TR 2004/05 : Du sens contraire - Forum ONPhI

TR 2004/05 : Du sens contraire

11/04/2005 à 10:07
Par: Yves Blanc
<strong>Du sens contraire </strong><br><br>
Par exemple, faut-il nécessairement penser que seule l&rsquo;immobilité permet <i>au contraire </i>de percevoir le mouvement ? Faut-il également penser que seule l&rsquo;intemporalité permet <i>au contraire</i> de prendre conscience de la temporalité ? Plus généralement, faut-il donc penser « sur la foi d&rsquo;hommes de sens » que seul « le Dieu de toutes choses » est <i>au contraire</i> « du devenir et du monde l&rsquo;origine principale » ? A toutes ces questions, une solide tradition philosophique nous a appris à répondre oui. Et il n&rsquo;est une nouvelle fois que d&rsquo;écouter Platon par la voix de <i>Timée</i> pour nous en convaincre. En toute chose, autant qu&rsquo;on s&rsquo;en souvienne, il nous apprend « par un naturel commencement »<sup>1</sup> à établir « certaines divisions » avant de les lier par un principe de causalité. Et Timée de nous expliquer que c&rsquo;est de cette manière qu&rsquo;il convient de définir le sens contraire. Par exemple :<br> « Qu&rsquo;est-ce qui est toujours, et n&rsquo;a point d&rsquo;avenir ? qu&rsquo;est-ce qui devient toujours, mais qui n&rsquo;est jamais ? L&rsquo;un, de toute évidence, saisissable par l&rsquo;intellection accompagnée de raison, toujours est de façon identique ; l&rsquo;autre, au contraire, qui fait l&rsquo;objet de l&rsquo;opinion accompagnée de sensation irraisonnée, il devient et s&rsquo;en vient, mais jamais réellement il n&rsquo;est ». Or, tout ce qui devient, à son tour, c&rsquo;est par l&rsquo;action de ce qui le cause que nécessairement il devient ; car rien ne peut, séparé de ce qui le cause, assumer le devenir ».<br> Est ainsi sans conteste de culture philosophique, tout au moins platonicienne, quiconque pense, sans trop y réfléchir<sup>2</sup>, qu&rsquo;une simple vue de l&rsquo;esprit<sup>3</sup> suffit à expliquer la réalité des choses, c&rsquo;est-à-dire en est, à proprement parler, la cause, le sens contraire.<br> Une telle définition du sens contraire appelle deux remarques de notre part. La première vient apporter en quelque sorte de l&rsquo;eau au moulin de la non-philosophie. En effet, sans aller jusqu&rsquo;à prétendre que la philosophie se limite à celle de Platon, il est incontestable que cette dernière puisse exercer dans notre esprit une influence durable qui le conduise à mêler le mythe à ses raisonnements logiques, à penser en quelque sorte de manière mythologique et à croire, en définitive, à quelque vérité métaphysique. C&rsquo;est là un trait culturel indéniable du raisonnement philosophique que de définir le sens contraire comme « Différence mytho-logique »<sup>4</sup>.<br> Il reste cependant, et c&rsquo;est en venir à notre seconde remarque, que Platon nous invite en même temps à la plus grande prudence intellectuelle et précise clairement que s&rsquo;il nous est permis de penser comme lui, il nous faut bien admettre en revanche que nous ne saurions nullement atteindre pour autant à la certitude, à des propos irréfutables et invincibles. Aussi nous invite-t-il à nous souvenir que « nous sommes d&rsquo;humaine nature », de sorte qu&rsquo;en bien des points, sur bien des questions, nous ne devons pas nous étonner si « nous ne venons point à bout de remettre des explications en tous points totalement d&rsquo;accord avec elles-mêmes, ni poussées à la dernière exactitude »<sup>5</sup>.<br> Ce n&rsquo;est donc pas là présenter la réflexion philosophique « comme la plus haute pensée », « la plus universelle », capable par ce moyen de « co-déterminer » le Réel malgré ce que croient et soutiennent à l&rsquo;envie les non-philosophes<sup>6</sup>. De ce que Platon ou tout autre philosophe ne doute pas d&rsquo;avoir « l&rsquo;opinion la plus correcte »<sup>7</sup> sur une question quand ce n&rsquo;est pas sur toutes, on ne peut conclure &#8213; sinon par le biais d&rsquo;un nouveau raisonnement mythologique &#8213; qu&rsquo;il prétend dire la vérité, détenir la divine certitude et qu&rsquo;il commet de ce fait un abus de pouvoir fondant un ordre de pensée « hiérarchique, inégalitaire et autoritaire »<sup>8</sup>. Une opinion, fût-elle la plus correcte, ne demeure jamais aux yeux d&rsquo;un philosophe &#8213; à moins d&rsquo;un imposteur &#8213; qu&rsquo;une simple opinion qui ne coïncide pas avec la pure vérité : une règle d&rsquo;esprit qui n&rsquo;a rien toutefois d&rsquo;un tabou et qu&rsquo;il peut être, par conséquent, possible d&rsquo;interroger. <br>C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs ce que nous proposons au lecteur d&rsquo;expérimenter avec nous au sujet de la définition platonique du sens contraire qui vient d&rsquo;être rappelée. Après tout, si nous en discutions ?<br><br><hr><br><br>
1- Platon, <i>OEuvres complètes</i>, Timée, Préambule, 28,29.
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2- Ne dit-on pas que « la culture, c&rsquo;est ce qui reste quand on a tout oublié » ?
<br>3- En d&rsquo;autres termes, ce qui est par nature métaphysique, mythologique. <br>4- F. Laruelle, <i>ibid.</i>, p. 249 : « La « non-modernité » (&hellip;) se délivre non seulement de la mythologie constituée, mais de la Différence myhto-logique elle-même, c&rsquo;est-à-dire de l&rsquo;autorité philosophique ».
<br>5- Platon, <i>ibid.</i>, 29, 30.
<br>6- F. Laruelle, <i>ibid.</i>, Introduction, p. 5, 15.
<br>7- Platon, <i>ibid.</i>, Première partie, 29,30.
<br>8- F. Laruelle, <i>ibid.</i>, p. 16.