lui refuse catégoriquement l’œdipianisation et s’installe hors territorialité, pour ainsi dire prend le désert. Qui est alors le clandestin ? Est-ce l’un de ces cas ?
Il ne saurait s’agir du névrosé, le spécimen le plus répandu, puisque lui au contraire s’établit volontiers dans les territorialités, les mythes-de-soi, que l’on a aménagés pour lui. Ce ne peut être lui, le clandestin, car, d’une part, il demeure dans le territoire, accepte le recodage de l’autorité, qu’il s’agisse de l’Inconscient ou du Capital, donc n’invente pas un code personnel, et, d’autre part, ne résiste pas. Or, il n’y a pas de clandestinité sans résistance, ce qui ne signifie pas que tout clandestin est justifié dans son combat, que cet état répond nécessairement à une agression, une hostilité, que le bien est toujours de son côté, mais que, de son point de vue, ce n’est que pour résister qu’il est entré en clandestinité, qu’il avait une raison suffisante de résister. Du point de vue du freudisme, le clandestin ne peut donc être qu’une personne dont l’analyste symptomatise la résistance : cet analysant qui rejette l’interprétation que l’on donne de son discours dans la cure, qui contourne l’Œdipe, qui refoule encore, bien que son Inconscient s’épanche déjà sur le divan. Mais, le pervers ne semble pas plus apte à tenir ce rôle. Ses nouvelles territorialités sont factices. Il est insincère, ne croit pas ce qu’il dit, simule la perversion pour se réfugier dans son imaginaire. La nuance est difficile à se représenter, mais elle mérite d’être précisée. De fait, le clandestin occupe deux territorialités incluses l’une dans l’autre, car il demeure dans la territorialité à l’autorité de laquelle il résiste, tout en créant une nouvelle territorialité qu’il gouverne de manière auto-nome, et dont l’in-dépendance lui permet de résister ; donc, entre ces deux territorialités, une transcendance est maintenue, d’autant plus forte qu’elles se situent dans le même plan d’immanence. A contrario, le pervers invente une nouvelle territorialité qui a tranché toute transcendance, qui est devenue aut-arcique. De sa part, il y a la volonté de se placer sur un autre plan, de ne pas répondre à l’analyste en usant de son langage, le jargon freudien, ce qui l’entraînerait irrésistiblement vers l’œdipianisation, mais de se donner ses propres référents. Donc, le pervers ressemble au clandestin, mais, tout en se maintenant dans l’espace de la territorialité, il a rompu tout contact avec elle, comme s’il était en « survol ». Quant au schizo, sa situation est encore plus simple à comparer avec celle du clandestin, car il est passé hors territorialité, donc s’est ex-trait selon notre terminologie ; il a porté ses flux jusque dans le désert, disent-ils. Usant de cette métaphore, on regrette que Deleuze et Guattari ne l’aient pas filée davantage. Un exemple parfait de schizo nous semble, si l’on nous pardonne cette impiété, le destin de Saint Antoine. Fuyant dans le désert aux confins d’Alexandrie, n’est-il pas celui que ses flux du désir ont porté en dehors du territoire de la cité, passions qui viennent encore le tourmenter jusque sur son tertre solitaire ? Mais, pour lui, la confusion n’est pas de mise, car il a véritablement établi une transcendance extérieure à son territoire originel.
Mais le désert fait penser à d’autres choses : à l’errance du peuple hébreu, mais celle-ci n’évoque rien dans le cas présent ; au Christ harcelé par le Malin, mais il s’exila volontairement ; aux Réformés plutôt, lorsqu’ils prirent le désert pour fuir les dragonnades. Or, ce dernier exemple nous permet de préciser un point. La résistance qu’oppose nécessairement le clandestin, n’est pas seulement destinée à préserver son état de l’autorité originelle, mais est la sous-territorialité, l’espace d’où une offensive contre celle-ci est lancée. Si l’on préfère, la clandestinité n’est jamais l’état propice à une résistance pacifique, car, même s’il n’est pas fait usage de violence, sa finalité demeure toujours de modifier, de renverser l’autorité à laquelle les clandestins se sont soustraits, pour pouvoir réintégrer la surface, la territorialité qu’ils ont abandonnée. Or, les protestants, pour revenir à l’exemple des guerres de religion et du XVIIe siècle, n’ont cherché, après avoir tenté de convertir le pays entier, qu’à pouvoir se réserver des portions de territorialités où ils puissent pratiquer leur culte, puis ont émigré pour certains quand cette liberté ne leur fut plus reconnue. Après l’Édit de Nantes, on peut donc considérer que leur résistance, s’étant sans doute affaiblie, n’a plus été que de défense. On peut même considérer que c’est en abandonnant l’offensive qu’ils ont renoncé à la clandestinité, mais que dès lors ils s’engageaient dans un continuum qui devait les mener vers la résistance pacifique, puis l’exil. De ce point de vue, leur transcendance à l’autorité royale était marquée d’une fatalité qui devait les mener à l’abandon de la territorialité française, à l’exil. Donc l’expression « prendre le désert », qu’on l’applique au schizo ou au réformé — il ne faut voir dans ce parallèle aucune dérision de notre part —, ne saurait être appliqué au clandestin. Le clandestin ne sort pas de la territorialité, car son maintien dans celle-ci est la condition nécessaire pour continuer d’agir, — et c’est une finalité essentielle de cet état, — sur l’autorité à laquelle il s’est soustrait.
Alors, comment nommer métaphoriquement l’entrée en clandestinité ? Il nous semble que devenir clandestin, c’est plutôt « prendre le maquis ». En quoi cela diffère-t-il de « gagner le désert » ? L’anachorète ou le cénobite ont rompu tout lien avec la cité ; ils n’espèrent ni regagner sa territorialité, ni changer son autorité. À l’inverse, le maquisard s’est certes organisé un espace normalement inviolable, le maquis, dans lequel il est pleinement sous-trait à l’autorité opposée, mais celui-ci n’est que le point de départ pour continuer d’agir sous son empire, donc en relation avec les personnes qui ne sont pas devenues clandestines, et pour agir contre l’autorité, pour sa réforme ou son renversement ; et c’est pour cela que le clandestin demeure dans la même territorialité que l’autorité qu’il a fui. Cela signifie que, lorsqu’il n’est pas dans le maquis, qui est évidemment proche du désert hors-territorialité, qui est la limite extrême de l’en-territorialité, il commerce avec le monde que gouverne l’autorité, et parfois avec l’autorité elle-même. Cela signifie, pour reprendre une expression nietzschéenne, que le clandestin se déplace sans cesse dans un « arrière-monde ». Qu’est-ce à dire ? Lorsqu’ils descendent de leur refuge, il faut imaginer les clandestins longeant les façades, cherchant l’ombre, armée des ombres, troupe de passe-muraille, pour reprendre l’expression de Marcel Aymé, qui justement écrivit cette nouvelle en 1943. Cela signifie que, peu importe l’espace, ils évoluent sur ce territoire comme s’ils ne lui appartenaient pas, dans une sorte de dimension parallèle. Certes, ils sont furtifs pour échapper à la police, à l’autorité dont la clandestinité les protège, qui ne saurait tolérer qu’on n’obtempère pas à sa loi. Mais surtout, cet art de passer inaperçu, outre qu’il leur permet de s’émanciper de la façon la plus radicale, est le moyen pour eux, lorsqu’ils souhaitent entrer en lutte contre l’autorité territoriale, de livrer contre elle le plus efficace des combats. Voyez les résistants du Vercors, lorsqu’ils menaient leurs razzias héroïques jusqu’à Lyon, contre l’occupant nazi qui avait asservi notre territoire, lorsqu’ils rompaient la clandestinité pour venir le frapper au cœur. C’est cela, l’authentique clandestinité.
Comment font-ils alors, ces hommes qui trouvent un refuge et la lutte dans le maquis, l’une rendue nécessaire par l’autre, pour continuellement maintenir le secret qui les protège ? Bien sûr, celui-ci est parfois rompu, et lorsqu’ils vont au combat, le visage découvert, ils payent souvent le prix du sang. Mais, cette nature mystérieuse de la clandestinité ne peut se réduire à étudier l’occupation et la fraction d’un espace. Ou plutôt, il s’agit de comprendre qu’avec la clandestinité, nous sommes en présence d’une véritable géo-graphie, non d’une description littéraire ou scientifique, en tout cas écrite, de la Terre, mais d’une territorialité façonnée par le logos. Lorsque Deleuze et Guattari parlent du surcodage despotique, du décodage et du recodage capitalistes, il ne faut pas entendre le code comme un synonyme de ce que nous avons appelé indifféremment le cryptage. La législation est elle-même composée de codes qui régissent différents domaines des relations et infractions humaines. C’est pour cela que l’État despotique, même s’il n’est justement pas de droit, surcode. De la sorte, il étend son contrôle arbitraire sur tous les aspects de l’existence, jusque sur la vie privée, intime. C’est pour cela que la tyrannie, que l’occupation, sont les circonstances où la clandestinité se développe naturellement, car il faut lutter contre cette oppression ; pour cela, qu’elle est apparue très rapidement, juste après que ce soit formée la machine territoriale primitive, car la première autorité ne pouvait être qu’arbitraire, fondée sur la force ; et tous les totalitarismes et les dictatures modernes, même s’ils reposent sur un droit fallacieux, n’appliquent en fait que la volonté du despote, un code sans justice. Or, le cryptage est lui aussi un code, qui ne règle pas tant la vie des clandestins, qu’il leur permet de faire échapper leur territorialité à celle qui les enclôt, tente de l’exclure ou de l’anéantir. La clandestinité est donc la LOGOMACHIE, au sens propre, entre un codage ou un surcodage qui a pour fin de soumettre à une autorité, et une fraction qui lui résiste grâce au cryptage, ce combat formant des territorialités, une transcendance dans l’immanence.
À partir de cette description, comment juger de la clandestinité ? Elle est le signal par lequel une population donnée considère qu’elle ne peut se maintenir sous une autorité territoriale. Est-ce à dire que cette simple sécession, suffit à prouver la réalité d’une oppression ? Les exemples sont divers et contradictoires. Un résistant, un immigré, un terroriste, un trafic de drogue, d’armes, un réseau de prostitution, etc., sont aussi bien clandestins. Cela signifie que la clandestinité n’est pas un concept axiologiquement univoque. Au contraire, ce qui doit permettre d’apprécier si une entrée en clandestinité, si la résistance et le combat qu’elle porte souvent, sont justes, c’est la nature de l’autorité et de la décision dont les clandestins ont fait leur raison suffisante. Il est absurde de considérer tout clandestin comme une victime, de juger la clandestinité comme le symptôme du caractère oppressif de tout pouvoir, comme justifiant systématiquement l’an-archie. On peut, comme nous avons tenté de le montrer dans ce texte, définir l’essence de l’être-clandestin. On ne saurait en tirer une conduite politique claire, répondant à toutes les conjonctures. C’est à une autre réflexion qu’il faut faire appel dans ce cas, au soin de distinguer l’arbitraire de l’État de droit. Seule la résistance légitime justifie la clandestinité. — Subséquemment, que pouvons-nous déduire de cette définition pour le statut de la non-philosophie ? Est-il de sa nature d’être en état de clandestinité ? Non, un maintien relatif dans le champ philosophique, dans la territorialité théorique sur laquelle le dogme métaphysique exerce son autorité, est impossible. Se sous-traire ne peut être dans ce cas que s’ex-traire, c’est-à-dire que la résistance à la philosophie emporte une décision radicale. En d’autres termes, si cette pensée n’est assurément pas artificielle, car elle est basée sur une méthode de la dualyse des plus rigoureuses, il semble qu’elle soit contrainte de s’installer hors la territorialité de la philosophie. La pensée-en-Un de F. Laruelle s’apparente donc à la schizo-analyse de
G. Deleuze ; cette affinité a été confirmée à de nombreuses occasions, notamment par ce dernier ; mais, il ne nous appartient pas de développer ici ces implications. Nous pouvons simplement en retirer l’apport suivant pour la question qui nous préoccupait dans ce texte. — La seule clandestinité qui s’avère dans le champ théorique est celle de la philosophie elle-même, au sens où sa terminologie induit évidemment un effet de codage. Mais, s’il est tout à fait concevable que surcodage, décodage et recodage se produisent dans cette territorialité, ne serait-ce que par la concurrence des écoles, il est exclu qu’une technique de cryptage permette à quelque pensée de ne pas être « comprise » par la philosophie, au double sens d’une appréhension intellectuelle et d’une inclusion catégorielle. L’absence de toute clandestinité dans la philosophie ne nous confirme pas seulement qu’il n’est ni possible ni nécessaire de résister à son axiomatique — ce qui invalide du même coup les formes déviationnistes de la non-philosophie : anti-philosophie, contre-philosophie, sans-philosophie, etc. —, mais aussi que sa nature auto-englobante lui permet sans contrainte de s’assimiler tout pensée nouvelle.
Réponses (1)
Anne-Françoise Schmid
26/12/2008 à 14:46
Cher Jean-Baptiste,
il nous faut encore tes abstracts et tes mots clés,
amitiés,
af
il nous faut encore tes abstracts et tes mots clés,
amitiés,
af