Par: Yves Blanc
Les publications consacrées à la non-philosophie<sup>1</sup> ne manquent pas et il convient de prévenir d’emblée un malentendu. Le travail de recherche entrepris cette année n’a pas vocation à éclairer, commenter une nouvelle fois les bases théoriques de cette attitude de pensée, sa filiation possible avec d’autres ou son originalité foncière. <br>Autrement dit, son étude objective n’en constitue pas l’objet. Et pour cause ! Il entre dans la problématique de ce travail de prendre justement au mot son fondateur. En effet, s’il est vrai, comme le soutient François Laruelle, que la posture non-philosophique est inintelligible pour un philosophe<sup>2</sup> – Faut-il hélas que nous en soyons<sup>3</sup> ! – ce serait pour le coup faire preuve d’une sotte vanité que de vouloir maîtriser son exacte signification sinon caresser l’espoir de compter bientôt parmi ses professeurs. <br>Arrivé là, faut-il paradoxalement nous mettre en demeure d’idolâtrer une pensée qui se mêle de disputer la rigueur sinon la réalité de notre raison, bref son caractère universel<sup>4</sup>, comme il se trouve souvent, toutes proportions gardées, des victimes pour défendre leur bourreau ? <br>Ou encore, comme le laisse entendre François Laruelle, ne nous reste-t-il alors d’autre choix que celui de refouler la non-philosophie<sup>5</sup> ? <br>De deux choses l’une, nous préférons cette année explorer une troisième voie : celle qui consiste à faire l’épreuve de la pensée non-philosophique, ce qui revient à expérimenter la perte hypothétique de la toute-puissance de notre raison. Est-il possible de surmonter positivement une telle perte, d’en tirer un bénéfice intellectuel ? En d’autres termes, est-il possible de parvenir à en faire le deuil, de sorte que notre manière de penser s’en trouve fortifiée ?<br> Apporter réponse à ces questions, tel est l’enjeu de ce travail de recherche.<br><hr><br>
1 Initiée par François Laruelle à partir des années 1980. Pour un rappel de ses fondements : F. Laruelle, <i>Principes de la non-philosophie</i>, Paris, Puf Epiméthée, 1996. <br>2 F. Laruelle, <i>Principes de la non-philosophie</i>, chap. premier, Problématique de la non-philosophie, p. 31 : « Ainsi plus radicalement encore qu’Aristote ne le supposait, une pensée peut se penser elle-même et se reconnaître pourtant comme seconde et non pas comme première (réelle), et se penser comme contingence nécessaire sans se présenter nécessairement comme auto-position. C’est le paradoxe philosophiquement inintelligible de la non-philosophie.
<br>3 Emploi stylistique du « nous » à la place du « je », comme pluriel de modestie.
<br>4 <i>Ibid</i>., Introduction, p. 5 : “Le problème est d’inventer et de découvrir (…) un ordre de la pensée plus rigoureux et plus réel que le philosophique lui-même. – p. 15 : « La philosophie se présente comme la plus haute pensée. Mais peut-être n’en est-elle pas la forme la plus universelle, mais seulement une forme encore restreinte et autoritaire qui nous a dissimulé une autre possibilité ? »
<br>5 F. Laruelle, <i>En tant qu’Un</i>, Paris, Aubier, 1991, Adresse, p. 12 : « Ce que nous avons appelé une « science de la philosophie » ou, plus justement, une « science de l’Un par le moyen de la philosophie », ou encore une « non-philosophie » est une puissance de la pensée tout à fait positive, plus universelle que les philosophies et théoriquement plus rigoureuse, mais que les philosophes ne peuvent ni apercevoir ni même correctement identifier, qu’ils peuvent au plus refouler ».