"Je me suis couché dans ton corps et après je l'ai pris pour une tombe." - Forum ONPhI

"Je me suis couché dans ton corps et après je l'ai pris pour une tombe."

13/10/2007 à 12:03
Par: Etienne Brouzes
Considérer le travail d'un artiste, écrire ou en parler.

"Je suis une mante religieuse habillée de fuchsia, j'ai de grosses lèvres, je pense au sexe."

Reconnaître l'insuffisance des mots puis désarmer les prétentions du langage discursif jusqu'au silence ?
Pas nécessairement.

Notre souci : approcher une œuvre en évitant deux écueils de la pensée, à savoir la cohérence de l'emploi du langage ou des signes et une certaine fonction révélatrice voire corrective du réel.

"Je prends en photo les fantômes dans mon miroir, presque on peut voir mes seins. "

Distinguons trois ordres indépendants : l'œuvre, le créateur, le dire.

1) L'œuvre : nous disons qu'elle est un ensemble chaotique d'éléments combinables indéfiniment.

2) Le créateur : nous affirmons qu'aucun dire ne l'atteint ni ne le saisit, il reste solitaire et indépendant du langage comme de sa création.

3) Le dire, nous soutenons qu'il ne constitue pas l'œuvre ni ne révèle ce qui crée. En d'autres termes : le langage est extérieur au réel qu'il ne fonde pas.

"Mais si je ne suis rien tout ça n'existe pas."

Et la beauté d'une œuvre n'est absolument pas décidable : ni par la pensée ou l'histoire, ni par la critique ou le marché de l'art.
Et seul l'affect (l'émotion de beauté) est réel et constitue l'art.
Et tout énoncé sur l'art est coupé de l'œuvre et peut donc être décerné à n'importe quoi.

Et l'invention s'éveille dans l'émotion ; finalement c'est l'exaltation de la tolérance où la beauté est identiquement l'indifférence de l'œuvre d'art à l'égard de la société et la manière dont elle peut se rapporter au monde ou agir sur lui.

"Une grosse tache rouge épaisse sur le béton comme une peinture ratée. Il faut que je te déteste pour m'envoler. Tu ne sais pas la montagne et la fille qui t'attend. Tu souris comme un clown. "

Que faire alors ?
Parler ou écrire. Des mots qui viennent de l'oeuvre mais qui ne valent pas pour elle et ne l'épuisent pas.
Ecrire ce que l'on veut puisqu'il n'y a pas de sens caché à trouver ni d'originalité ou de génialité à défendre.

- J'ai écrit contre ton dos. J'ai écrit contre toi.
- Méchante.
- Bois du Destop. Enculé.
- Si je crève on n'a qu'à dire que c'est toi.
- Je ne t'écrirai plus de lettre, tu ne sais pas lire.
Réponses (1)
Yves Blanc 15/10/2007 à 19:55
L'architecture de ce texte m'intéresse dans la mesure où elle tisse deux dires :

Un « discours » sur le langage au regard du travail de l’artiste : son incapacité à en atteindre la réalité.

Un « ensemble chaotique d’éléments combinables ».

Cela dit jusqu’où cet ensemble chaotique n’obéirait-il pas, mine de rien, au discours concomitant ?

Jusqu’où cette liberté radicale du dire jusqu’au chaos n’est-elle pas une variation de celle de l’absurde.

Car de même que la liberté de l’absurde consistait à se dire que puisque nous allons mourir, puisque nous ne sommes pas immortels tout est permis, rien n’a de sens, cette indifférence au discours, au sens, illustrée par un « ensemble chaotique d’éléments combinables », n’est-elle pas… en réalité l’incognito d’un désir de toute puissance du sens ?

Son acoquinement avec le non-sens absolu n’est-t-il pas l’incognito de sa vocation de sens absolu, de son aspiration à la dictature du sens.

Par hypothèse, on peut se poser la question.

Cette liberté ironique, qui résulterait d’une disqualification du sens par le non-sens, aurait sa vérité dans une liberté paradoxalement des plus sérieuse, résultant tout au contraire d’une valorisation du sens par le non-sens.